Peut être le plus beau film de John Huston.
Les désaxés, chef d'œuvre de John Huston, est un film crépusculaire.
La fin d'une époque pour Hollywood avec le terme proche du règne des studios et l'avènement annoncé d'un nouveau type de cinéma.
La fin d'un monde pour les héros du film, incapables de s'adapter à une ère nouvelle où les cow-boys ne sont plus les rois de la prairie mais des « has been » tout juste bons à traquer les derniers mustangs pour les revendre à des industries de nourriture pour chiens, ou à se défoncer dans les rodéos.
Et bientôt la fin pour ses interprètes, si proches de leurs personnages : Pour Clark Gable, le vieux lion fatigué, qui mourra d'une crise cardiaque quelques jours après le tournage.
Pour Montgomery Clift, le garçon trop sensible abîmé par la vie, marqué dans son cœur et dans sa chair.
C'est aussi le chant du cygne pour Marilyn Monroe, dans un rôle écrit pour elle par son dernier époux, le dramaturge Arthur Miller.
Marilyn dans son dernier film achevé. Marilyn, à fleur de peau sur le tournage, qui finit par craquer devant la caméra dans une crise de nerfs non feinte, conduite au bout de son rouleau par le système même d'Hollywood, tel Cronos dévorant ses enfants.Marilyn, selon Frédéric Mitterrand, « la petite blonde trop tendre qui paiera de sa vie la facture de la fin du monde en scope couleur… »
Amen !
Et comme, en plus dans Les désaxés surgissaient comme de chers fantômes les images de Marilyn et de Clark Gable dont ce furent les dernières interprétations, qu'un ange sombre tournait depuis longtemps au dessus de Montgomery Clift et que se présentait un film en Noir et Blanc dans ce Nevada désertique où sont bâties deux des capitales mondiales du mauvais goût, Las Vegas et Reno, j'étais assez bien disposé à regarder ce film qui ne rencontra pourtant pas de succès, ni public, ni critique lors de sa sortie.
Étrange impression : une première heure et demie qui est une sorte de mixture indigeste, un gloubi-glouba invertébré où les personnages s'agitent de façon incohérente et quelquefois insupportable dans une sorte de formidable bordel visuel qui ne permet pas de s'y attacher le moins du monde ; je veux bien que ces tourbillons de récit entendent aussi représenter le désarroi de ces vieux sauvages qui ne veulent en aucun cas entrer dans le système et ne survivent que par des boulots de fortune, conformes aux traditions du vieil Ouest ; aux États-Unis subsistent encore d'étranges groupes dits libertariens, qui refusent toute soumission à l'ordre social et entendent vivre comme ça leur chante.Pour Gay (Clark Gable) et son ami Guido (Eli Wallach) qui voient bien, sans se l'avouer, que le monde ancien s'efface il faut essayer de pousser jusqu'au bout ce qui a été fait jusque là. Tu commences à puer le travailleur ! dit Gay à Pierre (Montgomery Clift) qui envisage de plus en plus souvent d'abandonner les rudes peignées des rodéos, où il se fait ravager la figure plus souvent qu'à son tour. On n'est pas forcément passionné par ces ringards fatigué et à peu près insignifiants, sans rien en eux qui pèse ou qui pose.
Mais la dernière demi-heure est, elle, superbe, souvent glaçante. Sur une sorte de grand lac salé asséché parfaitement plat se joue la survie de chacun, ce qui va finalement les diriger vers les multiples médiocrités de leurs destins. S'il n'y avait que ces séquences où Marilyn vit une réelle crise de nerfs, où Clark Gable se montre aussi sauvage et brutal qu'il peut l'être dans les meilleures séquences de Autant en emporte le vent, où Montgomery Clift joue le personnage torturé, angoissé, épuisé qui correspond le mieux à ce qu'il a été.D'une certaine façon, je ne vois pas que ce film ait le moindre intérêt ; d'une autre, je me dis qu'il n'est sûrement pas absurde que trois des plus grandes étoiles d'Hollywood s'y soient éteintes.
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