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Sujet : Une vision rare de la Guerre


De PM Jarriq, le 23 juin 2007 à 18:00
Note du film : 4/6

Indubitablement un des meilleurs films de Tavernier, un des plus aboutis formellement, et décrivant les coulisses ignorées d'une guerre particulièrement horrible, celle de 14-18. C'est aussi un des vrais bons rôles de Noiret, comédien tous terrains, souvent mal utilisé, et qui est ici d'une justesse, d'une puissance étonnantes. L'uniforme, la barbe, la coupe en brosse atténuent sa nonchalence habituelle, et cette métamorphose physique semble avoir été bénéfique à son jeu. Face à lui, Azéma est remarquable, et Perrot hilarant en officier abruti et royalement incompétent. Le choix des décors (cet hôtel de fortune installé dans une usine), la photo bleutée monochrome, tout participe de l'ambiance morbide, comme figée dans le temps, et malgré quelques longueurs (tout ce qui concerne le sculpteur, surjoué par Maurice Barrier), et répliques parfois un peu ampoulées, La vie et rien d'autre est un des bons films sur la Première Guerre Mondiale, même s'il se déroule deux ans après.


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De Impétueux, le 24 juin 2007 à 18:43
Note du film : 4/6

Tout à fait de votre avis, PM Jarriq ! Sans doute Bertrand Tavernier est-il, dans ce film, comme d'habitude, un peu lourd, un peu démonstratif, tutoyant si souvent l'excès qu'il y tombe quelquefois…mais plutôt moins là que dans d'autres de ses oeuvres…

Et puis La vie et rien d'autre donne de la Grande guerre un visage rarement montré : celui des suites de la catastrophe. Aujourd'hui, où dès que dix pauvres braves garçons se font assassiner par un terroriste kamikaze, leur mort est annoncée en direct live, on n'imagine pas ce qu'a été la Marne, en août 14, ou le Chemin des Dames en avril 17 : des dizaines de milliers de morts en quelques jours (110.000 en cinq semaines en 17).

Dès lors, le monde qui a émergé des décombres n'est plus le même et ne le sera plus jamais et l'on vient à se demander si la guerre n'a pas été comme un de ces gros orages de la belle saison qui détraquent le temps et qui font que tout un été se pourrit.

Sur le fil du Trio infernal, j'ai admiré la capacité de Francis Girod à reconstituer le côté argent facile-années folles-nouba-perte des repères qui va de pair avec le jazz, le surréalisme, les garçonnes et le charleston.

Dans La vie et rien d'autre, c'est un autre portrait, qui n'est pas davantage reluisant : celui des terres bouleversées à un point tel que les collines sont devenues des plaines crevassées, que des villages entiers ont été rayés de la carte (dans le département de la Meuse, aujourd'hui encore, plusieurs communes, maintenues dans ce statut par une sorte d'hommage national, ont une existence fictive), et que, comme le relate le film, des milliers de personnes recherchent leurs morts, leurs blessés, leurs disparus.

Un film récent, de Gabriel Le Bomin, avec Grégori Dérangère, qui s'appelle Les fragments d'Antonin jette, lui aussi, un regard pieux sur ces massacrés de la vie, et me paraît plus proche, à bien des égards, de l'atmosphère sèche, austère de La vie et rien d'autre que le clinquant (mais non négligeable) Long dimanche de fiançailles, où le récit romanesque éparpille par trop l'attention.

Car les tonalités bleues monochromes de ces terres de l'Est humide (comme PM Jarriq a raison de le souligner), la pesanteur de la fatigue portée par le major Delaplane (Noiret), l'omniprésence de la boue, des obus qui traînent encore partout, des populations tout à tour hagardes et profiteuses, tout cela donne une image qui doit ressembler d'assez près à ce que ces années-là étaient dans des pays où la frénésie de vie de Paris resterait longtemps un vain mot…


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De Arca1943, le 24 juin 2007 à 19:21
Note du film : 6/6

J'ai peu de choses à ajouter à ces excellents commentaires, sinon un beau 6 bien rond. Bien sûr il me faudrait expliquer pourquoi je fustige le caractère démonstratif de Tavernier dans Le Juge et l'assassin et pourquoi, ici, alors qu'il n'a pas vraiment changé, j'ai envie de lui donner du lest, d'être indulgent… pourquoi est-ce je trouve que ça "passe" comme une lettre à la poste dans ce film et que c'est indigeste dans l'autre cas ? Ça n'est pas simple. Enfin, disons qu'ici Tavernier me semble beaucoup plus habile dans son propos.

C'est qu'il s'agit, comme toujours, de trouver, de choisir la bonne histoire à raconter : ainsi il est juste logique, tout simplement, que cette fameuse initiative du Soldat inconnu se heurte à l'hostilité immédiate de l'officier incarné par Philippe Noiret, puisque sa mission est d'identifier les morts. Ça contredit ses ordres et voilà tout. Il pourrait ne pas y avoir d'histoire que le film serait à peine moins bon : pour ma part, le film aurait pu se poursuivre dans un style semi-documentaire pendant disons une heure trente, juste sur le fait qu'au lendemain d'une guerre – et à plus forte raison de cette guerre-là – il y a des gens dont le travail (bon sang mais c'est bien sûr) consiste en ce puzzle insensé de fiches, d'indices, de lettres, d'objets en vrac et d'épouses en pleurs. Il y a une sorte de lyrisme à rebours dans ce film qui a vraiment emporté mon adhésion. Quand j'ai vu La vie et rien d'autre en salle, à sa sortie, ça faisait un bout de temps qu'un film français ne m'avait pas vraiment bien vissé dans mon fauteuil, vraiment emporté. Mais là, ça y était ! Le coup de coeur, le vrai : je suis tombé en amour avec ce film.

La scène où Noiret – encore meilleur que d'habitude, ce qui n'est pas peu dire – est juste au bord de dire « Je vous aime » à Sabine Azéma et qu'il ne le dit pas, c'est vraiment trop fort. Ça donne envie de jeter des objets sur l'écran, de se mettre les mains en porte-voix pour encourager le personnage. « Allez ! Mais allez, dis-lui, quoi ! » Chapeau aux artisans décorateurs, scénographes, costumiers et autres spécialistes du détail-que-personne-ne-remarque qui se sont surpassés pour produire cette ambiance très spéciale et très convaincante de lendemain d'apocalypse.


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De droudrou, le 24 juin 2007 à 20:34

En certains endroits de la Meuse, l'atmosphère reste encore aujourd'hui très lourde et certaines parts de la population semblent encore porter le poids du cataclysme humain qui a frappé la région…


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De Gaulhenrix, le 25 juin 2007 à 00:00

Pour revenir sur ce qu'évoque le film plutôt que sur le film que je ne connais malheureusement pas…

Chaque fois que je découvre un village de France – fût-il le plus modeste -, je ne cesse d'être abasourdi par le massacre affiché sur le Monuments aux morts de la Grande Guerre et la répétition toujours recommencée, d'un village à l'autre, du nombre élevé de morts. Il m'arrive fréquemment de lire trois fois le même nom avec des prénoms différents, au point que de nombreux patronymes ont dû disparaître ! Si l'on remonte à la terrible saignée des guerres napoléoniennes, on comprend que notre pays – le plus peuplé d'Europe au début du XIX° siècle – se soit retrouvé dans une crise démographique grave au milieu du XX°. Avec toutes les conséquences négatives qui en ont découlé…


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De droudrou, le 25 juin 2007 à 08:05

Ta réflexion terrible, Gaulhenrix, illustre malheureusement une réalité suffisante en elle-même pour qu'on veuille arrêter tous les massacres… Les résultats pratiques sont hélas là !


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De Impétueux, le 25 juin 2007 à 09:27
Note du film : 4/6

Puis-je dire, Gaulhenrix, qu'il y a encore pire que les monuments aux morts, s'il est possible ?

Il y a les cimetières militaires. Mes pas me conduisent souvent vers les régions dévastées et il m'arrive d'errer dans les allées où sont alignées ces milliers de croix qui portent le nom, mais aussi les dates de naissance et de mort des combattants. Un rapide calcul : 19 ans, 22 ans, 25 ans…

C'est toute la jeunesse de France qui a été fauchée ainsi ; et la plus robuste, qui plus est… Qu'on ne s'étonne pas trop de ce qui s'est passé ensuite…L'atonie de notre pays dans l'Entre-deux-guerres ; sa difficulté à retrouver son rang…

Quant à dire que tout cela, ou les films qui démontrent l'absurdité de la guerre donne une leçon, comme le croient nos amis idéalistes, bernique !

Depuis que le monde est monde, l'absurdité de la violence a été démontrée dix mille fois. Demandons un peu aux Irakiens ce qu'ils pensent de ces brillantes démonstrations.


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De droudrou, le 25 juin 2007 à 09:46

Ils n'en ont rien à foutre, hélas ! Mais, pis encore, la situation économique engendrée par la fin des énergies fossiles et par notre multiplication en nombre et en besoins sur un monde dont la surface va rétrécir de jour en jour (processus entamé…) va continuer de dégénérer et générer d'autres conflits que notre imagination ne saurait évaluer… hélas ! mille fois hélas ! Les guerres ne nous ont jamais préparé à la paix mais la paix nous aura toujours préparé à la guerre et jamais à améliorer la paix !


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De sépia,, le 25 juin 2007 à 13:22

Si je puis me permettre, sans dénigrer un seul mot de ce que vous avez écrit, la guerre, pour moi, ce sont des vacances….

Au milieu de nulle part, la ballade digestive encadrée par les blés d'or et les buissons cachant les mures, à l'heure ou le jour fait à la plaine ses adieux…L'air sent bon la nonchalance et la paix. L'Amour est partout…

Et puis, au détour du petit chemin qui guide nos pas sans but, un improbable crucifix rouillé par le temps passé semble nous faire signe. A son pied de roche, on devine quelques mots qui ont été gravé en d'autres temps…"-Ici, au matin du 25 juin 1943, Jean Martin, maire du village a été fusillé par les Allemands, pour faits de Résistance.-" L'Histoire nous tape sur l'épaule…"-Allez en paix mais n'oubliez pas…Jamais. -"

Et l'on se surprend a chercher le nom de ce petit village où nous nous sommes arrêtés diner. Impossible de le dire…Et après vérification, il n'est pas même sur notre carte routière. Mais les blés gardent leur blondeur, et le vent n'a jamais été aussi doux. La guerre, pour moi, c'est cela…


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De droudrou, le 25 juin 2007 à 15:13

Exact ! Et que vous répondre ? Le temps qui passe… nos saisons qui se succèdent les unes aux autres… les générations qui défilent…


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De Impétueux, le 25 juin 2007 à 23:01
Note du film : 4/6

Je m'en veux de venir chipoter le message de Sépia, fameux ange de nos passions animées… mais il me semble que son propos aurait davantage dû trouver place sur le fil de Lacombe Lucien, par exemple que sur celui de La vie et rien d'autre.

Si c'est la même mort, et la même absurdité (enfin…pas tout à fait), ce n'est pas la même guerre. Douaumont, le Chemin des Dames ne sont pas le plateau des Glières, ou Oradour-sur-Glane, et encore moins les dizaines de braves types assassinés, otages d'une Occupation dont, soixante ans après, nous traînons encore la honte.

Il y a une différence : d'un côté le Grand Troupeau (beau livre de Giono, effaré de stupéfaction d'avoir vécu ça) ; de l'autre, des histoires individuelles, souvent, de héros sublimes – et plus sublimes encore parce qu'ils ne se voient pas en héros : ce sont ceux de L'armée des ombres – ou bien de gens ordinaires, aussi ordinaires que vous (peut-être) et moi (sûrement) jetés par l'absurdité de la situation du mauvais côté de leur vie (voir Jericho d'Henri Calef, histoire d'otages qui tourne mal, ou l'admirable Bataille du rail de René Clément).

Ambrose Bierce, certes, donne la définition suivante de l'homicide : Interruption d'une vie humaine par une autre. Il existe quatre types d'homicides : inexcusable, excusable, acceptable et souhaitable, mais ça ne fait pas une grande différence aux yeux de la personne interrompue. Sans doute. Mais, sur les monuments aux morts, ou dans les cimetières militaires, la différence se voit vite…


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De sépia,, le 26 juin 2007 à 14:05

Mais chipotez, cher Ami, chipotez ! D'autant que vous avez mille fois raison…Non, ça n'est pas la mème guerre. Mais vous parliez, en titre, de "l'une des visions" de la guerre. Et ce qu'a vu le Major Delaplane, personnage central de "La vie et rien d'autre", n'a rien de commun avec la rencontre de Sépia et d'un crucifix, au détour d'un chemin…. Mais aujourd'hui, dans ce beau pays de France en paix, si je ne suis pas devant un écran, visionnant "le jour le plus long", ou l'Armée des Ombres" -dont il nous faudrait reparler, le temps pour moi de prendre mon élan pour ne pas dire trop de bétises et bien me faire comprendre- ou "Les croix de bois"… qui peut bien me faire souvenir d'une guerre passée, et la "voir" ? Si ce n'est un moment de Paix, peut-ètre illusoire, dérangé par une vérité qui ne souffre aucun échappatoire… C'est cela que je voulais exprimer. Ce petit crucifix, Pierre, joue dans mon esprit le mème role de gifle que les petites fourmis observées depuis le centre de Dialyse de Lourdes, pour d'autres raisons, en d'autres lieux et dans une autre conversation dont, peut-ètre, vous vous souvenez…


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De Django, le 8 février 2009 à 08:36

Allez tout de même, ça vaut bien 5/6, voire 6/6, pourquoi être si frileux? Le meilleur Tavernier, et seulement 4? Il faut savoir s'enthousiasmer quand ça en vaut la peine!


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De Impétueux, le 8 février 2009 à 10:14
Note du film : 4/6

Mais enfin, Django, 4/6, c'est une excellente note ! Ça correspond à 13 ou 14 sur 20 ! Pourquoi surenchérir, si l'on estime, comme PMJarriq et moi que La vie et rien d'autre est un bon, une excellent film de Tavernier, mais – à mes yeux, en tout cas – pas le meilleur ? Je réserve 5/6 à Coup de torchon et à Que la fête commence…, qui me semblent plus aboutis, c'est tout !

Libre à vous de donner 6, et même chef-d'œuvre (le fameux 7/6 de nos listes), mais n'en veuillez pas à ceux qui sont en arrière de votre main ! Je note, par ailleurs, qu'Arca a, comme vous allez le faire (et n'avez pas fait !) mis un 6 !


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