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Le jeune Ahmed


De poet75, le 30 octobre 2023 à 21:23
Note du film : 6/6

« Il faut aimer Ahmed, pas le juger », affirment les Frères Dardenne à propos du personnage éponyme de leur nouveau film. On reconnaît bien, dans cette affirmation, la manière de faire des deux réalisateurs, la qualité de leur regard. De film en film, ils n’ont cessé de proposer la bienveillance plutôt que le jugement qui pourrait si facilement glisser vers la condamnation. Pensons, par exemple, au personnage joué par Cécile de France dans « Le Gamin au Vélo » (2011), personnage qui ne se laisse pas priver de sa prévenance envers un enfant dont le comportement pourrait en décourager plus d’un.

Il y a quelque chose du même ordre dans "Le jeune Ahmed". Cette fois-ci, le regard des deux frères se tourne du côté de l’islamisme radical, non pour essayer d’en expliquer les raisons, mais pour approcher au plus près d’un de ceux qui adhèrent à ce courant : un jeune garçon comme il y en a, malheureusement, plus d’un, mais que les Dardenne ont pris soin de ne pas trop identifier aux clichés habituels lorsqu’il est question de ce sujet. Avec ses lunettes et avec sa bouille plutôt avenante, Ahmed ne ressemble guère aux images toutes faites. Dans sa famille, certes, il n’y a pas de père, mais le garçon est aimé par sa mère qui, manifestement, veut le meilleur pour lui. En le voyant, on a le sentiment qu’il est plutôt bien entouré et, néanmoins, on découvre qu’il s’est laissé séduire par les propos inflexibles d’un imam radical.

Ahmed est à un âge où l’on est influençable, un âge où l’on peut facilement se laisser envoûter par un adulte qui s’exprime avec autorité tout en sachant manipuler autrui. Du coup, son regard se transforme et il se met à considérer tout contact avec les femmes comme impur. C’est d’ailleurs devenu l’obsession première de ce garçon que cette question de pureté et d’impureté. On le voit, plusieurs fois, faire ses ablutions non seulement avec soin mais avec une sorte d’acharnement, comme s’il redoutait de conserver sur lui le moindre indice de souillure.

Pourtant, dans son parcours, quelque chose change petit à petit. On le devine à certains signes. Alors que le garçon, parce qu’il a commis un acte d’une extrême gravité envers une femme dont l’imam estime qu’elle est coupable d’apostasie, se retrouve en centre éducatif, quelques indices font entrevoir l’ébauche d’une fêlure dans sa carapace de musulman fondamentaliste. Même s’il semble toujours déterminé à commettre l’irréparable, cherchant à dissimuler ses intentions à ses éducateurs, il n’en reste pas moins qu’il tient à écrire une lettre d’excuse à sa mère. Et puis surtout, il y a la présence d’une jeune fille de son âge, une jeune fille qui s’est entichée de lui et qui profite d’une occasion pour l’embrasser après lui avoir caressé la joue avec une brindille. Tout cela est fort innocent, cela semble banal, mais pas chez les Dardenne qui attachent de l'importance aux moindres détails. Malheureusement, même si Ahmed a un instant vacillé, l'obsession de la pureté ressurgit.

Les Dardenne suivent le garçon dans son obstination, à la fois en laissant entrevoir les terribles conséquences qu’elle pourrait avoir et en ménageant une issue envisageable vers quelque chose de l’ordre d’un pardon. Dans le même temps, ils nous rappellent, à bon escient, combien dangereuse s’avère pour les religions (car ce qui est vrai pour les musulmans l’est aussi, par exemple, pour les chrétiens) l’obsession de la pureté. La volonté compulsive d’être purs ou de constituer des communautés de purs, chez les chrétiens comme les musulmans, a pour conséquences automatiques l’intolérance, le jugement, le rejet d’autrui. Il n’est certes pas inutile de le redire à une époque comme la nôtre, alors que partout grandit la menace des extrémismes.


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