Drôles de lutins méchants, presque souvent pervers, que ces frères
Joel et
Ethan Coen,
qu'on ne peut pas tellement distancier. Drôle d'esprit, drôle de violence, drôles d'outrances : ces deux garçons sont capables de tout. Peut-être surtout de présenter au spectateur une réalité poisseuse, vaguement gênante, où il (le spectateur !) ne reconnaît plus vraiment son petit confort et s'éberlue de voir à l'écran de sales gens. Des gens qui lui ressemblent peut-être un peu, d'ailleurs. Et c'est là toute la question.
Le premier film des deux frères,
Sang pour sang est déjà tout à fait de cette veine narquoise, vicieuse, méchante. On y retrouve avec peine ses petits, d'autant que le scénario est tout de même assez compliqué et que, à défaut d'avoir bien suivi toutes les images (les images qui donnent les
pistes), il faut se reporter aux sages et clairvoyantes notices de
Wikipédia pour s'assurer qu'on a bien compris les sinuosités du scénario. Je me suis rassuré en constatant que j'avais à peu près saisi les viciosités des personnages, mais le fait même de n'en pas avoir été complétement certain m'avait inquiété.
Pourtant, à la base; ça pourrait paraître assez classique, assez simpliste, même. Quatre personnages : un couple qui a perdu toute entente, un amant, un sale type qui veut profiter de la situation. Julian Marty (
Dan Hedaya) est le propriétaire d'un bar de nuit qui paraît assez prospère, quelque part dans l'immense Texas. Sa femme Abby (
Frances McDormand)
, dotée d'un insatiable tempérament, est alors l'amante de Ray (
John Getz). Le mari bafoué ne supporte pas la situation et charge un détective privé douteux, Visser (
M. Emmet Walsh, absolument remarquable dans le genre gluant), d'assassiner les deux amants.
Comme si c'était simple ! C'est là que l'intrigue connaît ses premières ramifications, méandres qui ne cesseront de se compliquer jusqu'à la fin, au point d’égarer de temps à autre l'attention du spectateur. Mais un spectateur qui marche, parce que les deux frères, avec un art consommé de la mise en scène et de la progression de l'intrigue, parviennent à retomber sur leurs pieds alors même qu'on pouvait craindre avoir perdu le fil. Il y a des ambiances, des atmosphères, des façons de surprendre qui marquent d'emblée le talent.
Il y a surtout un regard particulièrement clairvoyant, lucide, cynique sur notre pauvre Humanité : on ne discerne pas qui que ce soit de positif dans
Sang pour sang : il y a des gens souvent bien ternes qui sont lancés par une sorte d'avalanche malencontreuse dans des aventures bien déroutantes : on se sent plongé dans un gigantesque merdier dont on voit bien que les protagonistes ne sortiront pas intacts. Aux sens propre et figuré : il y a bien des morts et bien du sang, mais il y a surtout, déjà, qui surnage et qui pourrait apparaître comme une des lignes maîtresses du cinéma des deux frères, l'évidence que tout le monde se fiche de tout le monde ; ce que
Montherlant a très bien exprimé dans
Le chaos et la nuit :
Nul ne comprend bien sa situation tant qu’il n’a pas compris que, hormis un ou deux êtres, personne ne s’intéresse à ce qu’il vive ou à ce qu’il meure.
C'est tout à fait ça, d'ailleurs, n'est-ce pas ?