Très fort "petit" film, situé`sur et dans les environs du territoire mohawk d'Akwesasne, territoire qui a la particularité d'être à cheval sur le Canada et les États-Unis. (Et à l'intérieur du Canada, à cheval sur le Québec et l'Ontario). En sorte que vous pouvez entrer par le sud aux États-Unis et sortir par le nord au Canada – ou vice-versa. L'hiver, il fait évidemment très froid, ce qui permet de traverser les cours d'eau sans emprunter ponts et routes, donc en évitant les douaniers.

D'où le titre Frozen river, la rivière gelée.

Tout dépend de quelle contrebande vous pratiquez. Les armes voyagent du sud au nord ; les immigrants, du nord au sud. Sur le territoire mohawk, c'est la police mohawk qui a juridiction, non la police canadienne ou américaine (même si les trois corps de police effectuent ponctuellement des opérations conjointes).

Tandis que son mari joueur compulsif (qu'on ne verra jamais de tout le film !) est parti en virée avec l'argent qui devait servir à payer la nouvelle maison mobile destinée à remplacer le misérable camper où vit sa famille, la quinquagénaire Ray (Melissa Leo) fait la connaissance de Lila Littlewof (Misty Upham), jeune femme très myope habitant le territoire mohawk juste à côté, qui a "emprunté" la voiture familiale abandonnée.

Et pourquoi Lila Littlewolf emprunte-t-elle ce véhicule ? Parce que le coffre est assez grand pour transporter deux immigrants du Canada aux États-Unis via la rivière gelée. Et comme Ray a désespérément besoin d'argent… voilà les deux femmes embarquées dans le trafic.

Ce film est vraiment exceptionnel à sa façon. Même si le suspense n'est visiblement pas ce qui intéresse le plus les auteurs, une réelle tension finit par s'en dégager tellement tout semble plausible. L'épisode du bébé est à hurler mais il est hélas tout à fait pensable que ça puisse se produire (je ne vous en dis pas plus). À travers son histoire toute simple, Frozen River offre à la fois une éprouvante étude de mœurs, une description de la petite criminalité et de la manière dont on s'y fait entraîner, un aperçu de la vie d'aujourd'hui dans une localité amérindienne, un apologue sur la solidarité féminine. Inévitablement cru et sordide, mais jamais complaisant dans la désespérance, le film bénéficie d'un scénario parfaitement crédible et du jeu sans apprêt de deux comédiennes très convaincantes.

Et il a beau faire exprès d'être un peu rebutant, on finit par s'y attacher, mine de rien…

Tout dans Frozen river est ingrat et rébarbatif, dès les premiers plans : l'image sans recherche, le paysage enneigé, misérable, le visage marqué et amer de l'héroïne, la tristesse de son existence. Et puis, peu à peu, on entre dans cet univers de pauvreté, de désespoir, et on commence à s'attacher à cette femme endurcie mais déterminée, à cette grosse fille Mohawk, jouant les "passeuses" pour des clandestins traités comme du bétail, et sans s'en rendre compte, on est happé par le film.

Frozen river n'a rien d'agréable, mais il raconte sans discours, sans pathos, ni facilité hollywoodienne, une amitié improbable, une solidarité qui ne dit pas son nom, et le geste final de Melissa Leo (absolument extraordinaire), vaut toutes les grandes déclarations d'amour.

Un film qui ne ressemble à aucun autre, parfois difficile à suivre par la faute d'une forme trop primitive (les scènes de nuit sont à peine discernables), mais qui vaut l'effort.