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Forum : Les Inconnus dans la maison

Sujet : Chantier de jeunesse


De Impétueux, le 26 août 2007 à 17:52
Note du film : 4/6

Ce n'est pas un grand film, Les inconnus dans la maison, mais c'est un film important de l'histoire du cinéma français, qui a suffisamment durablement marqué les esprits pour que, cinquante ans après sa réalisation, Georges Lautner, sans doute en panne d'inspiration en ait fait un remake infâme avec un Belmondo gagattant, intitulé L'inconnu dans la maison.

On ne peut dire qu'Henri Decoin ait incommensurablement plus de talent que Georges Lautner : l'un et l'autre ont été de bons artisans du cinéma français, à l'œuvre variée, parsemée de réussites plaisantes et de médiocrités assumées. Mais Decoin a eu la chance infinie de trouver en Raimu, qui n'a plus alors que trois ou quatre ans à vivre, un de ces acteurs qui illumine tellement un rôle que l'on passe volontiers sur d'autres insuffisances.

Insuffisances surtout manifestes, d'ailleurs, dans le jeu exalté et naïf des cinq jeunes crétins qui, étouffant dans l'atmosphère rancie de la petite ville confite et crasseuse où ils vivent, tentent, pour s'en échapper, d'enflammer leur vie sans se faire prendre, jouant avec le feu avec leurs toutes petites allumettes ; à part Mouloudji, d'ailleurs à peu près aussi mauvais que les autres, aucun n'a d'ailleurs fait la moindre carrière cinématographique (curieusement, le plus épouvantable acteur, Marc Doelnitz, est devenu, après la guerre, une des grandes figures de l'intelligentsia germanopratine). (En revanche, les adultes acteurs sont tous excellents : Gabrielle Fontan, Jean Tissier, Jacques Baumer, Héléna Manson, Noël Roquevert)

En fait, le film est assez déséquilibré : manichéen dans la peinture des adultes, tous peureux, lâches, minables, quelle que soit leur position sociale, comparés à la fraîcheur des jeunes gens ; surtout déséquilibré dans sa composition, tout conduisant au (relativement) court morceau de bravoure qu'est le procès et, davantage, dans le procès à la plaidoirie de Loursat (Raimu, donc).

Mais cette plaidoirie est d'une force si extraordinaire, le grand Jules s'y donnant avec une telle intensité, un tel talent, une telle puissance qu'elle justifierait presque à elle toute seule qu'on apprécie le film, d'autant qu'on a vu, pendant tout le reste du film, une pauvre créature lamentable et avinée, bafouée par ses serviteurs, ses parents, sa fille, même…et que, le verdict prononcé, Loursat redeviendra évidemment l'ivrogne qu'il est depuis vingt ans, depuis que sa femme l'a quitté…

Une note qui ne manque pas d'intérêt, et qui peut expliquer pourquoi j'ai intitulé Chantier de jeunesse cet avis : le film – qu'on pourra taxer d'antisémitisme, alors qu'il l'est bien moins que le roman éponyme de Simenon – date donc de 1942. Or, la plaidoirie de Loursat reprend bien des thèmes de l'École d'Uriage, qui formait, précisément, les cadres des Chantiers : la diatribe de Loursat aux Jurés : Dans notre ville, pouvez-vous m'indiquer le chemin du stade ? du vélodrome ? de la piscine ? … Il n'y en a pas ! Mais il y a 132 cafés ! Je les ai comptés, cette diatribe, c'est exactement le ton employé à Uriage contre les buveurs de Pernod, en faveur de la nature, du sport, du grand air. (Je signale aux esprits faux qu'Uriage a fourni nombre de cadres à la Résistance, et qu'il n'y avait d'ailleurs là aucune différence avec l'action de Léo Lagrange, secrétaire d'Etat de Léon Blum).

Pour crétins qu'ils sont, ces presque adolescents sont moins coupables que leurs parents, faux-jetons, parcimonieux, rapaces, hypocrites, laids…

Et ça fait penser à quoi tout ça ? Un film de la même époque… comme lui interdit à la Libération… Vous ne voyez pas ? Tout simplement Le corbeau, que les Allemands avaient diffusé sous le titre Une petite ville française

Et savez-vous qui a adapté et dialogué le roman de Simenon pour en faire Les inconnus dans la maison ? Tout simplement Henri-Georges Clouzot ! Il y a des choses qui ne s'inventent pas…


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De droudrou, le 26 août 2007 à 18:52

Non que je réfute l'argument de notre ami Impétueux, bien au contraire. Ce qui m'ennuie est qu'un autre avis ait été précédemment donné et que nous n'en disposons pas. Ca m'aurait intéressé de pouvoir le lire et me faire une idée plus conforme (peut-être) du film. Il y a chez notre (mon) ami Impétueux une telle érudition… et que j'avoue humblement mon inculture par rapport à toute une tranche du cinéma français d'une époque très large.


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De Impétueux, le 26 août 2007 à 21:04
Note du film : 4/6

Qu'est-ce que vous nous faites là, Droudrou, dans la crise de modestie, alors que vos avis sont pertinents et argumentés !!!

Ce qui l'est moins, c'est la référence à un autre contributeur qui aurait écrit quelque chose sur Les inconnus dans la maison, et dont je n'ai pas trouvé trace… A quoi donc faites-vous allusion ?


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De droudrou, le 26 août 2007 à 21:37

Mon cher Impétueux, découvrant votre texte, j'ai regardé la fiche du film qui précisait qu'il existait un autre avis que le vôtre. Inutile de vous évoquer ma curiosité… Ce qui ne retire rien à ce que vous évoquez en terme de cadre d'une certaine époque, bien au contraire.


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De EL, le 7 novembre 2009 à 18:13

Ouh là ! Le film est nettement antisémite en ce que le criminel a un prénom juif… alors que justement dans le roman éponyme de Simenon ledit jeune criminel avait un nom bien chrétien et n'avait rien de juif. Le roman n'a pas la moindre trace d'antisémitisme et je vous invite à (re ?)ire ce chef-d'oeuvre. Votre intérêt pour le film a brouillé vos souvenirs sur ce roman…


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De Impétueux, le 7 novembre 2009 à 19:22
Note du film : 4/6

Je ne vais pas relire le roman, El, alors que je vais prochainement aborder Pedigree et les autres romans du troisième tome que La Pléiade, devant le succès réel rencontré par les deux premiers tomes, qui se voulaient, sinon exhaustifs, du moins exclusifs, parce que représentatifs.

Je ne vais pas me plonger dans une relecture tatillonne, qui me donnerait évidemment raison, mais vous taper sur le bec ; nier l'antisémitisme tranquille de Georges Simenon serait prétendre que la terre est plate ; tranquille, cet antisémitisme, parce que, comme bon nombre de ceux de l'époque – je veux dire avant la révélation de l'épouvante de l'Holocauste – il est une de ces données – détestables, évidemment, mais très partagées – de la petite bourgeoisie et du populo de l'époque.

Je n'ai ni le temps, ni l'envie d'aller fouiller ce soir les textes, mais ma lecture de la biographie que Pierre Assouline a consacrée à Simenon n'est pas si lointaine (cette année, en tout cas) pour que je vous y renvoie.

Ah, et puis, vous êtes trop agaçant, et me poussez : j'ouvre au hasard, le roman, dans l'édition de La Pléiade, je tombe sur le procès, page 1033 ; Luska l'assassin y est bien prénommé Ephraïm.

Disparaissez, El, le nez dans votre fiente ! Ou venez me chercher sur des terrains plus solides pour vous (s'il en existe).


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De vincentp, le 14 août 2013 à 22:53
Note du film : 3/6

Piouf… J'ai du mal à comprendre comment notre grand-oncle de ce forum a pu attribuer si gaillardement (en embrochant un contradicteur) une note de 5/6 à ce poussif film franchouillard. Intrigue pas très claire, dialogues guindés, personnages caricaturaux, la plupart des acteurs pas très bons. "Ecole d'Uriage" ? Moi, pas connaître ! Effectivement, Raimu est là, excellent d'un bout à l'autre, et sauve le film ! Maître de lui, de ses pensées et émotions, on a du mal à croire qu'il épanche sa peine dans la boisson ! Il a au contraire les idées bien claires de quelqu'un ayant de la ressource…

…et buvant comme moi de l'eau minérale exclusivement ! Préférons donc Le corbeau sur la France de la petite ville du début des années 1940 : une oeuvre d'un autre calibre ! Ce présent film de Decoin est plutôt destiné aux collectionneurs des oeuvres mineures du cinéma français, béret – baguette de pain – verre de rouge ! J'aime bien la BD Gil Jourdan, sur les milieux sociaux populaires ou non des années cinquante : je crois qu'il faut avoir été baigné dans ce type d'oeuvre dès sa plus tendre enfance, sinon l'acclimatation est très difficile, surtout à l'époque des tablettes tactiles !


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De Impétueux, le 15 août 2013 à 12:37
Note du film : 4/6

Je conviens volontiers que j'avais plutôt forcé la note, en attribuant un 5, et, de ce pas, je rectifie ma note en 4. Cela étant, vous avez dû mal lire mon message car j'ai l'impression de n'avoir pas été dithyrambique, bien loin de là !

Je notais néanmoins que Les inconnus dans la maison étaient, malgré les graves défauts que vous et moi relevons, Vincentp, un film extrêmement typique d'une époque et qu'à ce titre il est intéressant pour l'histoire du cinéma. Un peu comme le sont des films artistiquement médiocres, ou insignifiants, comme La boum, Diva, Le grand bleu : des témoignages d'un certain esprit de l'époque.

Le film d'Henri Decoin date de 1942, qui est une date nullement dénuée d'importance. Que vous ignoriez ce que fut l'École des cadres d'Uriage m'étonne tout de même un peu. Comment pourrait-on avoir un regard un peu solide sur l'évolution de l'opinion publique entre 40 et 44 sans prendre en compte ce type de structure ? (Je vous renvoie à Wikipédia qui comporte un article excellent et dense). À moins que vous ne disiez que l'histoire de pays étrangers vous intéresse plus que celle du vôtre ? Je sais que l'Histoire qui devrait être LA discipline majeure de l'instruction, seule à même, avec la géographie, de permettre la compréhension du monde incertain (comme il l'a toujours été) qui nous entoure, est la grande méprisée de l'enseignement depuis 68… Mais enfin, alors qu'on n'arrête pas d'évoquer ce que la doxa appelle les années les plus sombres de notre pays (comme s'il n'y en avait pas eu d'autres !!!), c'est dommage de faire mine d'ignorer des choses essentielles.

Ah ! Et puis, par rapport à La boum, Diva, Le grand bleu cités plus haut, Les inconnus dans la maison présentent un intérêt extraordinaire : la présence de Raimu qui, à lui seul, sauve et justifie la persistance du film dans les mémoires.

Mais je suis bien de votre avis : ce n'est pas la qualité du Corbeau, loin de là. N'empêche qu'il faut regarder en perspective…


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De Frydman Charles, le 2 décembre 2024 à 06:28
Note du film : 5/6

Je trouve que le nom de l'avocat Loursat rime avec celui du véritable coupable Luska. On lit au paragraphe autour du film de Wikipedia les inconnus dans la maison Après la Seconde Guerre mondiale, certaines voix s'élèvent pour interdire le film jugé antisémite car l'un des accusés porte un nom à consonance israélite « Ephraïm Luska ». Decoin est alors obligé de modifier sa copie sous peine de censure : le personnage interprété par Marcel Mouloudji est rebaptisé « Amédée » dans une version re-postsynchronisée. Mais Raimu étant décédé en 1946, son dialogue ne put être redoublé et il continue d'appeler son client « Ephraïm », le personnage semblant dès lors avoir deux prénoms. Dans le roman de Simenon, le jeune homme se nomme bel et bien « Ephraïm Luska » mais on l'appelle « Justin » pour le différencier de son père qui se prénomme également « Ephraïm ».

Et effectivement

51 mn alors que Luska fait ressentir son amour pour Nicole en se disant soi disant solidaire de Nicole pour défendre Manu ,Nicole dit "donne moi ta main Amédée". 54 mn le père de Nicole arrive, Mouloudji "Maître, Je m'appele Luska,Amédée Luska, 1 h 12 mn au tribunal l'avocat Mtre Loursat dit Amédée Luska., 1 h 21 mn maître Louskas : "Ephraïm Luska fuit la maison de ses parents". A 1 h 29 mn maître Louskas appelle Luska à la barre sans préciser le prénom. Et plusieurs fois après 1 h 33 mn lorsqu'il interroge Luska sans dire son prénom .

Cette incohérence passe inaperçue. On trouve 7 occurrences d'Ephraim dans le roman. Une description désobligeante du père qui porte le même prénom que son fils : C'est lui qui avait amené, presque de force, le gras M. Luska, Éphraïm Luska, aux cuisses si épaisses qu'elles l'obligeaient à marcher les jambes écartées.. Un prénom juif : Luska, au contraire, à cause de ses cheveux roux, de son nom, de son véritable prénom qui est Éphraïm et de l'origine orientale de son père, était la bête noire de ses camarades… . La nécessité du nom d'usage Justin pour le distinguer de son père prénommé aussi Ephraim, et pour ne pas être la bête noire de ses camarades Éphraïm Luska, dit Justin… Vous jurez de dire toute vérité… dites je le jure.

Le prenom Ephraïm se trouve également dans le roman clairement antisemite "Pietr le letton" écrit par Simenon en 1929, et dans l'adaptation télévisée en 1972 avec Jean Richard. Cette adaptatiin fait abstraction de l'aspect antisémite du roman.


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