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"Nous dormirons ensemble, lon la..."


De Impétueux, le 21 janvier 2022 à 19:31
Note du film : 4/6

Voilà un film bien rude pour ceux qui imaginent que la campagne et la vie campagnarde ressemblent à des films de Walt Disney et à l'image idéalisée qu'en donnent les sectes écologistes. La campagne, c'était alors (le film date de 1945) la rudesse exténuante des travaux et la sauvagerie égoïste, avide des habitants. Un monde rude, épuisant, qui brisait les corps et les cœurs. Il faut lire La Terre d'Émile Zola ; le livre a certes été écrit en 1887 mais le monde dépeint par Christian-Jaque en 1945 n'avait pas changé. D'ailleurs, si l'on a besoin de s'en convaincre, voir Farrebique de Georges Rouquier qui est de 1946). Avidité, dureté au mal, superstitions, misère sociale et affective.

Ce qu'il y a de meilleur dans Sortilèges, c'est précisément le regard aigu sur la vie paysanne. Ce qu'il y a d'un peu bêta, c'est l'intrigue amoureuse et les égarements des principaux protagonistes. L'intrigue est à peu près aussi invraisemblable que celle d'un autre film, un peu antérieur, du réalisateur : L'assassinat du père Noël qui se déroule aussi – intéressant rapprochement – dans des montagnes enneigées et met en scène des histoires amoureuses contrariées par des tas d'obstacles.

Donc le robuste bûcheron Pierre (Roger Pigaut) est amoureux de Catherine (Renée Faure), fille d'un brave homme un peu timbré, Fabret, dit Le lièvre (Fernand Ledoux) mais il est fiancé à Marthe (Madeleine Robinson), opulente (c'est très relatif) héritière du potentat du hameau, Gros Guillaume (Pierre Labry), aubergiste et propriétaire foncier. Veille là-dessus le singulier Campanier (Lucien Coédel), drôle de type qui fricote avec la sorcellerie et qui est cinglé d'amour pour Catherine.

Tout ça est un peu niais, un peu nigaud même. D'ailleurs, même si le fier garçon Pierre, qu'on aimerait voir droit comme un I, est bien disposé, pour sortir de sa misère, à faire le sacrifice de son amour et à épouser Madeleine, on sait bien que finalement il choisira l'amour que lui offre Catherine. Toutes les péripéties romanesques sont tellement cousues de fil blanc qu'on s'amuserait presque de voir, séquence par séquence, en dérouler le chemin.

Ce qui compte pourtant et ce qui séduit dans Sortilèges, c'est bien la rudesse de la montagne enneigée, ses terres de brouillard, ses arbres glacés, le vent rêche qui souffle, la peine des hommes qui luttent contre la malveillance de la nature. On n'est pas tout à fait – on est même assez loin – de l'ennui, la charge la plus lourde de la condition humaine (selon Jean Giono dans Le désastre de Pavie), mais on en ressent la pesanteur.

Un peu superficiellement, on pourrait dire que Sortilèges est l'histoire d'un meurtre couplée avec des histoires d'amour. Ce qui est bien mieux, c'est la touffeur mal odorante de l'auberge, l'impression d'aisselles sales que l'on imagine. Mais aussi – sûrement la meilleure séquence du film – la fête du hameau, le bal et les savantes figures d'une sorte de quadrille gravement, sérieusement dansés par les paysans endimanchés, sous le regard concentré des joueurs de cabrettes.

Il paraît que c'est Jacques Prévert qui a adapté le roman dont le film est tiré et qui en a écrit les dialogues ; ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux. Mais ce qu'a tiré Christian-Jaque avec des images magnifiques, surprenantes, maléfiques est une très belle révélation.


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De Gilou40, le 21 septembre 2011 à 19:57
Note du film : 4/6

Et voilà que dans le couloir du temps, venue du fin fond des âges, surgit à nouveau une perle oubliée. Semblant sortir des ténèbres les plus lointaines, ce film tente d'accoucher d'une belle histoire d'amour à travers la forêt profonde, les nuits interminables, les tempêtes de neige, le froid glacial, les vieilles demeures aux cheminées géantes où cuisent et recuisent les soupes salvatrices. Dans un décor sauvage où les gouffres et précipices ont pour noms Le gouffre du diable ou Le saut du loup, et où les voyageurs égarés dans la tempête doivent leur salut au campanier qui sonne la cloche toutes les dix minutes. Une montagne pleine d'Auberges rouges, de misère, de sorciers et de vin chaud.

Noir, très noir ce très bon film délaissé, enterré par le temps. Christian-Jaque revisite l'Auvergne du 19e siècle avec ses mystères, sa rudesse et ses aborigènes que le dénuement et l'adversité font se recroqueviller dans leurs querelles séculaires et leurs croyances enracinées. Pourtant, dans cet enfer blanc, va poindre une histoire d'amour. Ici, la fragilité de Renée Faure sera ce rayon de soleil d'abord bien pâle puis très vite lumineux qui donnera à cette histoire de sorciers toute l'humanité qui manquait depuis le début. Parce que malgré son malheur, elle y croit, Catherine, à son histoire d'amour avec son Pierre. Roger Pigaut, bûcheron de son état et pourtant peut-être encore plus fragile qu'elle. Ils devront se battre, tous deux, entre les jaloux, les incantations et les maléfices, une vilaine histoire de crime crapuleux et une atmosphère qui semble à jamais hostile.

Tous les acteurs de ce film ont chaussé les âmes les plus laides pour coller au plus près de ce climat si lourd dans cet environnement si froid. Goupi Mains Rouges nous vient souvent à l'esprit. Goupi Mains Rouges au pays de Maria Chapdelaine. La rudesse est partout. Dans les cœurs, dans les propos, dans le climat. Les âmes ne sont pas concernées. En dehors de Catherine et Pierre, on dirait bien que la misère a rayé ce mot de leur vocabulaire déjà restreint. Même la douloureuse Madeleine Robinson semble s'être débarrassée de ce filtre encombrant. Fernand Ledoux n'aura pas ce problème, qui perd la mémoire à la vitesse du vent qui ne cesse de souffler. Diable d'acteur qui peut endosser les rôles les plus…. d'hiver. Je ne l'ai jamais connu mauvais ! Je ne connaissais pas Lucien Coëdel, le campanier. Qui fait tinter la cloche en récitant des diableries dont lui seul a le secret. Mystérieux et bourru, intriguant et voleur, il est celui par qui le malheur arrive. Et si son campanile chante dans la tempête, c'est plus pour attirer les voyageurs fortunés que pour les sauver d'un froid mortel. Et pourtant Jacques Prévert réussira à lui faire dire de bien belles vérités… Un Prévert très en forme pour accompagner un Christian-Jaque inattendu. Très prolifique, ce cinéaste a touché un peu tous les styles. Dans la noirceur (après Sortilèges il nous offrira Un revenant) mais aussi dans la badinerie (François 1er ou Un de la légion) en passant par le mystère des Disparus de Saint-Agil ou L'Assassinat du Père Noël. La fin de sa riche carrière se fera plus lourde…

Mais ce Sortilèges vaut largement le détour. Il nous pique au vif, comme le froid incessant qui englobe cette histoire. Une histoire d'amour qui surgit du fin fond de nulle part et qui prend corps. Qui se débat entre les affres d'une époque reculée et un destin qui semble tout tracé. Il n'en sera rien. Surtout qu'une très belle musique nous fredonne Aux marches du Palais tout du long. Une belle, très belle chanson. Pleine de chaleur… Enfin.


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