Le point de vue du regretté Dumbledore est, comme à l'habitude, solidement argumenté et bien bâti et mon avis sur Abîmes est à peu près identique au sien. J'ignorais toutefois qu'il existait un sous-genre cinématographique consacré aux sous-marins mais, compte tenu de l'anxiété claustrophobe qui doit toucher la plupart d'entre nous à l'idée de passer un bout de vie entre deux eaux dans un espace confiné, je ne suis pas surpris que le 7ème art ait fait appel à cette mine d'angoisse.
Même si j'ai eu l'occasion, durant ma longue vie, de visiter de nombreux sous-marins (y compris nos chefs-d’œuvre nucléaires), je n'ai jamais très bien compris comment ça fonctionnait, l'horreur d'imaginer que je pourrais ainsi dépendre de ballasts peu fiables et d'oxygène mesuré m'ayant certainement fait développer une attitude de déni absolu. Le long des étroites coursives de l'engin, dans les épaisseurs incompréhensibles de la double coque, au milieu des couchettes superposées se passent des tas de choses dont on repère mal la localisation.
C'est là le côté à la fois fascinant et frustrant du film : il y a, dans ce mélange de sophistication mécanique et de boulonnages artisanaux qu'on pourrait voir provenir en droite ligne de 20000 lieues sous les mers un côté assez envoûtant. C'est qu'Abîmes se déroule durant la dernière guerre, qu'il n'y a pas la moindre trace d'électronique mais beaucoup d'engrenages huilés et de manœuvres manuelles.Tout cela souffre évidemment des manies des films d'action d'aujourd'hui : maelstrom d'images, montage frénétique, gros plans en nombre excessif (il est vrai, sur ce dernier point qu'on pourra me rétorquer avec pertinence qu'il est difficile de faire un panoramique dans un sous-marin). Ce qui fait qu'on n'y retrouve pas toujours ses petits, lors des scènes d'action et qu'on ne comprend pas trop ce qui se passe. On finit par saisir – les révélations surviennent à la fin – qu'il y a un lourd secret partagé par trois officiers, un crime dissimulé et maquillé en accident (ou quelque chose comme ça) et une imposture militaire. Je n'ai toujours pas compris, en revanche, si le revenant qui tourneboule le ciboulot de l'équipage est un vrai fantôme ou une sorte d'hallucination collective suscitée par le climat étouffant de la claustration et la raréfaction de l'oxygène (je crois qu'il y a aussi une histoire d'augmentation du taux d'hydrogène, mais il ne faut pas m'en demander plus là dessus, parce que je fais à peine la différence entre ces deux gaz qui ont chacun leur utilité).
Le seul intérêt d'Abîmes est de montrer quelques images du submersible s’enfonçant dans les profondeurs et chassé par un destroyer allemand à coups de grappins rageurs. On se demande en revanche pourquoi le peu notoire réalisateur, David Twohy, a cru devoir inclure dans l'équipée une jeune femme, Claire (Olivia Williams) , rescapée d'un torpillage (je ne vous raconte pas comment elle est là, d'autant que je ne suis pas certain d'avoir tout compris) ; à part susciter, ex abrupto, les commentaires superstitieux des marins, sa présence n'apporte aucun intérêt dramatique.C'est un film très formaté, sûrement assez spectaculaire sur grand écran dans quelques unes de ses séquences, mais complètement idiot dans son scénario et fatigant dans sa mise en scène. Aussitôt vu, aussitôt oublié.
L’idée de départ était pourtant attrayante : mélanger deux genres engoncés dans leurs codes, à savoir le fantastique et le film de guerre (plus exactement son sous-genre très à la mode actuellement : le film de sous-marin). L’idée est bonne mais pour réussir ce mélange périlleux, il faut que l’un des genres domine et que l’autre vienne ensuite le parasiter afin de jouer les surprises, opposer les codes afin de déstabiliser le spectateur. Déstabilisé de ne savoir plus dans quel genre il est installé,le spectateur peut alors d’autant plus surpris, manipulé par la narration.
Dans ce film, le bon équilibre n’a pas été trouvé. Le fantastique est ici clairement le genre principal et le film de sous-marin le genre secondaire. À un tel point qu’on oublie vite qu’on est dans un sous-marin. Cet espace si particulier est utilisé uniquement comme code du fantastique – impossibilité pour les protagonistes de partir, et donc obligation est faite pour eux d’affronter le fantastique. Quitte à en mourir. La réduction de cet espace à un simple code narratif est bien dommage quand on sait (depuis Le Bateau (1981) ) que le sous-marin possède la capacité évocatrice d’un véritable labyrinthe, espace clos mais infini, fait de coins et de recoins, lieu de perdition et de folie. Cette réduction est telle que finalement ce sous-marin n’a aucune mission, aucun but ni détruire un navire, ni fuir un autre sous-marin qui le poursuit. Le sous-marin est un lieu voilà tout.Et pourtant, si le film de guerre avait été le genre principal (un sous-marin en poursuit un autre) et le fantastique le genre transversal (membre de l’équipe sombrant dans la folie, chacun hallucinant, recourant aux superstitions), ça aurait pu donner un film d’un autre acabit. Une sorte de Master and commander.
La mise en scène du film ne fait rien pour relever le sous-marin vers le haut. Au contraire. Cela faisait même longtemps qu’on n’avait vu cet espace aussi mal filmé, hésitant sans cesse entre le surdécoupage et le plan séquence, ne sachant quel style adopter.Les effets de surprise et de peur sont tellement clichés qu’ils sont devenus sans effet.
Dommage, dommage…
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