5,5/6. Une des innombrables réussites artistiques de Satyajit Ray. Il se passe peu de choses en apparence (quatre amis se réunissent à la campagne le temps d'un week-end, rencontrent des individus plus ou bien intentionnés). Mais les caractères se révèlent et des caractéristiques intangibles de la nature humaine émergent. Le style de Ray est à son zénith, et ce film se savoure instant par instant, plan par plan, idée par idée.
Je salue avec un peu d'avance l'arrivée d'un nouveau contributeur sur ce forum de dvdtoile : "JFR", qui a écrit une chronique intéressante sur ce film de Satyajit Ray, et qui va la publier ci-dessous dès qu'il a accès à son ordinateur… Sans doute la première chronique d'une longue série à venir car JFR (accessoirement mon partenaire hebdomadaire de tennis) est un admirateur de l'œuvre de Satyajit Ray et apprécie tout particulièrement le cinéma sud-coréen.
Film de Satyajït Ray, d'après le roman de Sunil Ganguly
Ce film décrit la société indienne en 1969 au travers de la vie de jeunes hommes et jeunes femmes bengalis. Satyajït Ray nous donne une image empreinte de réalité de la nouvelle classe moyenne bengalie sujette à des joies et des peines. Il ne s'agit pas de jeunes américains sur les plages de Floride, mais l'antithèse de ce type de film. Ici on sonde l'âme des individus et d'un pays en évolution ainsi que l'interaction des deux. Quand Aparna demande à Ashim s'il était conscient de l'état de santé de la femme du gardien, Ray nous pose, aussi, la question d'une tradition communautaire de l'entraide qui se perd au profit d'une plus grande individualité de la société indienne.
L'histoire se passe en forêt, un moyen d'extraite les personnages de leur espace social urbain et professionnel pour une mise à nue de leur âme. On souligne ici, un passage clé de la vie des hommes, tant sur le plan de l'inconscient et du conscient. La fin d'une certaine jeunesse et l'acceptation d'une vie d'adulte. Ce voyage en forêt apparaît donc comme un rite initiatique. Si le thème est emprunté au roman la mise en scène appartient à un Grand Satyajït Ray.
Le thème général du film se construit par une déclinaison en trois sous thème. Le premier s'attache à faire une description critique de chaque jeune homme qui est sondé jusqu'à l'âme. Ray expose les choix et les peurs inconscientes des personnages et essaye de les liés en toile de fonds à des problématiques de la société indienne. Par exemple, Sanjoy qui a renoncé à des études littéraires occupe un emploi de contremaître qui lui permet de subvenir au besoin de sa famille. Ce personnage est utilisé par Ray pour révéler le poids des traditions et notamment la responsabilité de certains jeunes de subvenir aux besoins de leur famille ainsi que l'obligation de se plier aux mariages « arrangés » (propos tenus par Ashim lors de la première soirée de beuverie). Sanjoy apparaît donc comme étouffé par cette tradition qui le rend amère. La vie des jeunes en ville est évoquée par un effet flash-back.
Ensuite, Ray nous dépeint la place de la femme indienne et pour cela il utilise les trois personnages féminins. Nous avons l'impression qu'il nous dresse différentes situations dans lesquelles ses femmes adoptent des choix et des comportements qu'il a décidé de servir. On dit que Ray donne une place particulière à la femme dans son cinéma, avec ce film, on peut oser dire qu'il va assimiler Aparna et les autres à des déesses indiennes. En effet, nous retrouvons l'évocation de la femme en tant que fille appartenant au père ensuite l'épouse qui est liée à son mari et enfin la femme veuve ou libre de tout attache.
Enfin, le dernier sujet, sous-jacent, est la mise en scène de la séparation qui se profile entre le monde rural et celui des villes.
L'oeuvre de Satyajit Ray, forte de 28 long-métrages et de plusieurs court métrages, réalisée sur une période de 37 ans (1955-1991), de Pather Panchali
à "Agantuk", est quand on creuse méthodiquement le sujet, de qualité inégale. Des oeuvres cinématographiques mineures (comme "Agantuk" -1991- vu ce soir, ou La pierre philosophale) y cotoient des sommets, aujourd'hui reconnus comme tels par les cinéphiles du monde entier. La moyenne de l'ensemble de l'oeuvre se situe néamoins très largement au-dessus de la moyenne des réalisations. Des jours et des nuits dans la forêt
fait partie de cette seconde catégorie, celle des chefs d'oeuvre. Revu hier soir sur grand écran, en compagnie de trois amis (un quatuor comme dans le film), et d'un public fourni, pour un film découvert pour ma part en dvd il y a quelques années. Le grand écran joue le rôle de juge de paix, Ray gagne a être vu dans une salle de cinéma, avec peut-être une introduction et un débat conclusif.
Des jours et des nuits, réalisé par Ray, en 1970, aurait été découvert en France en 1992 à l'occasion de la rétrospective consacrée à Ray, à Paris, pour la mort du réalisateur. Mieux vaut tard que jamais. Ce film aurait alors subjugué les cinéphiles de l'époque, et aurait été la surprise de cette rétrospective, si j'ai bien compris les propos énoncés le 2 novembre 2016 à l'occasion de l'ouverture de cette seconde rétrospective consacrée à Ray et donc réalisée vingt-cinq ans après la première. Les avis que j'ai recueillis hier soir auprès de mes amis (un cinéphile expérimenté, un cinéphile occasionnel, une novice) en sortant de la salle Henri Langlois
furent les suivants : "dès les premiers instants, avec la séquence dans la voiture, on sait que l'on va avoir affaire à du grand cinéma", "mélange de gravité et de légèreté", "mise en scène de très grande qualité". A mon avis, il s'agit-là d'un des tous meilleurs films de l'histoire du cinéma, particulièrement impressionnant par ses qualités artistiques.
http://www.bfi.org.uk/news-opinion/news-(..)
Une chronique particulièrement intéressante, concernant l'oeuvre de Satyajit Ray, est présente sur le site de la BFI (cinémathèque britannique).
On y lit ceci concernant Des jours et des nuits dans la forêt :
What the critics say “Ray gradually distils a magical world of absolute stasis: a shimmering summer’s day, a tranquil forest clearing, the two women strolling in a shady avenue, wistful yearnings as love and the need for love echo plangently … Beautifully shot and acted, it’s probably Ray’s masterpiece.” Tom Milne, Time Out magazine
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