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Critique


De dumbledore, le 13 septembre 2002 à 00:00

Le Père Noël court dans les collines. Des enfants le poursuivent. Etrangement, ils ne sont pas intéressés par les cadeaux qui tombent de sa hotte. Non, ce qu'ils veulent, c'est tout simplement tuer le Père Noël. Le poignarder. Pas étonnant, nous sommes à Nazareth, et ça fait au moins 60 ans, là-bas, qu'on ne croit plus au Père Noël.

Voilà donc comment débute le deuxième long métrage d'Elia Suleiman, Intervention Divine, longtemps intitulé Chronique d'amour et de souffrance. Chronique était mieux choisi car il indiquait bien qu'il ne faut pas s'attendre à une histoire dans ce film. Elia Suleiman fuit d'ailleurs, autant que faire se peut, toute forme de narration classique pour, tel un Tati, décrire des situations qui se répètent encore et encore, apparemment tout le temps les mêmes, apparemment seulement car les axes de visions, eux changent, et avec ces changement naissent humour et ironie.

Le film est divisé en deux parties : Nazareth et Jerusalem. Dans la première partie, on assiste à une vie de village, c'est-à-dire à des histoires de voisinages. La présence et la pression israéliennes sont quasi-inexistantes, ou du moins poussées dans l'arrière-plan. Mais la violence, elle, est présente, toujours, mais toujours aussi montrée avec humour. Tous ces villageois se comportent comme des enfants munis du pouvoir des adultes : le vieux qui rassemble des bouteilles de bières vides pour les lancer sur les patrouilles qui passent ou qui s'amusent à détruire une route pour gêner toutes les voitures, ou bien encore deux vieux qui prennent plaisir à regarder -tels les deux vieux du Muppet Show- le spectacle de la ville, ou bien encore un type qui, chaque matin, lance ses poubelles dans le jardin de sa voisine… Ses soucis de voisinage, drôles, petits et sans conséquences, ne sont là que pour suggérer et préfigurer un autre souci de voisinage, plus dramatique celui-là et surtout nettement moins drôle. Celui que l'on retrouve exposé dans la seconde partie.

Jerusalem. Si l'humour est toujours présent sous sa forme " tatiesque ", un autre humour apparaît, plus spéctaculaire : celui du fantasme. E.S, le personnage principal, apparaît en mangeant un abricot. Il lance le noyau par la fenêtre de sa voiture et explose un tank. Ces fantasmes vont grandissants et deviennent comme vitaux pour ce personnage témoin de la violence de l'occupation, de la violence de l'agonie de son père et de la violence de son histoire d'amour qui ne marche pas. Seulement, il ne peut pas réagir " normalement " à cette violence. Il ne peut rien dire (il ne dit d'ailleurs pas un mot durant tout le film), il ne peut rien faire, et surtout pas répondre à ces provocations calculées et voulues. Alors il rêve, et ces rêves deviennent de plus en plus violents pour être de moins en moins drôles, et culminent dans une scène ninja où la femme qu'il aime défait un commando israélien. Etrangement, la scène comporte nombre de gags qui fonctionnent sur le papier mais qui ne marchent pas à l'image. La violence à d'ores-et-déjà pris le dessus sur l'humour. Cette incapacité à réagir " normalement " face aux pressions de toutes sortes est le thème du film qui a été tourné avant l'explosion de la seconde Intifada.

Le film d'ailleurs se finit sur ce danger d'explosion. E.S et sa mère regardent une cocotte-minute en train de siffler. La mère lui dit qu'il serait temps maintenant d'éteindre le feu… Et le film se finit avant qu'on sache si le feu a été éteint ou non…

Elia Suleiman prouve définitivement avec ce film qu'il est un cinéaste à part entière, avec son univers visuel qui lui est proche (même s'il est inspiré de Tati, mais aussi de Kitano et de Buster Keaton pour ce qui est de son pesonnage impassible et qui ne cligne jamais des yeux), et une narration très particulière. Elle n'est d'ailleurs pas sans rappeler Kundera dans le sens où l'histoire (si on doit en trouver une) d'Intervention Divine est finalement celle de Elia Suleiman qui essaye d'écrire le scénario de Intervention Divine mais qui a du mal à y réussir à cause de son père mourant, de sa fiancée qu'il ne peut voir qu'à un barrage et des " événements " dans leur globalité… On est proche, avec cette construction en abîme, de ce que fait Kundera donc, dans un livre comme la Lenteur (pour n'en citer qu'un).


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