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De Jubowski, le 16 juin 2007 à 20:39

Réflexion symboliste sur la condition aliénée de l'existence humaine, "La Semence de l'homme" dit tout du leurre amoureux et de la violence inhérente à l'humanité à travers une caméra virtuose.

Le générique, suite ininterrompue de visages pris dans des postures diverses, met en place la réflexion. Optimisme de la diversité, panégyrique de la différence? L'humanité semble riche. Pourtant, leur frontalité nous renvoie à une inconnue, un mystère: « Mais qu'est-ce qu'il y a derrière? Qu'est-ce que cachent ces visages? ». Le masque de la mort perdu au milieu d'eux, ainsi que la poupée maquillée qui ouvre la première scène étayent la réponse d'un nihilisme radical. Chaque visage porte en lui sa propre perte qu'il tente d'effacer avec les artifices de sa conscience. Effectivement, le pays est en état de guerre. Des images d'archives s'amoncellent, de ruines ravagées en colonnes de chars. Le monde s'effondre. L'épidémie de peste annoncée à la télé, c'est la guerre. Au milieu de celle-ci un jeune couple insouciant tente d'exister. Ils traversent d'abord un hall d'aéroport qui représente toute la société de consommation: objets inutiles et laids (« Quelle horreur! ») fabriqués en série. On parle de modèles d'hélicoptère militaire, on se gave de bonbons. Mais le couple va s'éloigner petit à petit de cette société pourrissante.

Par le passage du tunnel, long écran noir, Ferreri fait débarquer ses personnages dans un monde parallèle, désolé, où la survie n'est pas qu'une image de télé. L'humanité a-t-elle un avenir? C'est à cette expérience que vont être soumis Dora et Cino. La société de consommation les poursuit par bribes (chewing-gums, pepsi). Mais le danger est plus profondément encore tapi dans la psyché humaine.

Obligés de s'installer sur une terre abandonnée, les deux tourtereaux vont s'organiser pour une vie pure et idyllique. Ferreri, par un flou rêveur, des contrastes et des lumières somptueuses, un sens de l'image et du cadrage hors du commun (perspectives, cadre dans le cadre, alternance des plans serrés et des plans larges, surprise des transitions…) rend ce bonheur ténu et éphémère de la vie à deux. Le parti-pris du réalisateur n'est pas forcément celui de ses personnages. Eux aimeraient d'abord retourner à la civilisation. Leur premier espoir est un leurre absurde et surréaliste. Cette bouteille de cola qui flotte dans le ciel et les recouvre de son ombre est l'indestructible signe du vide absolu de la société de consommation, esthétique creuse. Il n'y a plus personne à bord, les signes, slogans et produits circulent à la dérive, sans aucune chance de salut pour l'homme.

Finalement Dora et Cino commencent à apprécier leur vie solitaire. Mais la menace pèse, irrémédiable. C'est la construction, l'organisation du monde humain en lui-même qui suppose sa ruine. La volonté de l'homme de figer le monde autour de lui selon sa propre conscience (animaux empaillés, obsession de Cino d'élaborer un musée avec les restes dérisoires de la civilisation). Ferreri fait la critique des systèmes. La maison paraît déjà en elle-même une entité écrasante, où la sécurité prime aux dépends de la liberté. La satire de l'administration (de mèche avec la religion) est cruelle, lorsqu'on voit le jeune fonctionnaire ouvrir un énorme registre cadenassé pour recenser la population. La volonté de Cino d'intégrer le système (« un cimetière de pantins ») va créer la profonde distorsion du couple. La rencontre avec une femme « du monde » (Annie Girardot) confronte à la jalousie, et les tares meurtrières de ce personnage rappellent la vanité de l'amour et sa finalité de reproduction sexuelle. Avoir un enfant signifie la valorisation sociale et l'adhésion au système. Cela entérine la perte de la liberté, ce que ne peut imaginer la mystique Dora.



Dora refuse le mariage, veut rester vierge, c'est la condition de sa liberté. Lui fait écho la statue de la Vierge décapitée tenant Jésus mort sur ses genoux et qui trône sur les ruines de Rome. Le seul sens à donner au monde, c'est la liberté. Mais elle a disparu, on l'a remplacée par des valeurs destructrices, la Raison ne mène qu'au chaos et à la guerre. Dora attend soit le Salut, soit la Mort. C'est cette dernière qui l'emporte finalement.


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