Extraordinaire tragédie sur la tyrannie et l'injustice, à la progression narrative implacable. Et s'il est vrai que les confrontations sont d'abord diplomatiques et politiques, on ne perd rien pour attendre : la fureur du juste Toshiro Mifune dans les dernières séquences est un sacré morceau de bravoure. Le verbe sabrer prend ici tout son sens !

Mais dans le genre dialogue politique, la convocation du préposé aux frontières Nakadai est un très savoureux moment. Parce qu'il est réputé aussi habile au sabre que Mifune, c'est à lui qu'on demande d'aller tuer les deux samouraïs rebelles. Mais lui la joue protocolaire et bureaucratique : aller arrêter ces samouraïs, explique-t-il, c'est la tâche du superintendant. Moi, je suis en charge des frontières, de qui entre et sort de notre domaine. Depuis quand suis-je superintendant ? Depuis quand un préposé aux frontières procède-t-il à des arrestations ? Ou alors, qu'on me nomme superintendant séance tenante, avec les vastes terres qui viennent avec. Ses supérieurs ont beau être furieux d'une telle réponse, ils ne peuvent rien contre sa position strictement conforme au protocole.

Séquence qui rend d'autant plus prenante la scène du duel à la frontière du domaine : là l'homme est dans ses fonctions de gardien des portes, et il n'est pas question qu'il laisse passer Toshiro Mifune…

Continuant mon périple dans les classiques japonais, je découvre ce Rebellion magnifique, d'une sobriété, d'une dignité rares.

Découvert sur grand-écran, en copie 35 mm, avec une présentation live préalable du film par Joel Cohen qui était visiblement de passage dans le coin (il s'agit d'un de ses films de chevet)… Rébellion (1967), réalisé par Masaki Kobayashi, c'est un noir et blanc photographié par Kazuo Yamada, technicien exprimenté avec à son actif 76 films japonais, de 1951 à 1979. La forme de Rébellion est de prime abord austère, ceci s'ajoutant à une intrigue un peu confuse, qui s'éclaircit néanmoins rapidement. Il faut s'accrocher un peu.. Le cinéphile le peut, la famille Michu ou Tuche ne le pourra pas. On a affaire à une adaptation d'une oeuvre de l'écrivain Yasuhiko Takiguchi (1924-2004), également auteur de Hara-Kiri adapté en 1962 par le même Masaki Kobayashi. Shinobu Hashimoto, connu pour ses scénarios pour Kurosawa collabore également au scénario de Rébellion.

Récit tragique, abordant les thèmes du pouvoir absolu et des contre-pouvoirs, du courage et de l'abnégation. De la diplomatie, des discussions tout azimuts, et puis c'est l'heure des règlements de compte. Des plans élaborés (notamment des plongées verticales), une gestion de la lumière sophistiquée. Au fur et au mesure que l'heure tourne (durée : 128 minutes), on comprend que l'on a affaire à une des oeuvres magistrales du cinéma japonais d'après-guerre. Certes il y en a un certain nombre, et on n'a pas encore tout vu… On peut relever comme Arca1943 l'interprétation prodigieuse de Toshiro Mifune et de Tatsuya Nakadai, comme dans Sanjuro, très complémentaires (la fougue et l'audace face à la raison et à la sagesse). Kobayashi est surtout connu pour son triptyque La condition de l'homme, mais il y a probablement tout un pan caché de son oeuvre à redécouvrir.