Petite déception quand même, mais de Lang on en attend toujours beaucoup…
Alors brièvement.
Les +
Les –
Tu enlèves le dernier quart d'heure au Secret Derrière la Porte, et t'as un petit bijou de noirceur…. c'est vrai que c'est dommage, mais c'est intéressant quand tu compares au reste de la filmo de Fritz Lang : c'est le dernier happy ending de sa carrière !
Par contre, je suis carrément pas d'accord à propos de Michael Redgrave (Red Grave, ça veut dire "cerceuil rouge" en anglais, je crois) : il y a une véritable finesse dans sa folie (cf la scène du tribunal), il est constamment sur le fil du rasoir. D'ailleur il me rappelle Martin Sheen dans Apocalypse Now !
Bien sûr, les images sont admirablement composées, le Noir et Blanc extrêmement décoratif (je m'aperçois que l'adjectif peut apparaître réducteur : en fait, le Noir et Blanc est aussi beau que le seront quelques années plus tard les couleurs des Contrebandiers de Moonfleet), et surtout la caméra virevolte, vole, change la perception de l'espace avec une élégance extrême ; il n'y a, à mes yeux, qu'avec Max Ophuls que cela peut se comparer (et il faudrait, d'ailleurs se demander si les deux réalisateurs, tous deux pénétrés de l'intelligence de Vienne, jadis capitale bouillonnante d'un monde civilisé n'ont pas, consciemment ou non, incorporé sa valse brillante dans leurs mouvements).
Bien sûr, Joan Bennett est d'une grande beauté, et d'une subtilité de jeu extraordinaire… mais pour nous faire accroire cette invraisemblable et (finalement) niaise histoire, sortie de tortueux cerveaux, usant et abusant de personnages secondaires à la fois outranciers dans leur comportement et fort mal dessinés (le fils hostile – Mark Dennis -, la secrétaire prétendument défigurée – Barbara O'Neil -, la sœur mante-religieuse – Anne Revere -), il en faudrait davantage…Les fumées de la psychanalyse et les traumas de l'enfance ont fourni leur lot de scénarios à émotions fortes et à révélations finales redoutables (parmi les réussites du genre, je vois, par exemple Chut, chut, chère Charlotte de Robert Aldrich) ; encore faut-il qu'il y ait à la fois cohérence du récit et épaisseur humaine des protagonistes… Dans Le secret derrière la porte, non seulement on ne croit pas une seconde à cette histoire à la limite du grotesque d'un Barbe-Bleue étasunien, mais on ne ressent aucune sympathie, aucune compréhension humaine ni pour le douloureux Mark Lamphere (Michael Redgrave), ni pour sa victime finalement (presque) consentante, Célia (Joan Bennett)… Tout cela demeure extérieur, artificiel, quelquefois même un peu ridicule (la présentation aux invités d'une party des six chambres où sont reconstitués des crimes célèbres, objets de la fascination de Mark)…
Quel dommage, donc, que le scénario ne soit pas plus subtil et, par exemple, le personnage de Mark plus sombre ! Supposons qu'on soit parti sur le rythme inquiétant de la rencontre, sur un marché du Mexique, de Célia et de Mark ; Célia, fascinée, assiste à une rixe au couteau entre deux hommes qui se disputent une femme ; et elle ressent la jouissance de cette femme, tellement objet de désir qu'on s'entretue pour elle ; et brusquement, elle sent qu'elle est regardée : sa voix off : J'ai senti un frisson dans la nuque, comme un courant d'air froid ; des yeux qui me touchaient comme des doigts ; ils voyaient en moi ce que personne n'avait jamais vu.Si Lang avait poursuivi sur ce registre trouble et venimeux, quelle merveille…!
Et bien moi, ce film de Fritz Lang m'a laissé un peu sur ma faim…Si le directeur de la photo, Stanley Cortez, qui avait fait des prodiges dans La nuit du chasseur et La Splendeur des Amberson, a encore exercé son art avec grand talent, le scénario et les acteurs n' étaient pas au diapason. Bien sûr, il est facile et nous ne nous en privons pas, de faire une évidente comparaison avec Hitchcock. Mais Sir Alfred avait cette particularité que Lang ne possède pas : Il savait être léger dans le "Noir". Dans les films les plus tortueux d' Hitchcock, tout semble danser. Et nous savons que le dernier pas de danse correspondra très exactement à la toute dernière note de musique. Dans ceux de Lang, tout est pesant. Dans un noir sans nuances, même si la musique est fort belle, les danseurs hésitent trop… Ce qui n'empêche pas le réalisateur d'obtenir parfois d'excellents résultats. Son nom brille quand même au fronton du Panthéon cinématographique. Mais dans le cas présent, ça se traîne, ça hésite et souvent dans un suspense qui n'en ai pas vraiment un. Et j'avoue que si Joan Bennett n'était pas aussi ravissante, j'aurais zappé en pensant que si Michael Redgrave collectionne les chambres en y rêvant de meurtres, Fernandel collectionnait les Armoires en pensant y retrouver sa tante et c'était nettement plus drôle même si très noir aussi…
Pourtant, dans des décors assez sublimes, disons le, Lang essaie de nous retenir et de nous noyer dans un mystère pas assez… mystérieux pour tenir une longue route. Et même si il a recours a une narration qui se veut envoûtante et surtout très féminine, le suspense ne fait pas un tabac. On nous présente cette œuvre comme un formidable thriller, un film d'horreur, etc… Peut-être un bon film sur les dangers de se précipiter dans les bras d'un inconnu et de se croire parvenu dans un Nirvana de bonheur scellé par les liens d'un mariage hasardeux, mais un film d'horreur… À moins que l'on considère, et pourquoi pas, que bien des mariages se sont révélés être les couloirs d'une mort lente. Pourtant, le cinéaste avait bien cadré le truc. Il a voulu faire pour le mieux. C'est quand même Fritz Lang. Mais peut-être pas assez inspiré pour une fois. Par exemple, le rôle du mari qui tue, qui ne veut plus tuer, qui hésite à tuer à nouveau, etc, etc, ce n'est pas à un lourd et fade Michael Redgrave qu'il fallait le confier. Il n'a clairement pas sa place dans ce film. Peter van Eyck, John Dall, ou encore Laurence Olivier eût été un choix bien plus judicieux ! Et puis ce côté psycho-remuez-vos-neurones à deux balles est vite pénible. On a l'impression que Lang ne sait plus oû il veut aller. Peut-être et sûrement le savait-il au départ (fort prenant) mais il s'est vite égaré en chemin.
Le secret derrière la porte n'est pas un mauvais film. C'est juste une bonne sauce qui n'a pas été confiée à un maître queux. Manque de sel, de cuisson, d'arômes… Manque d'Hitchcock.
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