C’est étonnant comme une chanson sentimentale, sinon carrément mièvre, peut, dans une circonstance précise, prendre une consistance inattendue et devenir touchante. Ce petit miracle-là, c’est un de ceux auxquels on a droit au cours de ce film, lorsque quatre de ses personnages se mettent à danser en rond, à se serrer les uns contre les autres, tandis que passe sur un électrophone Et si tu n’existais pas, chantée par Joe Dassin.
Comme je viens de l’écrire, ce n’est là qu’un petit miracle parmi plein d’autres. Ce film en est tissé d’un bout à l’autre, de ces prodiges de beauté que la vie réserve à celles et à ceux qui, peut-on dire, je crois, ont le cœur pur. Ce sont des personnages de ce type que Mikhaël Hers, comme il le faisait déjà dans ses films précédents, se plaît à mettre en scène. Chez ce cinéaste, c’est une des caractéristiques qui le rendent extrêmement attachant, l’on perçoit, dès le début, dès les premières scènes, un regard empreint d’empathie. Les personnages ne sont pas idéalisés, pour autant, ils ont leurs petitesses, mais jamais le cinéaste ne pose sur eux un regard moralisateur, encore moins condescendant. Au contraire, il les accompagne avec une sorte de tendresse qui se communique aux spectateurs et qui ne peut, me semble-t-il, que les toucher.
Les Passagers de la nuit se déroule au cours des années 1980, principalement dans le quartier parisien de Beaugrenelle ainsi qu’à la Maison de Radio France, en trois périodes distinctes, depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République (date à laquelle arrive à Paris une adolescente paumée) jusqu’à 1988, en passant par 1984. Celle qui est encore adolescente au début du film, en une séquence très brève, c’est Talulah, finement interprétée par Noée Abita. On la retrouve bientôt, trois ans plus tard, toujours avec son allure de zonarde, introduite à la Maison de Radio France, pour y être interviewée au cours d’une émission nocturne. Entre temps, l’on a fait connaissance avec Vanda Dorval (Emmanuelle Béart), l’animatrice de ce programme de nuit qui consiste à donner la parole aux auditeurs, ainsi qu’avec Élisabeth (Charlotte Gainsbourg), tout juste divorcée et, du coup, élevant seule ses deux grands enfants encore à la maison, Mathias (Quito Rayon Richter) et Judith (Megan Northam).
La vie n’est pas tendre pour Élisabeth qui, du fait du départ de son mari, a du mal à joindre les deux bouts, au point qu’elle doit accepter de se faire aider par son père. Heureusement pour elle, même si ce n’est pas très cher payé, elle est embauchée à Radio France comme assistante de Vanda Dorval. Et c’est ainsi qu’elle fait connaissance avec Talulah, la nuit où celle-ci débarque à l’émission de radio, en tant que fidèle auditrice. Toujours fragile, toujours en marge, sa seule présence interpelle Élisabeth qui, ne pouvant supporter que la jeune fille soit à la rue, lui propose de l’héberger dans une pièce à l’étage supérieur de l’immeuble dans lequel elle réside. Qu’importe ses petits revenus, Élisabeth n’écoute que ce que lui dicte son cœur.
On pourrait craindre qu’un tel sujet soit fatalement submergé par un sentimentalisme excessif. Or, il n’en est rien. Le talent de Mikhaël Hers, c’est, entre autres, de parvenir à raconter une histoire ayant comme thème principal la compassion sans jamais déraper dans le pathos. Le film est traversé par une sorte de grâce : le réalisateur sait se tenir suffisamment à distance des personnages ou, plutôt, à trouver la distance juste, celle qui autorise l’émotion tout en excluant la sensiblerie.
Au moyen d’une narration limpide et épurée, le cinéaste déroule les faits petits et grands qui lient les uns aux autres chacun des personnages. Histoires de blessures (à l’exemple du corps d’Élisabeth amputé d’un sein à cause d’un cancer), histoires d’amitié, histoires d’amour. Avec cette passagère, Talulah, la jeune femme qu’on ne peut retenir, qui va et vient, et qui ressemble tant à Pascale Ogier dans Les Nuits de la pleine lune (1984) d’Éric Rohmer, film que quelques protagonistes vont voir, précisément, au cours d’une des scènes des Passagers de la Nuit. Toutes les actrices (car ce sont elles qui sont, de façon primordiale, le cœur battant du film) et tous les acteurs y composent une partition dont on n’est pas près d’oublier la beauté.
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