Les repas peu copieux et répétitifs sont rapidement absorbés dans un silence total tout comme ces journées harassantes ou le moindre geste s’avère une épreuve au contact d'un paysage tourmenté et imprévisible.
L’enfant libre de ses mouvements, trop chétif pour produire peut encore se divertir pendant quelque temps de tout ce qui l’entoure préservé d’une corvée journalière se rapprochant inexorablement de son quotidien.
Exempté provisoirement de journées interminables sans le moindre geste affectif de parents rarement disponibles, accaparés constamment par le rythme incessant d’un labeur se reproduisant en permanence.
Une addiction pesante et sans espoir que l’on assume sans aucune lassitude apparente sur une terre ingrate dans une chaleur insupportable avec comme échappatoire, un contact temporaire avec certains aspects d’un autre monde dont on ne comprend pas toujours le fonctionnement.
Une soumission sans fin envers un parachutage isolé et éprouvant qui faut endurer chaque jour sans broncher telle une robotisation sans âme ne laissant aucune place à un support émotionnel dans l'impossibilité de pouvoir s’exprimer dans de telles conditions d’existence.
Il y a chez l'un et l'autre une sorte de résignation douce, qu'on peut juger absurde mais qui est dans la nature éreintante des choses. Senta, le père (Taiji Tonoyama), Toyo, la mère (Nobuko Otowa) ne passent pas une minute de leur vie sans trimer, ahaner, s'épuiser sans paraître jamais avoir besoin, avoir envie de se parler, de se sourire, de se dire un simple mot. On dirait des fourmis industrieuses, des insectes sociaux entièrement voués à des tâches indéfiniment renouvelées.
On commence par là à voir l'artifice. L'île nue est orientée, de façon un peu floue et peu satisfaisante, autour des quatre saisons. Ce qui m'a fait immédiatement songer au merveilleux Farrebique de Georges Rouquier, dont le second titre est précisément Les quatre saisons. Le film aveyronnais s'attarde sur de vrais personnages, des paysans réels, sculptés dans la campagne rouergate des lendemains de la guerre. Celui de Kaneto Shindô est une sorte de rêverie parabolique, très réussie au demeurant, mais parfaitement fantaisiste : on dirait que le réalisateur a accumulé, pour la stupéfaction et l'affliction du spectateur toutes les difficultés et tous les drames de ces pauvres paysans japonais.Drame dérisoire : ce pas qui manque à Toyo, la femme, qui lui fait renverser un plein seau d'eau au moment où elle arrive précisément près des cultures qui en auraient besoin ; et la gifle de frustration qu'elle reçoit de son mari, qu'elle ressent comme évidente et méritée. Drame intense : la mort de l'aîné des enfants, Taro (Shinji Tanaka) que le médecin, venu trop tard de trop loin ne pourra pas sauver… Mais enfin, comme dans toutes les sociétés rurales anciennes, ces morts-là font partie de la vie.
Tout n'est qu'efforts, fatigues, épuisements. Chaque pas est rude, pesant, résigné aussi. Le réalisateur filme avec conscience tous ces cheminements, ces pieds qui cherchent l'équilibre le long des chemins de galets glissants, aux cent tournants dangereux pour le fragile équilibre des baquets d'eau en instable aplomb sur les pauvres épaules de ces condamnés à perpétuelle géhenne.Très peu de mots (aucun, même, d'ailleurs sans doute), très rares sourires, un seul éclat de rire lorsque les deux garçons rapportent à leurs parents un gros poisson qu'ils ont pêché et qu'on ira, en famille, essayer de vendre à la ville, y parvenant au pris de mille peines. jamais un geste tendre, affectueux. Une vie de survie, sans aucun horizon autre que le lendemain.
Est-ce que cette existence a été celle de nos ancêtres ? Résignation, fatalité, soumission, attente de rien, répétition sans fin des mêmes gestes, pulsions primales, reproduction de l'espèce instinctive ? Tous les pauvres jours d'une pauvre vie…
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