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Adaptation impossible et convenable


De Impétueux, le 12 septembre 2006 à 18:56
Note du film : 4/6

Lecteur assidu et très attentif de Michel Houellebecq, je me demandais bien ce que pourrait donner l'adaptation allemande des Particules élémentaires dont la densité narrative et la charge très conceptuelle me semblaient impossibles à transcrire au cinéma, a fortiori dans un film d'une durée normale d'un peu plus d'une heure et demie.

Sans doute, le premier roman de l'auteur, Extension du domaine de la lutte, a-t-il été très bien adapté par Philippe Harel, mais cet opus initial, s'il est lui aussi très chargé de sens (c'est peut-être même bien le vrai chef-d'œuvre du romancier !) est moins foisonnant, moins riche, a l'anecdote sans doute moins complexe ; par ailleurs, Harel s'est étendu au minimum sur le constat de l'épuisement vital de la société occidentale, qui est la thèse fondamentale, à mes yeux, de toute l'œuvre de Houellebecq.

Sceptique, donc, mais plein de bonne volonté – parce qu'il faut encourager les paris difficiles – je suis allé voir tout à l'heure le film de Oskar Roehler et j'en sors avec une impression mitigée : ce que j'avais lu dans la presse me semble assez exact : une tentative très honnête, mais vouée, sinon à l'échec, du moins à l'impossibilité de représenter la richesse de l'œuvre littéraire.

Une comparaison me vient immédiatement à l'esprit : Le nom de la rose. Qui a lu le vaste livre d'Umberto Eco, ses gloses savantes sur les hérésies médiévales, sur la lutte du Pape et de l'Empereur, ses passages en latin (non traduit !) sait bien qu'un décalque cinématographique, fût ce avec les gros moyens que Jean-Jacques Annaud a pu y mettre, était impossible ; aussi Annaud, très habilement, ne conservant que l'anecdote policière et accentuant l'aspect de critique sociale a-t-il subtilement baptisé son excellent film un palimpseste.

Qu'est-ce que c'est que cette chose ? va balbutier encore toute la génération qui a eu vingt ans APRÈS le funeste Mai 68 et qui est, à mes yeux et à ceux de tous les barbons érudits et subtils de mon âge, une génération définitivement ignare.

Eh bien, jeunes blancs-becs incultes et décadents, un palimpseste est, étymologiquement, une transcription de l'adjectif grec palimpsestos : gratté pour écrire de nouveau, de palin : de nouveau et psao : gratter, racler. C'est donc un parchemin dont on a effacé le premier texte pour en écrire un autre et, au sens figuré, un texte qui en cache un autre tout en le laissant transparaître au lecteur averti.

Dès lors, on comprendra mieux ce que voulait dire Annaud, et pourquoi je qualifierais volontiers également de palimpseste ces Particules élémentaires : on peut essayer de reconstituer une sorte d'image, en essayant de laisser transparaître, sous-jacente, la plus forte réalité.

Ainsi conçu, le film n'est pas mal, la distribution plutôt réussie, avec mentions spéciales pour Moritz Bleibtreu, qui joue le douloureux Bruno, pour Christian Ulmen qui est Michael, le scientifique et surtout pour Martina Gedeck qui est une Christiane impeccable, d'une dignité et d'une hauteur admirables, qui s'écroule, paralysée, au cours d'une partouze et se jette par la fenêtre après ce qu'elle croit être l'abandon de Bruno.

Partouze, vous avez dit partouze ? Je l'ai dit ; mais que les yeux effarouchés ne se retiennent vraiment pas d'aller voir le film, sauf s'ils sont d'une pudibonderie très au dessus de la moyenne : il n'y a pas chez Oskar Roehler de ces complaisances assez glauques que l'on trouve si souvent au cinéma : la misère sexuelle est montrée sans effet de connivence, et surtout sans clin d'œil salace. De toute façon, chez Houellebecq, le sexe est tout, sauf gai ! Donc, les scènes au camping féministo-alternatif, ou celles dans les boîtes échangistes ne racolent pas, elles montrent, simplement, une réalité pas très nette.

Excellente distribution, dignité du propos, qu'est ce qui ne va pas donc (outre l'insurmontable impossibilité de présenter en profondeur la réflexion d'Houellebecq) ? Je dirais volontiers que c'est l'accumulation des naufrages: toutes ces vies sont saccagées, profanées, esquintées à un point tel que ça devient littéralement insupportable ! Je m'étais fait un peu cette réflexion à la sortie de l'honnête Germinal de Claude Berri : ce que le roman autorise, parce qu'il est de respiration plus lente, le film ne le permet guère, et on aboutit à un tel catalogue de chagrins qu'on en sort épuisé. Que film comme livre dressent un constat terrible du désastre de la plupart des vies est une chose : mais c'est, dans une large mesure, plus crédible dans l'écrit.

Cela étant, que ceux qui aiment les films pesants, lourds de tristesse, ne se retiennent pas !


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