Mais elle ne l'était pas en 1965, à quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle au suffrage universel. Et Marcel Bluwal, éminent compagnon de route du Parti communiste (au temps où le PC était chantre de l'éducation populaire et non du multiculturalisme), après s'être fait les dents sur Le mariage de Figaro, (avec Jean-Pierre Cassel et Jean Rochefort) réalisait la plus parfaite adaptation possible de ce qui est peut-être (avec Le misanthrope) la plus importante pièce de Molière.
De grands acteurs, d'abord : Michel Piccoli, qui atteignait la quarantaine et dont la carrière commençait à prendre un grand éclat (Le journal d'une femme de chambre, Le mépris, Compartiment tueurs), avant de s'envoler dans les années suivantes ; Claude Brasseur, qui avait déjà beaucoup tourné (Rue des prairies, Le caporal épinglé, Dragées au poivre) ; et même Michel Le Royer, qui avait de la notoriété (le grand spectacle La Fayette, le feuilleton Le chevalier de Maison-Rouge). Des décors remarquables : les grandes écuries du Prince de Condé à Chantilly, le Trianon, l'interminable plage d'Hardelot, sur la côte d'Opale. Et surtout l'idée magnifique d'utiliser l'architecture étrange, maçonnique et sévère des Salines d'Arc-et-Senans, dans le Doubs, construites par Nicolas Ledoux, également auteur des barrières d'octroi de Paris (dont peu subsistent, rotondes de la Villette et du Parc Monceau, bâtiments de la place Denfert-Rochereau). Et enfin, l'emploi de la musique de Mozart, essentiellement du Requiem, qui scande et ponctue la course folle vers l'Enfer du Grand seigneur méchant homme. Je n'avais pas besoin de davantage pour développer de façon définitive un rejet – pour ne pas dire une aversion – du théâtre en salle où rien de tous les effets et les décors employés par Bluwal ne pouvait être utilisé, pas plus que ne pouvaient être représentés les gros plans sur les visages qui marquent les craintes, les espérances, les inflexions des personnages. La beauté grave du texte était autrement mise en valeur par le réalisateur sur le petit écran qu'il n'aurait pu le faire – même avec d'identiques acteurs – sur une scène limitée et poussiéreuse.Sans doute les minces effets spéciaux – comme on ne disait pas encore alors – sont-ils très artisanaux : la statue du Commandeur est bien massive et fruste ; et la chute infinie de Dom Juan dans les spirales infernales est aussi un peu sommaire ; mais il n'y a pas beaucoup d'exemple de pareille réussite d'adaptation théâtrale. Et la meilleure preuve, c'est que, un demi-siècle et davantage après sa diffusion, on s'en souvient et on la représente (hier sur la chaîne LCP)…
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