La fable est accablante, plus méchante encore qu'elle n'est narquoise, sans aucune échappatoire, sans aucune lueur. Comme il est étonnant, dans un des suppléments de l'édition DVD, d'entendre Scola continuer à tenir un langage marxisant idéaliste, estimant que la laideur, la saleté et la méchanceté des protagonistes sont dues à l'intrinsèque perversion de la société et au désir de possession de tous ceux qui la composent !
Peu de cinéastes ont pourtant autant que lui représenté le désenchantement, la déception, la désillusion, la gueule de bois des lendemains promis à chanter ! Nous nous sommes tant aimés et La terrasse dressent l'accablant constat des réveils douloureux des utopies. Affreux, sales et méchants est sans doute davantage encore désespérant : il n'y a rien à sauver, rien à espérer, et rien pour croire… Si la figure de Giacento, potentat égocentrique joué par Alberto Sordi avec un talent bluffant dans l'outrance reste durablement dans les mémoires, c'est sans doute l'image accablante de la gamine à bottes jaunes qui est la plus emblématique et la plus affreuse : elle est parfaite, cette petite : c'est elle qui se lève la première de toute la maisonnée et qui, sans un mot, sans un bout de révolte va emplir d'eau bidons, cruches et jerricans à l'unique robinet du bidonville ; et puis, comme une fourmi industrieuse et sage, elle s'occupe des plus petits : elle les conduit dans cette sorte de cage où, toute la journée, ils jouent avec des riens, elle les console, les mouche, les torche ; elle est magnifique d'abnégation, de dévouement, de générosité. Plus que tout autre, elle mériterait de se sortir du cloaque, et on sent qu'il ne lui faudrait qu'un rien, une main tendue, un instituteur qui remarquerait sa lumière, un prêtre qui lui ouvrirait une porte, pour qu'elle puisse échapper à son destin…Mais son destin est inscrit ; et les dernières images du film la reprennent, bouleversantes : comme chaque matin de sa pauvre vie, elle est première à se lever et à quitter la maison avec ses bidons pour, enfant encore, toiser le vide et jouer à une sorte de marelle dérisoire au dessus des toits de Rome avant d'aller emplir ses récipients. Seulement elle est enceinte, d'on ne sait qui, et sans doute elle pas davantage, et sa vie est désormais tracée.
Constance de l'inéluctable.
« …une authentique Cour des miracles de la seconde moitié du XXe siècle composée, comme sous l'Ancien Régime, de voleurs, de prostituées (et travestis), de mendiants ou de travailleurs pauvres. »
Et d'immigrants, bien sûr : Giacinto et sa famille sont originaires du Sud de l'Italie – comme Ettore Scola – et ce sont des immigrants qui n'ont pas pu ou su s'adapter à leur terre d'accueil, le "Nord" (dispute ici : pour les Italiens du Nord, Rome c'est le sud; et pour les Italiens du sud, c'est le nord !). Des immigrants cependant qui ne sont plus de fraîche date : ça s'entend à l'italien qu'ils parlent, qui est un mélange d'un dialecte du Mezzogiorno (napolitain ? calabrais ?) et de dialecte populaire romain. Tandis que la famille qui arrive vers la fin du film, avec armes et bagages, pour prendre possession du palace de Giacinto, elle parle en italien du Sud pur jus (et le cycle recommence). Malgré des particularités qui ont continué de pousser ici et là après le rouleur compresseur de la Révolution française, j'hésiterais vraiment à décrire un Français du sud qui va travailler au Nord comme un immigrant. En France aussi il y a le nord et le sud, mais ce n'est pas la même chose, ça n'implique pas des différences culturelles aussi considérables. Ce thème douloureux de l'immigration intérieure se balade souvent dans le cinéma italien, avec par exemple Rocco et ses frères ou Cosi ridevano.
3 ans plus tard, alors que je recherche ces films et ne les trouve pas, j'ai vu affreux sales et méchants chez un ami qui l'avait téléchargé en vostf. J'ai beaucoup aimé, et je vois que je suis plutôt chanceux de l'avoir vu. Si l'un de vous repasse par ici, je tiens à vous dire merci pour l'apport considérable en matière de culture cinématographique. a bientôt
Page générée en 0.0048 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter