Le titre, ACAB, est une insulte (probablement importée d'ici, d'Amérique du Nord): "All cops are bastards", tous les flics sont des fils de pute. Alors quand je n'en connaissais que le titre, j'ai craint le film anti-flics primaire. Puis, pendant les 5-10 premières minutes du film, m'a effleuré le soupçon contraire: celui que j'étais tombé sur un film facho, qui adore les flics et la répression.
Eh bien, dans un cas comme dans l'autre, il n'en est rien ! ACAB est un très bon film, qui nous dépeint frontalement les choses et nous laisse nous débrouiller avec ce qu'il faut en penser. C'est l'histoire d'une unité de CRS dont plusieurs membres vont éventuellement perdre le nord et dériver vers une pseudo-justice expéditive aux conséquences tragiques.
On peut soupçonner le film – ou alors le livre dont il est tiré – de s'être très sérieusement documenté. En tout cas, je crois sans effort à ce qu'on nous montre là du travail policier de terrain – parmi les boulots de flic, sans doute le plus ingrat et dangereux. (Quoique escorte d'un juge anti-mafia, c'est très dangereux aussi).
L'atmosphère survoltée des diverses foules que nos bâtards ont pour tâche de contrôler ou de disperser – fans de foot enragés à la barre de fer facile, manifestants gauchistes, manifestants racistes, grévistes divers – est efficacement reproduite, grâce à un montage nerveux, à des figurants très naturels, à une mise en place dynamique. Les relations qui règnent entre les divers membres de notre équipe de choc sont tout aussi crédibles, grâce aux dialogues sans apprêt et à d'excellents comédiens, en tête desquels Pierfrancesco Favino, remarquable dans son rôle de vétéran enragé.
L'Italie qu'on nous montre dans ACAB n'est vraiment pas rassurante. Il est loin le temps où même le fascisme mussolinien devait ruser pour contourner le scepticisme des Italiens quant aux théories raciales, de même que le temps d'après-guerre où un certain nombre de GI noirs, une fois la guerre terminée, préférèrent rester en Italie plutôt que de retourner aux USA. Le racisme semble affreusement répandu. Dans le dialogue, il est également question des événements de Diaz (2008), où un étudiant contestataire a trouvé la mort pendant l'assaut des CRS. Les flics en discutent entre eux et c'est très intéressant. Au moins deux membres de l'unité sont des néofascistes avérés. Mais confrontés à un attentat raciste, ils n'en cherchent pas moins leur homme. Tout ça n'est pas simple, même si le film, lui, l'est.
C'est un film violent étant donné son sujet, mais sobre à la fois: on s'en rend compte quand on arrive à la fin en suspens. On se rend compte aussi que l'histoire qu'on nous raconte finit par rejoindre un schéma policier classique, mais vu que c'est narré, ma foi, assez différemment d'Hollywood, cela "passe" plutôt bien. Ce n'est pas d'ailleurs que toute morale est sauve, mais enfin un minimum de bon sens finit par prévaloir au milieu du chaos. Est-ce réaliste ? J'ose le croire.
Il règne sur ce film une remarquable tension, qui m'a tenu en haleine d'un bout à l'autre.
Les principaux personnages sont à la fois attachants et pourris, se considérant comme une fratrie, avec les sacrifices et les avantages d'une telle situation. La tension ne se relâche jamais, même dans les scènes en apparence anodines.
Stefano Sollima récidivera dans l'excellence en 2015 avec Suburra, qui fait de Rome une cité tentaculaire pourrie jusqu'à la moelle, où les néons et les boules à facettes ne sont que la devanture d'un monde rongé par la corruption, l'ambition, et une violence atavique qui gangrène toute une société.
Curieux de lire aujourd'hui ces avis fort intéressants sur ce film – qui donnent envie de le voir – à l'heure où nos forces de police savent garder un magnifique sang-froid devant des groupes anarchistes haineux qui veulent les tuer…
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