Remarquons surtout que la trame du Miroir se brisa est une variation sur le thème mythologique de la Dame de Shalott ("The Lady of Shalott"), un épisode de la légende arthurienne très populaire outre Manche, mis en vers par Tennyson au XIXème siècle, et mis en peinture par de nombreux artistes depuis.

Ce poème est si connu en Grande Bretagne que les enfants l'apprennent à l'école comme nous les fables de La Fontaine, mais il l'est beaucoup moins en France, ce qui mérite quelques explications.

La Dame de Shalott était une enchanteresse à la beauté renommée qui vivait au sommet d'une tour et ne connaissait du monde réel que son reflet dans un miroir. Tout le jour, elle tissait en chantant une toile enchantée, mais jamais ne regardait directement par la fenêtre.

Un jour fatal, un événement attira son attention et elle contempla en face la réalité du monde.

"Alors, la toile déchirée s'affaissa, En mille éclat le miroir se brisa Malédiction sur moi s'écria La Dame de Shalott"

On la retrouva morte allongée dignement dans une barque descendant la rivière jusqu'à Camelot, cité du roi Arthur.

De nos jours, les enchanteresses sont des Stars de cinéma dont le charme s'exerce sur la toile des salles obscures où leurs films sont projetés. Elles aussi vivent dans une tour d'ivoire, se délectant de leur image, loin des réalités… Gare au jour maudit où la réalité les rattrape…

Regarder ce film à la lumière de cette légende, qui y est évoquée sans beaucoup d'explications, vu que les Anglais la connaissent par coeur, lui donne un tout autre intérêt, une toute autre profondeur…

A noter que les événements tragiques dont Elizabeth Taylor se souvient dans son flash-back ne sont pas une invention mais sont en réalité survenus pendant la guerre à Gene Tierney, qui en parle d'ailleurs dans sa biographie "Mademoiselle, vous devriez faire du cinéma" (éditions Ramsey)

Une fois qu'on a accepté Angela Lansbury en miss Marple, ce film à la distribution bien fournie – comme le veut le genre : Geraldine Chaplin, Kim Novak, Edward Fox – se laisse regarder si l'on aime les whodunit. Mais – rendons à César ce qui lui appartient – ça reste regardable surtout à cause de l'intrigue, une des très bonnes imaginées par Agatha Christie. Aux amateurs du genre qui ne connaîtraient pas l'histoire, je dis : pour y prendre le plus plaisir, ne vous demandez pas seulement qui est l'assassin, mais surtout quel est le mobile de l'assassin. Ah, quel bon mobile !