Au fait, Jarriq, j'ai toujours pensé qu'il y avait en tout et pour tout deux bon films de Squittieri : les deux qui sont dans le coffret Mafia sorti récemment. Je me demandais si vous connaissiez celui-ci ? Camorra, en français Les Tueurs à gages, avec Fabio Testi. Sur le site film.tv.it, ils ont bien aimé ça. Juste avant I guappi, alors qui sait. Après tout, c'est du 1972. Et puis elle est si rare, Jean Seberg … Et puis il y aussi Charles Vanel, Raymond Pellegrin …
Une fois de plus, je dois faire passer ma note de 4 à 5 !
C'est un sacré film, sur un sujet passionnant : la Camorra en 1891. Le scénario, signé notamment par Ugo Pirro, un spécialiste de la mafia au cinéma, réussit à faire passer au spectateur une matière très riche, sans jamais être didactique. Et je dirais même que les quelques passages emphatiques – les plaidoiries de l'avocat Bellizzi joué par Franco Nero – devaient l'être, car cette emphase est elle aussi d'époque : c'est vraisemblable qu'une plaidoirie d'avocat, dans le Sud de l'Italie, en 1890, sonne comme ça, avec des envolées dramatiques et de grandes phrases à périodes.
Les deux personnages principaux sont prisonniers des codes de leur milieu et de leur époque. En plus de l'aspect proprement physique de la reconstitution historique, qui est, je dirais, typique du know-how de Cinecittà Inc., voilà qui contribue à rendre le film très convaincant et voilà aussi, bien sûr, où le drame se noue. En fin de compte, l'avocat Bellizzi a beau savoir tout ça, il a beau l'avoir analysé et l'avoir dit à haute et intelligible voix devant la Cour, ça ne veut pas dire qu'il peut s'en arracher, qu'il peut y échapper. Alors ce finale terrible, qui est le seul moment du film dont je me souvenais avec clarté – ça passait à Radio-Canada, il y a des lunes – "cueille" de façon vraiment extraordinaire, mais mieux encore que dans mon souvenir.
Le meurtre du crieur, qui est une des grandes scènes du film, c'est le meurtre de Naples : parce que ce personnage est une figure courante de la napolitanità (Voir par exemple une des affiches de L'Or de Naples) aujourd'hui sans doute folklorisée, mais qui en 1891 n'avait rien de folklorique. Et je dois à nouveau, c'est sûr, ressortir mon couplet admiratif : repérages ! Comme Naples est vivante dans ce film ! Les rues, les bâtiments, les places, les enfants misérables de 1891 dont on se demande si ce ne sont pas des enfants misérables de 1973 dans leur propre rôle. Et la scène où les enfants apprennent à s'entretuer au couteau, qui va trop loin même pour le camorriste endurci qu'est don Gaetano dit Coeur-de-Fer… Tous les rôles secondaires, enfants comme adultes, méritent en tout cas un grand coup de chapeau.
Et les principaux aussi, du reste ! C'est bien vrai que Fabio Testi et Franco Nero ne sont pas les plus grands acteurs du siècle, mais dans ce film, ils sont tout à fait à leur place, vraiment excellents, pleins d'énergie et portés par leur personnage. Claudia Cardinale est pleine d'aplomb et on la voit à son meilleur notamment dans la scène de tribunal où elle doit tout déballer en sachant – ou en croyant savoir – que ça va être son arrêt de mort.
Reste le mystère Squittieri. La scène du meurtre du crieur est digne d'un grand réalisateur, écrit Jarriq; c'est vrai, mais j'ai envie de répondre que l'important, c'est surtout qu'elle soit digne d'un grand film. Car le culte des grands réalisateurs est parfois trompeur, notamment parce qu'aucun art n'est plus collectif, plus "d'équipe" – ni plus inégal – que le cinéma. Et si on s'en tenait bêtement à la seule filière "grands réalisateurs" pour aller chercher tous les bons films qui valent la peine d'être vus dans cette très riche période du cinéma italien, ces deux excellents films de Pasquale Squittieri n'auraient jamais refait surface. Je veux dire que dans le cas de ce réalisateur, les mauvais films sont bien plus nombreux que les bons. Atto di dolore, croyez-moi, faut se le faire ! Et l'infecte série Z Affaire Russicom aussi, et plusieurs autres encore. Mais il y a l'époque à considérer, il y a le producteur, il y a le scénariste, tous ces experts en reconstitution d'époque – décorateurs, costumiers de toute première force – et il y a fort probablement aussi l'état de grâce dans lequel se trouvait monsieur Squittieri à ce moment-là. Celui qui a dit que l'inspiration n'existait pas est un fieffé imbécile.
Il faudrait encore parler du dossier cinéma italien contre mafia italienne, parce que bon, pour reprendre l'astucieux après-finale en forme de voyage dans le temps, si je repars de 1973 à nos jours, évidemment à Naples aujourd'hui sévit toujours la Camorra, si je pense à Naples aujourd'hui qui est la risée de l'Europe avec ses montagnes de déchets qui sont la conséquence on ne peut plus directe de l'emprise de la Camorra sur cette cité, un autre fieffé imbécile – ou peut-être le même que tantôt – pourrait dire que tous ces bons films n'ont servi à rien. Mais c'est faux, parce que la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Le cinéma ne sert pas à changer les choses, il sert à les montrer, à les dépeindre, à les décrire, à les rendre sensibles, et à cet égard I guappi est une évidente réussite.
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