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Le sang, la sueur et la poudre...


De Steve Mcqueen, le 1er juillet 2015 à 17:51
Note du film : 5/6

A lire de préférence si on a déjà vu le film…

A mi-chemin entre le Purgatoire et l'Enfer, David Michôd signe une œuvre implacable, déroutante parfois, toujours fascinante. Son précédent film,Animal kingdom", était un polar noir sur lequel planait l'ombre de James gray, mais un James Gray plus brut, plus poisseux, plus viscéral. Le cinéaste avait un don inné pour cerner un personnage en deux ou trois plans, planter un décor en quelques séquences, insuffler une noirceur vénéneuse dans un polar qui prenait des airs de tragédie familiale. La violence y éclatait comme on crève un abcès, froide et sèche, sans complaisance, Michôd s'attardant plus sur les séquelles que sur les coups de feu en eux mêmes. Avec son atmosphère lourde, ses personnages perdus dans leur destin, il signait là un polar marquant.

On retrouve toutes ces qualités dans The Rover, sorte de road-movie aux confins de la folie, situé sur les routes d'une Australie dévastée par un cataclysme (dont on ne connaît pas exactement la nature, un carton après le générique de début indiquant que l'histoire se situe en "Australie, 10 ans après la chute"). Le scénario est délibérément minimaliste, et c'est peu de le dire : "Eric a tout laissé derrière lui. Ce n’est plus qu’un vagabond, un homme froid rempli de colère. Lorsqu’il se fait voler la seule chose qu’il possédait encore, sa voiture, par un gang, il se lance à leur poursuite. Son unique chance de les retrouver est Rey, un des membres de la bande, abandonné par les siens après avoir été blessé. Contraints et forcés, les deux hommes vont faire équipe pour un périple dont ils n’imaginent pas l’issue…" (résumé Allociné).

A partir de ce canevas sommaire, David Michôd filme une odyssée dérisoire, une quête aux limites de l'absurde. Les dialogues sont limités au strict minimum, le personnage d'Eric (Guy Pearce) étant particulièrement mutique et bourru, ses échanges avec Rey(Robert Pattinson), jeune homme simplet, se résumant souvent à des dialogues de sourds.

Le cinéastes délivre au compte-goutte les informations au spectateur, ainsi on apprend incidemment que le pays est contrôlé par les militaires, que l'essence est devenue une denrée rare et chère, mais par exemple on ne saura rien de la tuerie à l'origine de la rencontre entre Eric et Rey, sur les motivations du gang qu'ils poursuivent. On apprend au milieu du film, lors d'une séquence d'une rare intensité, qu'Eric a tué sa femme il y a dix ans sans être le moins du monde inquiété, qu'il a sûrement massacré des Aborigènes.


Des images suinte une violence poisseuse, une brutalité toujours sur le point d'éclater. Le film évoque The Proposition de John Hillcoat avec le même Guy Pearce, par ce mélange de langueur contemplative et de brusques accès de violence. Il y a de nombreux plans sur la voiture d'Eric et Rey qui fonce sur la route devant un ciel presque violet, le plus beau plan du film étant sûrement celui où Guy Pearce contemple un paysage décharné à travers un gigantesque grillage.


Dans ce contexte où la désolation imprègne chaque image, les péripéties sont anecdotiques et les personnage secondaires à peine esquissés (le médecin qui soigne Pattinson, les membres du gang qui apparaissent seulement au début et à la fin du film).. D'ailleurs chaque rencontre sur le chemin d'Eric et Rey donne lieu à un accès de violence (Eric exécute froidement le nain qui lui vend une arme, le répit chez le médecin est de coure durée car les amis du nain viennent se venger, la halte dans un motel glauque se termine dans une fusillade, l'arrestation d'Eric par les militaires donne lieu à un bain de sang).

Car The Rover est un film aride et dénudé, au scénario décharné, aux personnages énigmatiques. David Michôd nous plonge sans ménagement dans un monde absurde où l'on tue comme on respire, où les motivations comptent moins que les actes.

Guy Pearce compose un personnage fascinant, un bloc de tension toujours prêt à exploser, tout entier tendu vers un seul but : retrouver sa voiture. Sa composition est exceptionnelle, d'une intensité remarquable. C'est seulement après le massacre final que sa carapace se fissure, assis seul au milieu des cadavres il laisse couler ses larmes. A ses côtés Robert Pattinson évite tout cabotinage dans le rôle de Rey, garçon simplet, seule trace d'humanité du film, un garçon désarmant de gentillesse, mais aussi un garçon qui contient en lui une pulsion de mort (il tue par erreur une fillette noire).

Lorsque les deux hommes retrouvent le gang, endormi dans une maison, David Michôd fait insidieusement monter le suspense, dilate le temps et joue avec maestria avec les nerfs du spectateur. L'issue de la confrontation est terrible, les pistolets crachent le feu, les impacts de balles font gicler l'hémoglobine. C'est plus d'une exécution sommaire que d'un duel dont il est question, la violence étant le seul moyen d'expression d'Eric. C'est également l'un des rares moments d'émotion du film, via le dialogue entre Rey et son frère, l'un des membres du gang.

L'avant dernière séquence montre Eric brûler les cadavres, y compris celui de Rey, son seul ami, comme s'il essayer d'effacer les séquelles du massacre, comme s'il cherchait à se purifier, à s'absoudre de ses péchés. Tentative vouée à l'échec bien sûr. A la toute fin du film, ayant récupéré sa voiture, on le voit enterrer le cadavre d'un chien qui se trouvait dans le coffre. Dans ce monde là on brûle les humains mais on offre une sépulture décente aux animaux. Un sommet de nihilisme. Dieu est mort ou n'a jamais existé, semble nous dire le cinéaste, qui offre une vision peu reluisante de l'être humain, réduit à ses pulsions de mort.

De l'ouverture tétanisante au final asphyxiant, The Rover est un film qui marque durablement la rétine, par sa beauté monstrueuse, par ses paysages aussi arides que l'âme de ses protagonistes, par sa lenteur contemplative perturbée par une violence éclatant comme on crève un abcès. C'est un no man's land émotionnel, un film hermétique et beau, énigmatique et évident. Un film marquant.


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