AccueilInterview : Isao Takahata

PROPOS DE ISAO TAKAHATA CONCERNANT Pompoko

Lors du festival d'Aubervilliers 2002, « Pour éveiller les regards » destiné principalement au jeune public, le cinéaste japonais Isao Takahata a répondu aux questions des spectateurs à l'issue de la projection de POMPOKO.

DvdToile : Votre film apparaît comme un plaidoyer pour améliorer le rapport de l'individu avec la Nature. Est-ce qu'aujourd'hui, au Japon, la relation « Homme-Nature » s'améliore ?
Isao Takahata : Non, la destruction continue, mais des mouvements prônant la défense de l'environnement apparaissent, eux aussi, souvent pour contrecarrer la déforestation et les autres fléaux... Si je ne crois pas qu'un film a le pouvoir de changer les choses, je pense qu'individuellement, on peut éprouver de la sympathie pour ces problèmes. Cela peut donner une meilleure compréhension du danger qui nous menace. J'essaye de donner à voir un « chemin » par rapport aux choix que les êtres humains doivent faire... J'espère secrètement qu'ainsi, quelques personnes, après la vision de mon film, par leur attachement émotif, se sensibilisent et seront encouragés à prendre des initiatives personnelles. Grâce au réconfort intérieur et à l'encouragement, des actions peuvent naître... Mais je ne crois pas qu'un film puisse changer le monde ! Loin de là...

DvdToile : Aujourd'hui au Japon, quelle place réelle a le mythe des Tanuki, ces animaux « magiques ». Sont-ils très ancrés dans la culture populaire nipponne ?
Isao Takahata : Les croyances liées à l'animisme et le pouvoir du transformisme chez certains animaux (le renard, le chat...) existent depuis des lustres. Mais à partir du 17éme siècle, ces craintes ancestrales liées à ces animaux magiques sont devenues de plus en plus ludiques : la peur et la fascination qu'engendraient ces figures mythiques se sont estompées. Aujourd'hui, elles font partie du folklore et participent aux divertissements et fêtes japonaises. Ces histoires se transmettent surtout aux enfants, mais le ton de ces récits mythiques ont changés et à notre ère moderne, plus personne ne « croit » en un quelconque « pouvoir » de ces animaux, ni en leur existence même... Malheureusement, ces dernières années, les illustrations de ces histoires sont très puériles. Avant la réalisation de mon film, il n'y avait vraiment pas de projet consistant et convaincant sur cette mythologie ancestrale. Il y a bien eu juste après la guerre des comédies musicales avec de vrais acteurs qui parlaient de ces transformismes, mais au fil du temps, cela s'est arrêté...

DvdToile : Quels sont les rapports entre les Japonais et les autres espèces animales, en règle générale ?
Isao Takahata : Le respect des animaux est toujours très présent dans la société japonaise : La plupart d'entre nous n'avons pas oublié que chaque animal a son indépendance et qu'il faut le respecter en tant que tel. Ce rapport respectueux est privilégié dans notre culture car on ne retrouve pas cela dans les cultures monothéistes où Dieu apparaît supérieur à l'homme, et l'homme est considéré au-dessus des autres animaux... Au Japon, ces relations sont d'égal à égal.

DvdToile : Mais vous n'êtes pas attaché qu'à la culture japonaise, vous appréciez beaucoup la littérature française notamment, et elle vous influence dans vos films...
Isao Takahata : Personnellement, je me suis plongé dans la poésie de Jacques Prévert. Dans ces poèmes j'ai retrouvé ce rapport sensible avec les animaux. Chez Prévert, les animaux ont vraiment un esprit ! Cela me fait penser à un de ses poèmes (NDLR : l'île aux chevaux ) où le cheval répond à l'homme : « Homme, vous vous servez de nous pour votre travail et le labeur, alors en retour de cette aide que je vous apporte, vous avez des devoirs envers nous, car on n'est pas des boeufs ! »

DvdToile : Vos films apparaissent à chaque fois très différents les uns des autres, presque comme s'il s'agissait d'un réalisateur différent. Est-ce une volonté systématique de votre part ?
Isao Takahata : Non, dans mon intention, et dans mes films, il y a une continuité. Comme je ne suis pas dessinateur et que je ne suis pas prisonnier par un style graphique particulier, je peux me permettre des univers visuels différents. Cela me donne une liberté et j'essaye de repousser les limites, de trouver de nouvelles formes expressives. Si l'aspect graphique est variable d'un film à l'autre, cela n'empêche pas la continuité dans l'oeuvre. Et je pense que tous les réalisateurs abordent la diversité des thèmes dans leurs films. Je pense que de toute façon on ne fait jamais deux fois le même film !

DvdToile : Que pensez-vous de l'animation japonaise et quel avenir a t-elle ?
Isao Takahata : Je suis très pessimiste sur l'avenir de l'animation japonaise : je le vois plutôt sombre. Beaucoup de productions recherchent un réalisme formel, ce qui fait que le mouvement et le graphisme arrivent à un point tel, que le monde de l'animation tombe dans une zone très restreinte. Les animateurs en général sont sclérosés... Au studio Ghibli, nous nous efforçons d'aller à contre-courant de cette énorme vague sclérosante. Nous prenons beaucoup d'animateurs indépendants qui sont capables de fournir un travail plus singulier.

DvdToile : Pourtant, l'animation japonaise, au niveau économique et quantitatif est toujours très présente sur le plan mondial...
Isao Takahata : Oui, la production est énorme : chaque semaine, il sort pour le marché télévisuel un épisode pour les soixante-dix différentes séries qui co-existent. Ce rythme effréné provoque en toute logique un niveau global qui s'avère très moyen en qualité. La majorité de ces productions sont très médiocres. C'est cela la vérité : vous voyez beaucoup de choses bien à la télévision vous ? Au studio Ghibli, nous nous efforçons de suivre nos idées et de faire des films qu'on désire voir. En ce moment nos ambitions sont plus hautes et nous pouvons nous permettre des budgets de réalisations plus conséquents, car nos derniers films ont bien marché. Mais finalement, l'état d'esprit qui est le nôtre est resté le même. Aller vers une certaine qualité sans faire de concession est d'abord et surtout une affaire de volonté et non d'argent. Par contre, il faut essayer de trouver le bon chemin et les moyens de satisfaire ses ambitions artistiques et faire au mieux.

Propos recueillis par Totoro le 14 novembre 2002 à Aubervilliers. Cinéma le Studio.