Kokoro est réalisé par Kon Ichikawa en 1955, adaptant un récit de l'écrivain Natsume Soseki écrit en 1914, peu après la fin de l'ère Meiji, période comprise entre 1868 et 1912. En 1955, le cinéma japonais traverse sa période la plus féconde, produisant des oeuvres d'auteurs ambitieuses portant sur la condition humaine, plutôt destinées à un public citadin et cultivé. Une certaine austérité traverse Kokoro, drame psychologique de deux heures mettant en scène plusieurs personnages énigmatiques, en proie à des tourments existentiels. On pense à des œuvres de Robert Bresson de l' époque voire de Louis Malle (Le feu follet,…) par le propos, le ton désenchanté ou la forme janséniste ou entomologiste. Dans Kokoro, il est question de la philosophie de Nichiren, moine bouddhiste réfractaire du XIII° siècle. Celle-ci se matérialise aujourd'hui par une église de portée internationale, assimilée par certains à une secte religieuse.

Ichikawa réalise avec Kokoro un film splendide, filmant sous tous les angles possibles ses personnages, déambulant ou statiques essentiellement dans leur maison. Mise en scène classique, mais aussi très élaborée par la composition des plans et le choix des lumières. Des enchainements de flash-backs sophistiqués, façon Rashomon, permettent de présenter des points de vue différents pour une même scène. L'interprétation des acteurs, en particulier celle de Masayuki Mori, toute en nuances, décline sous forme d'actions humaines palpables les doctrines plus ou moins fumeuses dont se prévalent les personnages. La musique d'obédience classique joue également un rôle important dans la perception de cette histoire. Ichikawa est sans doute l'un des cinéastes les plus intéressants de son époque, ayant notamment permis au cinéma de basculer vers une forme moderne, laissant aussi le soin au spectateur de déchiffrer des énigmes.