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Forum : Un Roi sans divertissement

Sujet : Austère chef-d'œuvre

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De Impétueux, le 2 novembre 2004 à 11:30
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Le chef-d'œuvre le plus épuré de Jean Giono – mais épuré au sens où son dépouillement en rend difficile l'apprentissage a été magnifiquement transposé par l'écrivain lui-même, dans les époustouflants paysages d'un Trièves (en fait l'Aubrac, pour les besoins du film) abandonné des hommes et de Dieu et condamné à la pire des tortures : l'absence désertique de tout événement.

Giono scénariste a donné corps et a expliqué, au prix de forts remaniements, ce roman d'une amertume sans égale.

Tout y est magnifique : le générique se déroule sous la pesante complainte d'un Jacques Brel inspiré ; Claude Giraud est un Langlois qui porte en lui la violence de l'énorme éclaboussement d'or qui sera sa solution ; Charles Vanel est le Procureur du Roi, profond connaisseur de la nature humaine et amateur d'âmes qui est le seul à deviner, quelquefois, la pesanteur horrible du monde et le désespoir de ceux qui l'habitent. Et Colette Renard dont le personnage a été assez modifié dans le livre et le film est parfaite !

On annonce ce film d'une grande beauté austère en DVD ; quel bonheur ! Et quelle pitié qu'un cinéaste aussi exigeant que François Leterrier ait été contraint à poursuivre une carrière alimentaire à coup d'Emmanuelle et autres nullités graveleuses…


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De Impétueux, le 24 mars 2006 à 13:44
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Je reviens sur mon message précédent après avoir passé une partie de l'après-midi à revoir le film.

Admirable film, et admirable DVD, qui laisse bien augurer de l'arrivée sur le marché de l'éditeur, CinéGénération, qui vient également de sortir Crésus, également de Jean Giono : packaging sobre et très esthétique, travail superbe sur l'image – une image dans laquelle, selon le voeu de Giono, la couleur, et surtout l'absence de couleurs sont prépondérantes -, et des boni somptueux, avec de vrais spécialistes de l'oeuvre, Jacques Mény ou Pierre Citron, notamment le long travail (53 minutes) qui explicite et décrit le passage du roman au film.

Si toutes les belles et grandes œuvres du patrimoine cinématographique pouvaient être servies avec ce soin cette qualité, cette piété, même, ce serait le bonheur !


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De Impétueux, le 12 novembre 2016 à 12:05
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Un Roi sans divertissement, c'est une œuvre originale, assurément. Écrit et dialogué par Jean Giono, il n'est, en fait, ni une illustration, ni une adaptation de sa première Chronique, ce genre qui – en étant un peu sommaire – est le début de la seconde manière de l'écrivain, celle du regard narquois, désabusé, cruel, grinçant sur les hommes, après l'exaltation lyrique, presque naïve, des romans d'avant-guerre.

Le film est presque une réécriture du livre, un regard différent posé sur un récit énigmatique, plein d'ellipses et de non-dits, qui parait commencer en histoire policière pour évoluer vers une exploration des territoires dissimulés noirâtres de l'âme humaine.

La contamination de l'ennui, la fragilité des équilibres, la conviction qu'il faut peu à l'Homme pour basculer du côté criminel de sa nature, voilà la racine de la pensée de Giono ; On a rarement considéré l'ennui comme la charge la plus lourde de la condition humaine ; c'est pourtant pour le fuir qu'on se jette dans les passions écrit-il dans Le désastre de Pavie ; et encore dans De Homère à Machiavel : L'Univers n'est que de l'ennui en expansion. S'en distraire, voilà la grande affaire.

Fin du règne de Louis-Philippe, vers 1843/44. Plateau du Trièves, zone de transition entre le Dauphiné et la Provence. "Nous avons trois mois de blancheur pure" lorsque l'hiver envahit l'espace. Peu de choses à faire, mais surtout rien du tout à voir : tout est étouffé par la neige insupportable et totale.

Dès lors, il faut réaliser, avant tout, un film en couleurs sans couleur ou, plus exactement où la couleur, quand elle interviendra ne sera pas adjacente et moins encore décorative ; c'est là qu'il faut, d'ailleurs, saluer le travail stupéfiant du directeur de la photographie, Jean Badal (qui vient de mourir) qui a su traduire exactement les intentions de Jean Giono et de François Leterrier. Dans cette aventure d'hiver et de sang, l'écran s'ouvre sur un long plan d'une blancheur infinie où n'apparaît que très tard, infime et se rapprochant lentement, un point noir qui est un cavalier qui chemine lourdement vers une massive demeure grise. Viennent quelques touches rouges dans cet océan blanc et gris, gris terreux, gris noir, gris vert, gris brun, gris bleu. Dans la déréliction universelle, pour qui ne se contente pas de la seule animalité de la vie, qu'est-ce qui reste, sinon le sang et le meurtre ?

Quel est vraiment le jeu du vieux Procureur du Roi (Charles Vanel) lorsqu'il demande au capitaine Langlois (Claude Giraud) de venir élucider les meurtres incompréhensibles qui commencent à bouleverser le village et le fait loger chez Clara (Colette Renard) qui en a tant et tant vu dans sa vie qu'elle peut résister à la pesanteur de l'ennui ? Est-ce qu'il ne sait pas déjà qui est l'assassin et pourquoi il tue ?

- Comment appelles-tu l’amour, Clara ?
- Pas l’amour, Monsieur le Procureur, la bête à deux dos : le théâtre du pauvre.
- Prenez-en un qui ne s’en contente pas et vous aurez le théâtre du riche ou, plus exactement, comme il s’agit d’âme, le théâtre du roi : le sang.

C'est prendre un bien grand risque. Et c'est immédiatement après qu'il a exécuté, sans jugement, l'assassin (M. V, V comme Voisin, précisait toujours Giono, qui s'est laissé prendre sans difficulté parce que tout dans le crime lui est divertissement, même le châtiment), que Langlois sent monter en lui l'envie de tuer, qu'il trompe – mal – en coupant le cou d'une oie et en regardant, fasciné, son sang vermeil éclabousser la neige et qu'il règle en se suicidant.

C'est sans doute là que le film bute un peu. Le roman laisse plusieurs années à Langlois pour être pénétré par l'ennui et aller s'asseoir au fond de son jardin fumer une cartouche de dynamite. Le film précipite les événements et les rend un peu moins convaincants. Mais Un Roi sans divertissement demeure admirable, austère, glacial, sombre. Aux acteurs déjà cités, il faut ajouter Albert Rémy, le maire du village et René Blancard, le curé.

Le DVD est une merveille de qualité technique et présente les suppléments les plus passionnants que j'aie jamais regardés, sur la genèse du film, son passage de l'écrit à l'image, son tournage, etc.


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