Rareté dénichée en DVD Italie avec sous-titres anglais, Les Abandonnés, premier long-métrage de fiction de Francesco Maselli est une œuvre tout à fait réussie. Tout le début me rappelle, avec quelques années d'avance, un des aspects frappants du magnifique Été violent
de Zurlini
: ici aussi, on voit une jeunesse dorée se la couler douce en pleine Seconde Guerre mondiale. Mais bien entendu, il n'y aurait pas de film si la guerre ne rattrapait les insouciants personnages au tournant.
Car l'histoire débute quelque part entre le 25 juillet et le 8 septembre 1943. À la demande pressante du maire de la localité (un ex-fasciste repenti) le jeune comte Andrea, 19 ans, accepte d'héberger sur le vaste domaine ancestral une famille de réfugiés italiens dont le village a été détruit par les bombardements. La mère d'Andrea, la comtesse Luisa, est furieuse, mais se rend au fait accompli, ne pouvant se mettre la mairie à dos. Or parmi les membres de la famille misérable qui loge désormais dans une dépendance de la villa, il y a Lucia, 20 ans, ouvrière belle comme le jour dont le jeune comte s'éprend. C'est via cet amour naissant qu'Andrea va faire l'apprentissage douloureux de ses responsabilités devant la crise historique que traverse son pays. La situation prendra une tournure encore plus grave avec l'arrivée de nouveaux réfugiés qui eux ne sont plus des civils, mais des militaires italiens abandonnés par leur commandement et qui doivent désormais fuir l'armée allemande.
Sans être vraiment "choral" – le couple Andrea / Lucia est d'emblée au centre du récit – le film développe avec soin ses personnages, dont on note les réactions divergentes à la tempête d'histoire qui s'abat sur l'Italie. D'abord trois personnages masculins, qui ont tous 19-20 ans : le jeune comte Andrea, son cousin Carlo, son meilleur ami Ferruccio que la comtesse héberge en attendant que les choses se tassent à Milan. Carlo, le "jeune homme sérieux" du trio, est en conflit avec son père, un hiérarque fasciste, et le moment venu on ne s'étonne pas de le voir prendre fait et cause pour les soldats abandonnés du titre. À l'inverse, Ferruccio le boute-en-train est un viveur, voire un profiteur, le fascisme fait bien son affaire et de lui non plus on ne s'étonne pas qu'il devienne plus tard un traître. Quant à Andrea, jeune homme plein de bonnes intentions mais encore immature, il se trouve quelque part entre les deux. Mis au pied du mur, il viendra à deux doigts de joindre la Résistance pour suivre la belle Lucia… avant de plier piteusement devant sa comtesse de mère.
La mise en scène est simple, bien de son époque mais efficace, lyrique à l'occasion sans trop verser dans le mélodrame (on y verse quand même un peu). C'est bien contrôlé, un bon premier film qui méritait sûrement son Prix de la première œuvre à Venise. De toute évidence, l'auteur nous parle d'événements voire de personnages qu'il a connus de près – et ses scénaristes aussi. Dans les meilleurs moments, notamment le bouleversant finale, on sent que ça vient des tripes. En cours de récit s'inscrivent une foule de détails éloquents sur le fascisme ordinaire – comme ce maire ancien fasciste qui se convertit de nouveau au fascisme quand le vent tourne – sur la guerre de classes à l'italienne, sur la comtesse qui écoute la radio clandestine tous les soirs à six heures mais penchera inévitablement du côté du pouvoir et de ses sbires. Et en cours de route, on nous montre de façon tout à fait convaincante et naturelle comment des militaires italiens, démobilisés et pourchassés par les troupes allemandes à partir du 8 septembre 1943, deviennent graduellement des Résistants, mais beaucoup moins par conviction politique que sous la pression des circonstances : d'alliée, l'Allemagne est devenue ennemie et ils ont soudain les Allemands aux fesses.
Dans la première partie se manifestent à l'occasion des problèmes d'arrimage entre la dimension intime du film – l'histoire d'amour, les rapports d'Andrea avec sa mère, avec ses deux amis – et son ambitieuse dimension socio-historique; mais les fils se nouent de mieux en mieux dans la seconde partie, selon un crescendo narratif classique mais solide. Le rythme du récit est bien entendu un peu languide pour nos critères d'aujourd'hui, mais ça repose de Jason Bourne.
Jeune comédienne désormais aguerrie – elle a déjà tourné une bonne quinzaine de films – Lucia Bosè occupe inévitablement le centre du film. Et si sa beauté lumineuse continue de faire mal aux yeux, elle est ardente, elle sonne juste dans ce rôle, qui ne porte pas son prénom pour rien. Quel dommage qu'elle ait abandonné sa carrière l'année suivante. Et savez-vous quoi ? Jean-Pierre Mocky
acteur se débrouille pas mal du tout. Il y a une scène où il doit pleurer et ça ne me convainc pas, mais pour le reste c'est une surprise. (Ah ben ça alors, il n'a pas toujours été un vieux grincheux). Bien sûr, c'est sa belle gueule d'ange qui l'a mené là, mais il répond efficacement à un rôle pas si évident de jeune premier mi courageux, mi velléitaire. Je note aussi sa postsynchronisation impeccable. Autre surprise, un peu douloureuse celle-là : Antonio De Teffè, qui me semble tout à fait à l'aise dans le rôle de Carlo. Belle confrontation avec Isa Miranda,
pour un des rares dialogues ouvertement politiques du film. (La Comtesse : « Votre génération ne comprend pas. Vous ne comprenez pas ce que votre père a fait pour vous. » Carlo : « J'aime mon père. Quant à ma génération… Tout est détruit, tout a été balayé. Ma génération devra tout rebâtir. ») Or on sait que plus tard, sous le nom d'Anthony Steffen,
il jouera dans d'innombrables westerns spaghetti dont aucun, à ma connaissance en tout cas, ne sera mémorable. Dommage, car ce qu'il montre ici, tout jeune homme, est plutôt bon. Et parlant de western, Terence Hill
aussi est là, et il fait bien le peu qu'il a à faire, un jeune soldat agonisant. Les interprètes, en fait, sont tous excellents, avec une mention spéciale pour l'abattage de la diva Isa Miranda
dans le rôle de la comtesse.
La photo noir et blanc de Gianni Di Venanzo est splendide et précise, particulièrement dans les extérieurs, et la restauration est vraiment de l'ouvrage bien faite. La musique m'a semblé un peu pompière par moments, mais bon, c'est 1955… Il faut se remettre dans le bain…
Ça faisait longtemps que j'entendais parler de ce film, ça faisait longtemps aussi que je voulais enfin un film de Francesco Maselli dans ma collection : eh bien c'est fait ! Cinéaste italien peu connu du côté français des Alpes, mais fort estimé chez lui, et qui livre avec cette première fiction une autre pierre utile de la mosaïque made in Cinecittà qui dépeint le fascisme et la guerre.
Je maintiens donc avec enthousiasme mon vote pour une édition Zone 2 avec sous-titres français.
« Le film a semble-t-il été rebaptisé pour l'occasion Les Égarés. (Arca parlait des Abandonnés). »
Eh oui, car c'est ce que signifie Gli sbandati : "Les abandonnés". Mais on connaît le lourd passé des Français pour ce qui est de la traduction des titres de films italiens. Pour en rester seulement à l'exemple de Maselli, voir par exemple l'excellent Gli indifferenti (1964) qui au lieu de s'appeler "Les indifférents" a été bêtement affublé du titre "Les deux rivales", ce qui n'a aucun rapport avec l'histoire racontée par le film.
Je subodore parfois un petit complexe de supériorité à la française dans cette façon de "mettre sa marque", de refuser la traduction évidente pour une plus controuvée.
Arca est, comme toujours, un excellent avocat de ses passions mais il ne manie que rarement l'hyperbole. Pourtant je ne le suivrai pas, pas plus que je ne suivrai Spontex dans la note élevée qu’ils donnent à ce film. Les égarés est intéressant, excellemment mis en image et bien interprété, mais sa structure narrative est un peu lâche et, à mes yeux, il s'enfonce trop dans le mélodrame pour me satisfaire complètement.
Babioles, certes, que tout ceci.
J'ai largement préféré la première partie du film qui dépeint l'insouciance des jeunes patriciens oisifs qui passent des vacances paresseuses dans une sublime villa du Milanais, parce qu'elle m'a paru tout à fait véridique. Ces beaux jeunes gens qui passent leur temps à flirter sur les berges de la rivière, à bavarder sur leurs plaisirs et à dîner en tenue habillée ne voient de la guerre, de ses horreurs et de ses misères que l'écume des choses. C'est tout naturellement qu'Andréa (Jean-Pierre Mocky) et son ami Ferruccio (Leonardo Botta) tentent de séduire la sublime Lucia (Lucia Bose)
, pauvre petite ouvrière cartonnière que les hasards de la vie et de la fuite ont jeté dans le village, mais sans vraiment percevoir ce qu’elle a vécu. Il y a là quelque chose qui rappelle le très beau (mais un peu trop) Jardin des Finzi-Contini.
Je n'aurais sûrement pas remarqué l'acteur qui interprète Andréa, si je n'avais su que c'était l'alors très jeune Jean-Pierre Mocky, qui n'est pas très intéressant et qui aurait mieux fait de se tourner vers la passementerie ou l'expertise comptable plutôt que de demeurer dans le cinéma. En revanche je suis très admiratif de la qualité du jeu d'Isa Miranda,
la comtesse impérieuse, autoritaire et condescendante, actrice déjà appréciée dans le trop méconnu (et pourtant remarquable) Au delà des grilles
de René Clément).
Quant à Lucia Bose, que dire de sa parfaite beauté ? On ne peut qu'en rester baba. Au fait, savez-vous quel était le podium de l'élection de Miss Italie en 1947 (l'année de ma naissance, ce qui n'a aucun rapport, hélas !) : En 1, Lucia Bose,
donc. En 2, Gianna-Maria Canale.
En 3, Gina Lollobrigida.
Heureux Transalpins !
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