Dans un système qui semble n'avoir pour but que l'exclusion des laissés pour compte de la croissance, dans une région, le Northumberland, nord-est de l'Angleterre dévastée par la mort de l'industrie traditionnelle, le parcours des relégués ne peut être qu'une suite de chausse-trapes, à tout le moins un parcours d'obstacles qu'on dirait conçu avec un certain vice pour empêcher ceux qui se noient de sortir la tête de l'eau.
C'est, il me semble, moins simple que ça. C'est bien davantage l'absolue incompréhension entre deux mondes qui ne parlent plus du tout le même langage tout en employant les mêmes mots. Les uns vivent dans un système rationnel, éduqué, fluide et sont montés avec enthousiasme, ou même fièvre, dans le train du Progrès (réel ou perçu comme tel). Les autres sont demeurés ancrés dans une société traditionnelle, plus humaine et plus lente, plus adaptée à leurs moyens ou à leur goût de vivre autrement. Comment veut-on que ces deux mondes dialoguent ? Ceux qui sont dans le train, y compris les employés subalternes du dernier wagon, à peine différents de ceux qui s'épuisent à courir sur le quai pour s'accrocher, n'ont plus grand chose à voir avec les délaissés. C'est comme ça et on dirait qu'on n'y peut pas grand chose. Tout cela, qui est filmé avec sensibilité par Ken Loach, rappelle extrêmement ce qui se passe aujourd'hui en France, des strates qui se côtoient, s'interpellent mais finalement n'ont plus rien à se dire et la meilleure volonté du monde, si tant est qu'elle puisse se manifester, n'y changera rien. Demeure un peu la douceur de la solidarité, quelque chose qui pourrait presque ressembler à de l'amour entre Blake et la jeune Katie Morgan (Hayley Squires), mère célibataire de deux enfants, chassée de l'opulente Londres vers les terres pourries de la désindustrialisation et de la misère…On aurait aimé que le film se terminât sur une note un peu moins dramatique, pour qu'il ne tutoie pas le romanesque. Mais tel qu'il est, il fait souvent monter l'émotion au cœur.
Et c'est ainsi que les festivaliers de Cannes, en 2016, ont acclamé sa Palme d'Or. Ce qui ne les a pas empêchés, ensuite, d'aller vider des hectolitres de Dom Pérignon. Mais j'ai déjà dû écrire ça quelque part.
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