Comme il y a bien longtemps que je ne vais plus au cinéma voir chaque semaine la quinzaine de films qui s'éparpillent sur les écrans, je ne suis pas franchement capable de dire si les réalisations d'aujourd'hui peuvent être aussi médiocres que celles d'il y a presque 70 ans. Les vieux machins de mon genre ont souvent tendance à dire (un peu moins à croire) que le cinéma de jadis était un art majuscule constellé de chefs d'œuvre. Et qu'ainsi, en 1956, date de sortie de
Baratin
dont je me propose de vous entretenir, on ne voyait dans les salles que
Michel Strogoff
de
Carmine Gallone,

que
Guerre et Paix,

de
King Vidor,

que
Notre-Dame de Paris
de
Jean Delannoy,

que
La Traversée de Paris
de
Claude Autant-Lara,

que
Le Chanteur de Mexico
de
Richard Pottier,

que
Le monde du silence
de
Jacques-Yves Cousteau,

que
La Fureur de vivre
de
Nicholas Ray
que
Trapèze
de
Carol Reed,

que
Gervaise
de
René Clément
… Quelques grands films, quelques films très remarquables.
Mais la grande masse des sorties était constituée (consultez donc, s'il vous en tombe en mains, un quotidien de l'époque et regardez la liste des films à l'écran : vous y verrez beaucoup plus de Baratin
que de Traversée de Paris
ou de Gervaise)
de trucs qui coûtaient très peu, étaient tournés n'importe comment, employaient des acteurs de sixième rang et sortaient dans les salles des arrondissements les plus périphériques qui se puissent.
De
sixième rang écrivais-je ; ben oui. J'ai pourtant une vue avisée et une bonne mémoire des merveilleux
Excentriques du cinéma français qui formaient la structure, l'essence, l'épaisseur de beaucoup de film des belles années 30 à 70. Mais là je me suis trouvé un peu coi ; à part
Jean Tissier
qu'on voit assez peu et qui a tant et tant tourné qu'on s'étonnerait de ne pas voir dans cette daube, à part
Pauline Carton
qui fait une pige minimale, à part
Anne-Marie Carrière, qui n'était pas une mauvaise chansonnière, on ne connaît personne ou presque :
Ginette Baudin,
Caroline Cler,
Gisèle Fréry, ça vous dit quelque chose ? Bien sûr il y a la belle
Sylvia Lopez, femme de
Francis Lopez, morte à 26 ans d'une leucémie foudroyante, qui aurait pu connaître, plastiquement parlant quelques bonheurs de cinéma ; il y a
Micheline Luccioni
qui a laissé des traces sulfureuses de femme libre et quelquefois nymphomane.
Mais cela écrit que dire ? Le beau garçon de service, François, interprété par
Jacques Harden qui n'a pas laissé de traces. Surtout le pilier du film, sur qui s'est construit sa (toute petite) notoriété, c'est
Roger Nicolas. Histrion qui a connu un succès parisien assez modeste, ce chansonnier volubile était surtout connu par son
Écoute ! Écoute ! qu'il lançait en modulant bizarrement sa voix et par la faconde, le brio, le débit de mitrailleuse qu'il mettait au service de sa profession de camelot des rues.
Ça commence à Montmartre où Roger et son ami, artiste peintre François (Jacques Harden) fréquentent la blanchisserie de Mme Adelaïde (Anne-Marie Carrière) ; ses employées sont toutes folles amoureuses du beau François, la patronne réservant sa vertu pour Roger. Les deux hommes totalement purotins imaginent pouvoir aller exploiter un filon de pétrole qui pourrait surgir sur la Côte d'Azur.
Je renonce à conter plus loin, tant c'est bête. Qu'on sache seulement qu'après dix péripéties assez ennuyeuses, tout se déroule au mieux ; on s'embrasse et on se marie à qui mieux mieux : c'est-y pas merveilleux la vie ?
Mais si c'est ça, c'est souvent bien bête !