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Sujet : Le premier chef d'oeuvre de Ozu


De spontex, le 4 octobre 2004 à 23:06

Ayant vu et apprécié Bonjour et Le Goût du Saké, récemment sortis chez Arte, j'espère que les films en noir et blanc d'Ozu auront la chance de bénéficier d'une aussi belle restauration que ceux-ci !


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De dumbledore, le 18 juillet 2006 à 22:41
Note du film : 6/6

Chaque film devrait être une leçon de vie, ou une leçon sur la vie. Chaque film devrait être une expérience qui nous fasse découvrir une vérité, ou bien même seulement un regard intelligent sur le monde qui nous entoure ou sur ce monde qui est à l'intérieur de nous : l'humain. Tout film devrait avoir cette ambition là, aussi bien les drames que les comédies (eh oui, même les comédies le peuvent et Billy Wilder ou Lubitsch sont là pour nous le prouver). Les grands films de Ozu sont toujours des leçons de vie.

Printemps tardif en est un parfait exemple, comme Il était un père dont il se rapproche terriblement à la différence près que nous ne sommes pas ici dans une relation père-fils mais père-fille.

L'histoire est celle de Noriko, une jeune femme qui fut longtemps malade (en partie à cause des restrictions dues à la guerre) et qui est restée protégée mais également dédiée à son père. Aujourd'hui elle va bien et elle est en âge de se marier. Seulement la jeune femme refuse de quitter son père convaincue qu'elle ne pourra pas connaître plus grand bonheur que celui qui est le sien en ce moment. Toutefois quand le père annonce qu'il souhaite se remarier, Noriko accepte enfin de le quitter et d'épouser celui que lui trouvera sa tante marieuse. Avec le temps, les préparatifs et les conseils de son père, elle comprend ce que représente réellement son mariage, un passage pour une autre vie, une vie plus riche, plus épanouie que celle qu'elle a pu connaître jusque là… Le mariage annoncé du père n'était qu'une excuse pour convaincre sa fille…

La leçon de vie cette fois concerne bien sûr la filiation entre un père et une fille, l'amour qui les lie l'un à l'autre, avec comme souvent chez Ozu un amour "oedipien" qui lit l'enfant au parent et un amour raisonné, intelligent, juste et moral qui relie le père à l'enfant. Le père existe pour préparer son enfant à le quitter avec les armes nécessaires pour aborder le monde qui l'entoure. Cette fonction est cruciale, délicate pénible souvent pour l'adulte, mais nécessaire. Les héros chez Ozu sont les héros du quotidien.

Mais le film est aussi une réflexion sur le mariage. Alors que le personnage de Noriko est entouré d'échecs maritaux (l'ami de son père qui s'est remarié avec une plus jeune, son amie d'école qui a divorcé très tôt, sa tante marieuse un peu trop lourde, etc), elle va comprendre ce qu'incarne réellement le mariage dans une dernière demi-heure de film qui est d'une beauté, d'une justesse et d'une humanité comme le cinéma en a connu guère.

Il faut rajouter à cette description un humour et une légèreté qui caractérisent tant les premiers films d'Ozu et qui réapparaissent généralement de temps en temps, quand Ozu peut se le permettre, c'est à dire quand sa narration le réclame.

La mise en scène d'Ozu est toujours aussi épurée et discrète. Il joue savamment des plans de coupes de paysages, de plans dont le point est sur des objets au premier plans et les personnages flous derrière ou bien encore des fins de plans particulièrement longs après le départ des personnages du champ. Ces procédés permettent de donner corps à la réalité qui entourent les personnages, et du même coup de donner au spectateur une distance par rapport aux passions humaines qui se jouent dans ces décors. Antonioni fera de même bien plus tard.


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De cormega, le 18 août 2006 à 01:07
Note du film : 6/6

Rien que les dernières minutes du film (épluchage de la pomme) ou le père se rend compte de sa nouvelle condition, "abandonnée" par sa fille mariée sont exceptionnelles. Un chef-d'oeuvre étonnant de simplicité qui nous montre que Gary Cooper était une star au Japon à cette époque.


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De vincentp, le 3 février 2014 à 22:02
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Retrospective Ozu à la cinémathèque française du 23 avril au 26 mai 2014

A voir impérativement : au moins dix de ses douze derniers films, plus Gosses de Tokyo.


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De vincentp, le 26 avril 2014 à 22:27
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Revu aujourd'hui sur grand écran : voici mon sentiment. Banshun (sorti en salles au Japon le 13 septembre 1949), scénarisé par Ozu et Kogo Noda, interprété par Chishu Ryu et Setsuko Hara, est le film qui fait basculer Ozu du statut de très bon cinéaste à celui de très grand cinéaste. La dimension artistique atteinte auparavant par le cinéaste via ses oeuvres des années 1930 et 1940 est ici largement dépassée. De mon point de vue toujours, c'est le premier chef d'oeuvre de Ozu et le premier chef d'oeuvre du cinéma japonais (chronologiquement parlant), Chien enragé de Kurosawa étant sorti en salles au Japon un mois plus tard.


Banshun emploie les figures horizontales (couloirs, voies de chemins de fers) et verticales (poteaux électriques, temples, escaliers) qui font toute la singularité du cinéma de Ozu depuis un certain temps déjà (dès les années 1930, voire même avant…). Cadre englobant de ce récit : le cosmos, et les éléments naturels de notre planète en mouvement réguliers et paisibles (les feuilles des arbres balancées par le vent, les vagues de l'océan déferlant sur le rivage). Au sein de ce premier cercle, s'inscrit un autre cercle, celui de la société humaine. Les constructions religieuses comme le temple, ou les activités artistiques mystérieuses comme le théâtre opèrent une liaison entre ces deux cercles. Dans le cercle de la société humaine, marquée par une activité sociale intense, le quotidien est rythmé par le temps qui passe, et les déplacements d'un point à l'autre (par la marche à pieds ou le train). Chishu Ryu, épluchant sa pomme à 360° degrés permet -dans un final sublime- de repasser tout en douceur du cercle de l'activité humaine à celui du cosmos.

La psychologie des personnages est creusée avec pudeur, mais sans esquiver les points douloureux, sur toute la durée de l'oeuvre. Le visage souriant de Setsuko Hara cède progressivement la place à un visage inquiet car la jeune femme doit abandonner une situation stable mais artificielle -une place de fille docile aux côtés de son père- pour acquérir celle d'une future mère de famille, et assurer sa contribution à la perpétuation du cercle de la société humaine. L'écriture cinématographique déployée tout au long de ce film est superbe, sublime même (même si certains films ultérieurs de Ozu vont plus loin sur le plan de la sophistication de cette écriture), l'interprétation de Chishu Ryu et Setsuko Hara de très haut niveau. Comme la photographie, le scénario, les plans, la musique, exceptionnellement bien employés pour construire la progression dramatique de ce récit, tout en gérant les perceptions mentales du spectateur, ses émotions et sentiments, et l'impliquer d'un bout à l'autre au coeur de ce récit.


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