Je suis beaucoup moins certain de cela pour La fiancée de Frankenstein qui date de 1935 et qui est la suite directe du Frankenstein de 1931, du même James Whale qui avait remporté un si grand succès que les producteurs ont voulu le perpétuer. Il faut bien que j'avoue n'avoir pas vu le premier opus (ou, si je l'ai vu, je l'ai complétement oublié) mais tous les spécialistes vous diront que le numéro 2 est supérieur au numéro 1, ce qui m'ôte tout scrupule. Toujours est-il que, si j'ai pris un certain plaisir à regarder le film, c'est en tant que cinéphage compulsif, toujours prêt à repérer ici et là des orientations et des points de vue qui m'ouvriront des perspectives sur la superbe évolution du cinéma.
De ce point de vue là, le film est extrêmement intéressant : James Whale trace pour l'avenir une sorte de grammaire cinématographique qui sera utilisée ensuite par tous les grands maîtres de l'épouvante de toutes les provenances, de Mario Bava à Terence Fisher et bien d'autres. Tourmentes, orages déchaînés, pluies battantes, eaux dormantes, torches dans la nuit, cavalcades effrénées, châteaux austères à voûtes rogues et à couloirs rébarbatifs, flammes des. bûchers et toute la séquelle. Le meilleur du film est évidemment là, dans ces images de feuilles arrachées et d'éclairs luisants. D'autant que tout cela est accompagné d'une musique plutôt très appropriée aux situations qu'elle accompagne, qui scande et met en valeur les péripéties. Elle a d'ailleurs bien du mérite, car ces péripéties sont tout de même très minimales et d'une grande banalité. Mary Shelley (Elsa Lanchester), provoquée, un soir d'orage, par Lord Byron (Gavin Gordon), qui ne se contente pas du seul récit initial, en invente une suite. Finalement tout le monde est sorti indemne du premier épisode, où, en principe, chacun devait avoir trouvé la mort. Le démiurge Henry Frankenstein (Colin Clive) qui se prenait pour l'égal du Créateur, rescapé de l'incendie du moulin où il était censé périr avec sa Créature (Boris Karloff) épouse sa charmante fiancée Elizabeth (Valerie Hobson) à qui il jure bien qu'on ne l'y reprendrait plus. Manque de pot, survient à ce moment là le démoniaque Docteur Pretorius (Ernest Thesiger) qui, par une autre voie scientifique, a fabriqué plusieurs homoncules (voilà une scène assez ridicule, au demeurant). Pretorius parvient à convaincre le baron de repiquer au truc et d'élaborer une sorte de composite. Pourquoi ne pas élaborer une femme qui serait la parfaite compagne du malheureux Monstre qui erre entre forêts et villages en terrifiant une couarde population à qui, pourtant, il ne veut pas de mal ? Voilà posés les termes du sujet : la bienveillante Créature qui ne rêve que d'amour et les villageois terrifiés et repoussés par sa hideur. On se croirait dans un moderne sujet de baccalauréat consacré au harcèlement et au respect de la différence. Tout cela est assez niais. Et il y a même des points exaspérants comme l'omniprésence glapissante de la chambrière de la baronne Frankenstein, qui s'appelle Minnie (Una O'Connor), qui est un des personnages les plus ridicules et pénibles du cinéma de tous les temps.Mais à la fin, un moment de grâce absolue : le surgissement de ses bandelettes de la fiancée du Monstre (interprétée, comme Mary Shelley, la conteuse, par Elsa Lanchester) : une allure, un maintien, une maladresse de toute beauté. Rien que pour les quelques minutes où la jeune femme reconstituée elle aussi à partir de cadavres, découvre le monde et hurle de terreur devant celui qui lui était promis, le film de James Whale mérite de demeurer dans les mémoires de ceux qui aiment le cinéma.
Vous savez, car vous le savez, que dans cette période trés reculée, peuvent se cacher des perles absolument magistrales . techniquement limités et absolument datés , oui, certainement. Mais magistrales. L'année dernière, à Palerme en Sicile, j'ai eu l'occasion de voir en salle un Cyrano de Bergerac muet de 1925 de toute beauté, avec un acteur Français dont j'ai oublié le nom. Bien sûr, j'ai apprécié connaissant trés bien l'oeuvre de Rostand. Mais n'importe qui ignorant l'oeuvre aurait été subjugué par ce cinéma qui semblait sortir de la tombe…La richesse du cinéma muet est immense et il rayonne encore à travers les œuvres d’aujourd’hui. Mais non, vous semblez "renoncer" à savoir…C'est ça qui est étonnant.
D'autre part, vous prétendez que l'on pourrait aujourd'hui présenter Freaks à des adolescents de maintenant pour les initier à l'histoire du 7ème art. D'abord, vous ne pensez pas qu'on pourrait commencer par Hôtel du Nord ou La belle équipe ? Voire La règle du jeu. Présenter Freaks à des ados ? Mais vous allez vous faire traiter de pervers, de tordu, par toute la clique bien pensante qui aseptise cette société qui lave plus blanc que blanc. Les ados vont adorer, certes. Massacre à la tronçonneuse les a déjà éduqués, et ce n'est pas un cul de jatte, des soeurs siamoises, des nains, deux lilliputiens et un gros vert de terre noir qui va les faire frémir. Mais je plains l'éducateur ! "Ah le salaud !". Bref, j'espère ne pas vous avoir trop ennuyé et m'être fait comprendre . A peu près….Celà étant posé, toute la seconde partie de votre critique sur La Fiancée de Frankenstein est un régal, sans flagornerie idiote. Pensez vous que dans cinquante ans , les gens qui passeront dans le coin trouveront-ils que c'est une critique antédiluvienne et archéologique ou y trouveront-ils matière à regarder ce film ? Ah …………..
Votre philippique me fait du bien parce qu'elle me permet de préciser ma pensée qui était effectivement extrêmement embrumée. L'âge qui ramollit le cerveau ? L'excès de whisky ? La canicule récente qui n'a pas arrangé les choses ? Allez savoir !
Bien entendu, vous avez tout à fait raison et je me suis mal exprimé. Il est hors de question de rejeter, au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent dans le temps, les films les plus anciens du patrimoine. Je prépare pour dans peu de temps un message sur le Nosferatu de Murnau, grande oeuvre muette. Et Le cuirassé Potemkine doit être évidemment vu et revu.
Mais j'aurais pu écrire deux choses plus précises : d'une part que, plus les films sont anciens, plus ils demandent une connaissance – qui n'est pas spontanée – des codes et des manières de faire des cinéastes d'antan ; de la même façon que vous ne lisez pas un mémorialiste d'aujourd'hui (si médiocre qu'il peut être) comme vous lisez Saint-Simon pour qui vous avez besoin d"éclairages, de notes de bas de page, etc. Faites l'expérience si vous ne partagez pas ce point de vue : lisez dix lettres de Mme de Sévigné sans avoir à vous reporter aux indications précieuses qui vous sont données par le présentateur de votre édition.
Deuxième observation : je tiens que certains films – Freaks, par exemple ont beaucoup moins besoin d'intercesseurs que d'autres parce que leur propos nous est plus proche et, si je puis dire, plus familier…
Je pense que vous me comprendrez mieux (si ça vaut la peine) après cela.
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