Forum - The Skin Game - métaphore christique
Accueil
Forum : The Skin Game

Sujet : métaphore christique


De urspoller, le 16 mai 2008 à 20:33
Note du film : 4/6

Malgré un essaim de métrages séraphiques voire immarcescibles, comme dirait notre impétueux camarade, signés Hitchcock, il reste toujours des trouvailles à redécouvrir. Pour obvier à mes carences hadales sur l'aurore de la filmographie de sir Alfred, je me suis fait offrir, tantôt, deux coffrets afin de fêter un événement personnel ou plutôt un épiphénomène à savoir l'entrée de votre serviteur dans le club des trentaines frais (c'est à voir ?) émoulus.

Assez digressé, revenons à nos moutons et à ce Skin Game, adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre (comme Murder ou Junon et le Paon) de John Galsworthy et dont l'intrigue ressemble à si méprendre à une variation de Roméo et Juliette à la sauce anglaise avec des relents bucoliques et industriels… Hitchcock, pourtant peu emballé par le projet, nous dépeint un affrontement sans concessions de deux familles aux idées, aux racines, au rang social et aux conceptions aux antipodes l'une de l'autre. Et comme de bien entendu, deux des rejetons s'énamourent au grand dam des géniteurs, véritables amblyopes incurieux de leur amour réciproque. Sur ce thème banal, le réalisateur, à travers cette fable moraliste, nous brosse l'évolution de la campagne anglaise face au développement industriel.

Cet opus est emblématique de la filmographique du cinéaste car il renferme trois éléments typiques de l'œuvre hitchcockienne à savoir le passé (souvent trouble), la culpabilité et le chantage. Comme de bien entendu, chacun de ces thèmes sous-tendent les autres et chacun se nourrit des autres.
Ici, le point focal du drame reste la culpabilité engendrant une inéluctable perdition des protagonistes et nimbant le métrage d'un véritable halo enténébré peu propice aux bons sentiments.

Dans le cinéma hitchcockien, la culpabilité a un poids chrétien –voire christique- (comme chez John Ford) mais, dans ce métrage, il n'y a aucune rédemption possible. L'expiation ne peut être absoute car à l'instar de Moïse et de ses ouailles obligés de errer dans le désert pour mériter la Terre Promise en raison des souillures du péché intervenues lors de l'épisode du Veau d'or où d'aucuns se sont vautrés dans le stupre et la fornication. La culpabilité selon le cinéaste perdure et se décline de film en film. Pour sir Alfred, chacun est un coupable en puissance (souvenez-vous de la mort de l'enfant dans Sabotage) et dont une part de culpabilité sommeille en chacun de nous.

Le cinéaste développe des concepts universels qui ont fait l'objet d'analyses érudites par les philosophes Szeliga ou Marx. Ici, « le gros Homme » s'attaque au mystère de la bonne société, au mystère de la prostitution (quoi que le terme n'est jamais prononcé), au mystère du crime (surtout moral), au mystère de l'expiation, en reprenant aussi les éléments de base du roman d'Eugène Sue, Les mystères de Paris. Dans le droit fil de ces prédécesseurs, Hitchcock appuie sur le sentiment de culpabilité en faisant de Chloé (la gracile Phyllis Konstam) une digne épigone de « la goualeuse » d'Eugène Sue. Sans donner de réponse, Sir Alfred montre que ces mystères sont sous-tendus par une réalité implacable, irréductiblement obscure, dans laquelle c'est la loi du pire qui prévaut comme dans une farce absurde et ubuesque de Samuel Beckett. Mais, dans le temps, la pensée nimbée de réalisme et de pessimisme d'Hitchcock évoluera, notamment dans sa période américaine où l'expiation et la rédemption s'avèreront possibles comme dans Rebecca, Les enchaînés ou La mort aux trousses.
Dans ce métrage, comme dans le faux Coupable ou dans la loi du silence, le héros hitchcockien subit les événements sans révolte et sans illusions. Sir Alfred dépeint ici Chloé comme l'archétype nouveau de la « Passion » au sens dogmatique du Christianisme et en référence aux derniers jours de Jésus. Finalement, on sent poindre derrière le propos du cinéaste une certaine image nouvelle de la sanctification comme seule issue au dilemme moral de l'héroïne perdue.

Côté technique, il est à noter les zooms itératifs du visage du zig à l'origine des maux de la famille Hornblower. En sus, comme souvent à cette époque (n'oublions pas que le film date de 1930), sir Alfred utilise des maquettes comme celle de l'usine. Une scène reste emblématique de ce film à savoir la scène de la vente aux enchères dans laquelle sir Alfred fait montre de toute l'étendue de son talent, en instillant un suspens allant crescendo par le seul biais de l'utilisation du découpage et des effets sonores assez réussis.
Côté acteur, on peut souligner la présence de deux fidèles : le charismatique Edmund Gwenn et le peu connu John Longden.
Et puis, pour l'anecdote, signalons le rigorisme benoît d'Hitchcock qui fît tourner plusieurs fois la scène du suicide, obligeant l'actrice à piquer une tête dans une piscine et se changer une dizaine de fois. Kim Novak sera soumise au même bizutage des années plus tard, dans Sueurs froides.

In fine, là où d'aucuns, à l'instar de Rohmer ou de Chabrol, voient un film bâclé pour ne pas dire raté, je préfère me démarquer en soulignant le foisonnement du contenu malgré un manque de rythme certain, une interprétation d'ensemble très théâtrale et un verbiage propre aux premiers métrages parlants. Bref, j'ai apprécié ce Skin Game (signifiant jeu de dupes), je suis peut-être le seul mais la profondeur des thèmes développés pousse le spectateur à une inévitable introspection et oblige à s'interroger sur la condition humaine .

Pour certains, ces longs-métrages du début des années 1930 n'ont de valeur ou d'intérêt que parce qu'ils sont le substrat de films à venir et d'aucuns les considèrent même comme des « brouillons » plus ou moins aboutis des multiples chefs-d'œuvre à venir de la part de Hitchcock. Pour sûr, les inconditionnels des effets spéciaux, des meurtres sanguinolents, des embrasement pyrotechniques y seront pour leurs frais.


Répondre

De Torgnole, le 18 mai 2008 à 17:38

J'ai dit que j'adorais, ce n'était pas de l'ironie. Je respecte beaucoup votre richesse de vocabulaire Urspoller. J'ai besoin d'un dico pour vous lire ce qui est un peu décourageant mais jamais je n'en voudrais à quelqu'un parce qu'il a plus de vocabulaire que moi, le lui reprocher serait vraiment très con de ma part et je préfère depenser ma connerie pour d'autres sujets. En fait, l'idéal serait que vos messages soit accompagnés d'un lexique (arf!).

Jolem, qu'est ce qui t'arrive, y t'as rien fait ce pauv' bonhomme, je ne comprend pas trop ton coup de sang, ça y est, tu viens d'avoir 25 piges et t'es déjà un vieux grincheux. En tous cas, je suis sûr que Urspoller à vraiment trente ans, ça ne m'étonne pas du tout en fait, je pensais même qu'il était plus jeune.

Et puis je me suis rendu compte que j'ai écrit plein de petits messages débiles vers quatre heure du matin. J'en tenais une bonne, c'est sûr, mais Hoffman n'y est pour rien, c'était plus la faute à Dionysos.


Répondre

De urspoller, le 18 mai 2008 à 18:13
Note du film : 4/6

Ah bon, Torgnole, ce n'était donc pas de l'ironie ! Pourtant, m'affubler du doux sobriquet d'urspollueur aurait pu nimber votre propos d'halo railleur….

Mais, avec l'âge – âge qui semble intéresser beaucoup de monde – j'ai appris à faire montre d'un minimum d'équanimité… hem, hem, là j'exagère un peu car je reste, par moment, un être un tantinet soupe-au-lait au grand dam de ma grand-mère.


Répondre

De urspoller, le 18 mai 2008 à 20:02
Note du film : 4/6

Aïe, un mauvais souvenir sur le site, car je crois avoir eu maille à partir avec notre ami Arca à propos de cette adaptation d'Hemingway.

Déifiant littéralement Ingrid Bergman et ne détestant point Gary Cooper, je pense regarder ce métrage ce soir. Mais jeter un oeil sur le fil de cet opus et vous aurez quelques éclaircissements ou du moins des points de vue (certes, pas toujours très objectifs).


Répondre

De urspoller, le 26 mai 2008 à 17:51
Note du film : 4/6

Je tenais à rajouter quelques lignes à ma précédente glose, car j'appris entre temps que cette adaptation du futur prix Nobel de littérature, John Galsworthy, constitue en fait un remake, au titre éponyme, tourné en 1921 par l'obscur Doxat-Pratt. En outre, dans cette première version, on pouvait déjà voir le nom d'Edmund Gwenn que l'on apercevra dans trois autres métrages de sir Alfred à savoir Le chant du Danube, Correspondant 17 et Mais qui a tué Harry ?.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0057 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter