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Deux jours, une nuit


De poet75, le 20 février 2017 à 22:02
Note du film : 6/6

Deux jours et une nuit: c'est le temps qui est accordé à Sandra (Marion Cotillard) pour sauver son emploi au sein d'une entreprise de panneaux solaires. Deux jours et une nuit: c'est le nouvel ultimatum qu'a réussi à négocier Juliette, l'amie de Sandra, afin d'organiser un deuxième vote (après celui qui devait évincer cette dernière de son emploi). Crise oblige, les salariés sont mis au pied du mur et contraints à un choix cornélien: ou ils toucheront une prime de mille euros et Sandra sera licenciée ou ils renonceront à la prime et Sandra retrouvera son emploi.
On l'apprend rapidement, cette dernière vient à peine de se sortir d'une dépression (dont on ne connaît pas la cause), elle est encore fragile, elle absorbe sans arrêt des pilules, et il lui faut pourtant mener ce combat. Elle a besoin de ce travail, elle doit se battre pour le garder, nonobstant l'opinion cynique d'un patron qui juge que son absence forcée pour cause de maladie n'a causé aucun tort à l'entreprise. On peut se passer d'elle, juge-t-on en haut lieu, d'où ce chantage à la prime qui fait la part belle à l'inhumanité et au mépris.
Poussée par son amie Juliette et par son mari (Fabrizio Rongione), Sandra entreprend de visiter, un par un, chacun des salariés de l'entreprise afin de le convaincre de voter en sa faveur (et, du même coup, de renoncer à la prime, puisque c'est le choix qui leur est imposé!). Cela pourrait être vite lassant, d'autant plus qu'il faut que Sandra tienne à peu près le même discours à chacun des salariés. Mais, avec les Dardenne, pas de place au ronron ni à l'ennui! Chaque rencontre est certes ponctuée par ce même discours qui revient comme le refrain d'un chant fait d'espoir et de détresse, mais chaque rencontre est aussi le moment d'un mini suspens, de l'attente angoissée d'une réponse, d'une acceptation, d'un refus, d'un revirement, d'une hésitation… Avec Sandra, le spectateur espère, pleure, sourit, est pris à la gorge… Sandra vacille, Sandra chute, Sandra se relève, Sandra espère… On vibre avec elle, on souffre avec elle, on suffoque et on avance avec elle. Ce qu'on l'oblige à faire est inhumain et injuste: si elle retrouve son emploi, que diront les employés qui auront voté pour la prime et qui, du coup, l'auront perdue? Les Dardenne se gardent de porter des jugements sur les personnes: ceux qui souhaitent garder la prime ont de bonnes raisons de faire ce choix. Chaque rencontre de Sandra avec un salarié nous laisse entrevoir les difficultés de vivre, voire les détresses, que connaissent les autres. Sandra se bat pour son emploi, mais la plupart des autres aussi sont obligés de se battre, qui pour payer des échéances, qui pour soutenir financièrement un enfant qui fait des études, etc. Ce ne sont pas les personnes qu'il faut condamner, mais un système inique qui les fait pencher dangereusement du côté de la dureté, voire de la violence.
Reste ce que les Dardenne essaient toujours de détecter, de déceler, de retrouver, même quand il nous décrivent les pires détresses et les pires injustices: la part d'humanité. Rester un être humain, garder ou retrouver sa dignité d'homme ou de femme, même quand on est broyé par un système qui n'a que mépris pour la personne. Où donc Sandra puise-t-elle sa force, elle qui apparaît par moments si fragile et si défaillante? Dans l'amitié, dans la solidarité et dans l'amour. Il y a la force insufflée par son amie Juliette et par les autres salariés qui se rangent de son côté. Et il y a la force insufflée par son mari, bel exemple d'un amour qui relève, qui soutient, qui partage chaque souffrance, qui donne à espérer contre toute espérance. L'humanité, la grandeur et la beauté de l'humain qui ensoleillent ce film pourtant douloureux, les voilà. Une fois encore, Jean-Pierre et Luc Dardenne nous proposent un film écrit, mis en scène et réalisé avec un soin et un talent qui ne peuvent qu'emporter l'adhésion. Il n'y a pas eu la moindre fausse note, jusqu'à présent, dans leur filmographie. C'est assez rare pour être souligné. Quant à Marion Cotillard, malgré son statut de star, en grande actrice qu'elle est, elle a su parfaitement s'adapter à l'univers et au style des deux frères. On ne se lasse pas de la scruter, on ne se fatigue jamais d'admirer son jeu.


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Violence sociale en milieu tempéré


De Impétueux, le 5 juin 2014 à 14:04
Note du film : 5/6

C'est idiot, j'aurais dû m'intéresser bien plus tôt au cinéma des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, qui font partie, avec Emir Kusturica, des rares réalisateurs à avoir reçu deux Palmes d'Or à Cannes, ce qui ne vaut pas tripette mais qui, surtout, se collettent en permanence avec la réalité sociale, la vraie vie vécue par les humbles, ce qui n'est pas si fréquent. Comment se fait-il qu'amateur de Robert Guédiguian comme je le suis, je ne connaisse pas encore Rosetta, Le fils ou Le gamin au vélo ? C'est la même inspiration, la même inquiétude, la même amertume, il me semble… Avec l’identique ciel gris de Wallonie, qui les éloigne – superficiellement, sans doute – de Marseille, mais les rapproche de Lucas Belvaux, lui aussi wallon, comme le sont certains des meilleurs acteurs du cinéma d'aujourd'hui, Émilie Dequenne, Olivier Gourmet, Cécile de France, Yolande Moreau ? Il n'y a pas de hasard.

Il faudrait, au contraire, un hasard bien improbable pour que nous nous retrouvions ensemble dans une même manifestation contre ce que Viviane Forrester appelait jadis L'horreur économique, la loi d'airain du marché qui brise les peuples avec une arrogance qu'on ne pouvait imaginer il y a encore trente ans, et qui est en passe de mettre le monde à sa botte. Nourris de marxisme plus ou moins acidulé, tous ces cinéastes au sang généreux croient à une solidarité internationaliste, à une guerre des classes à l'échelle mondiale et, même s'ils sont, depuis près de cent ans, contredits par la réalité nationale, n'ont pas (encore ?) parcouru leur Chemin de Damas…

Toujours est-il qu'ils ont bien du talent de filmer sans pathos et sans sentimentalisme gluant la vie des pauvres gens dans un environnement bouffé par la crise, la désindustrialisation, la mondialisation, l'explosion des cadres sociaux traditionnels et irrigué par les étouffantes injonctions à devenir l'Homo festivus de Philippe Muray, ce qui est une façon de l'appeler à se vautrer dans le Panem et circenses, ces temps de la décadence romaine.

Deux jours, une nuit relate le week-end pesant passé par Sandra (Marion Cotillard), ouvrière dans une PME qui fabrique des panneaux solaires, pour garder son emploi, alors qu'elle sort d'une sérieuse dépression. Elle est épaulée par un mari solide et aimant, Manu (Fabrizio Rongione) et elle doit convaincre une majorité de ses seize collègues de renoncer à une prime de 1000 € pour que le patron puisse la conserver dans l'effectif.

On voit la simplicité du scénario et les risques de pathétique qu'il fait courir aux réalisateurs : on peut aller facilement vers le chantage affectif, le discours sur la solidarité de classe, la lutte sociale, la malfaisance du capital : il n'y a rien de tout cela, mais une manière de filmer simple, efficace, claire. Une capacité à remettre continûment le sujet devant le spectateur, à reproduire avec une régularité et une répétitivité qui ne sont pas fortuites la démarche de Sandra et les réponses de ses collègues, qui, pour la plupart, sont bien embêtés d'avoir à choisir.

Le film se passe à Seraing, dans la banlieue de Liège, région dévastée à murs d'usines interminables, à paysage urbain moche, à maisons de briques éteintes, à terrains aussi vagues que le ciel d'un été incertain. Chacun des ouvriers se débat dans la gêne, la parcimonie, les crédits, la peur de l'avenir. Sans doute ceci n'est-il pas d'une folle originalité, mais ça rend un son d'une pertinence impressionnante.

Marion Cotillard est d'une justesse extraordinaire, le visage à peine maquillé, le corps fragilisé par la dépression, les soucis, l'absence de perspectives (il y a longtemps qu'on a même oublié ce que c'était que l'ascenseur social : on est dans une logique de pure survie) ; elle parvient jusque dans l'adoption d'une trace d'accent wallon (mais infime, si infime et d'autant réussi qu'elle est infime) à caler son personnage, à faire oublier quelle place elle occupe dans le cinéma international. Fabrizio Rongione, mari aimant, inquiet, mais aussi un peu las de cette femme malade dont il faut supporter les découragements, la fatigue, les abandons est particulièrement convaincant. Et les autres acteurs, inconnus, débutants, amateurs peut-être se ressemblent vraiment.


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