Qui dit Gabin années cinquante dit Gabin qui tente de refaire surface. Et la route est longue pour Gibraltar... Antépénultième film de Georges Lacombe, auquel je suis abonné en ce moment, Leur dernière nuit sera aussi le dernier film moyen que le futur Pacha du cinéma d'après-guerre tournera avant que de croiser, la même année , la route de Jacques Becker qui redonnera à Gabin toutes ses lettres de noblesse avec Touchez pas au grisbi. Elle a quand même bien tardé à venir cette rencontre. Un peu plus et le cinéma se faisait sans cet acteur majeur. Un Gabin moustachu pour la première fois de sa carrière, je crois bien, dans une grande première partie. Moustachu et libraire. Plus jamais il ne sera libraire… Dans un film ma foi pas si mal agencé que ça. Ce qui surprend dans cette œuvre, c'est que les personnages ne se dévoilent que sur le tard. Ils sont là, point. On ne sait d'où ils viennent, ce qui les a amené là où ils sont. J'ai toujours aimé, et je ne sais pas trop pourquoi, les films qui se déroulaient en partie dans les pensions de famille ou les hôtels. Nous avons tous vu Hôtel du Nord bien sûr et aussi L'assassin habite au 21. J'en oublie ce soir, mais ces lieux où des vies cohabitent de façon familière m'ont toujours un peu fasciné. Ces endroits sont pleins de secrets, de non-dits, de passés tortueux qui se sourient, mangent ensemble et dorment dans des chambres attenantes. C'est ici le cas.
Lacombe nous offre un film d'une grande simplicité. Peut-être un peu trop simple. Les choses de la vie vont trop vite. Comme ce hold-up un peu trop désarticulé. Le manque d'action se fait d'ailleurs ressentir vis à vis d'un personnage de la pègre. Aucune fioriture dans les psychologies de chacun. On ne sait que trop tard, vers la fin. Cela n'enlève rien à une certaine beauté mais ça peut-être dérangeant pour beaucoup. Une certaine beauté car la puissance émotionnelle est bien là. Et la désespérance n'est pas de mise. Du moins jusqu'à l'épilogue. Plusieurs clins d’œils très appuyés sur la carrière de Gabin avant guerre. Le Quai des brumes est à fleur de brouillard quand notre héros s'en va faire les cent pas sur le port pour demander aux capitaines de passage où vont tous les bateaux, comme la chanson de Serge Lama, et à quelle heure ils partent… Les remorqueurs et leurs Remorques font hurler leurs sirènes qui rendent fou un Gabin qui va finir par dire qui il est et d'où il vient… Madeleine Robinson est irréprochable dans un rôle d'amoureuse transie. Sereine, posée, offerte. Elle joue avec une justesse qui aurait mérité une toute autre carrière. Savait -elle que, dix ans plus tard, elle retrouverait son ancien amant et ferait semblant de ne pas voir les manches élimées de l'unique chemise blanche de celui devenu Le Gentleman d'Epsom ? Voilà bien des yeux qui n'ont pas eu les égards qu'ils méritaient dans l'océan des salles obscures. En tous cas, le duo fonctionne très bien. On aurait préféré, dans le même style puisque le film s'en approche quand même pas mal, un scénario plus fouillé comme Le rouge est mis .
Mais on accroche quand même. Et puis on sent bien que Max le menteur est proche de la vérité, de son grand retour. C'est la troisième collaboration Lacombe/Gabin après Martin Roumagnac et La nuit est mon royaume. Et si Lacombe s'applique à ne pas trahir Gabin, ce qu'il fait très honnêtement, on peut quand même reprocher à cette œuvre le manque de recherche dans l'écriture du scénario. Les dialogues sont parfois très faibles au tempo d'une histoire qui semble, par ce manque de détails, de fioritures que je dénonce au début, un peu bâclée… Pour autant, c'est loin d'être un mauvais film. Paris et sa Butte Montmartre est à l'honneur et la voix de Robert Dalban, passé flic pour une fois, n'y fait pas tache. Un tout petit côté ambiance Quai des Orfèvres ne nous est pas épargné et c'est tant mieux. La fin n'est pas d'une facture sans défaut, mais le tout reste quand même assez buvable… Certes.
Encore trois films et Georges Lacombe se consacrera à la télévision. Il aura été un très honnête représentant de cette profession. Peut-être pas le plus doué, peut-être pas le plus inventif non plus mais l'histoire du cinéma n'a pas eu à rougir de ses prestations. Je ne crois pas. Il a très décemment servi un métier des plus aventureux sans jamais ridiculiser les acteurs qu'il employait. Un excellent menuisier à défaut d'être un grand ébéniste de la pellicule…
Ah, cher Tamatoa, si vous me voyez de là où vous êtes, et qui doit être le paradis des plongeurs polynésiens, si vous me lisez, sachez bien que, hier, votre message sur Leur dernière nuit m'a ravi, comblé, m'a paru avoir décelé toutes les qualités, toutes les singularités, tous les défauts et tous les charmes du film. Et je me sens bien penaud au moment d'aller déposer ma propre appréciation en me demandant bien ce que je vais pouvoir ajouter à ce que vous avez dit, c'est-à-dire tout, ou peu s'en faut !
Voilà en tout cas une occasion de redire combien vous nous manquez et combien la camarde a été injuste de vous retirer la vie. Visiteurs de DVDToile qui appréciez les plumes alertes, l'ironie, l'esprit et l'érudition cinématographique, traquez les messages de Tamatoa : vous n'en serez pas déçus.Pourtant, ami, alors que je partage ce que vous avez écrit sur la réalisation de Georges Lacombe, voilà que je mets une note supérieure à la vôtre et que je ne boude pas mon plaisir d'avoir regardé quelque chose qui m'a surpris et séduit lors de sa découverte et que je placerais volontiers dans une liste des films méconnus mais de grande qualité des années 50, au milieu de L'homme aux clés d'or, de Meurtres, de L'air de Paris…
Et pourtant, paradoxalement, je juge sur certains points plus sévèrement que vous ne le faites Leur dernière nuit. Je partage entièrement votre goût pour les films qui se déroulent dans le petit milieu clos des Pensions de famille, forme d'hébergement qui eut son heure de gloire, si je puis dire, aux siècles derniers (souvenons-nous de la Pension Vauquer, du Père Goriot où Rastignac débarque venant d'Angoulême) mais qui n'existe plus guère aujourd'hui (une seule, à Paris, à ma connaissance à Paris, Les Marronniers, au coin de la rue d'Assas et de la rue Vavin). Et le meilleur des exemples, c'est naturellement L'assassin habite au 21. Mais je trouve que les réalisateurs n'exploitent pas très bien, à part Clouzot donc, ces microcosmes souvent crapoteux : c'est le cas dans L'homme du jour, pourtant de Julien Duvivier et tout autant dans Leur dernière nuit où, sitôt les pensionnaires découverts et croqués sur le vif, ils disparaissent trop vite de l'écran.Puis il y a une histoire certes étrange, mais présentée avec certaines maladresses et, dans plusieurs de ses aspects, terriblement artificielle. Une jeune femme de Limoges qui se réfugie à Paris et dont on apprendra bien plus tard qu'elle et son mari sont drogués, c'était alors un sujet de société plausible. Un médecin issu d'un milieu modeste de l'Angoumois radié de l'Ordre à la suite d'une histoire poisseuse mais peu claire d'avortement clandestin, c'est assez cohérent dans l'esprit des années 50. Que ces deux personnages en fuite se rencontrent et s'aiment, c'est également dans la logique romanesque des choses.
Mais que le docteur Pierre Ruffin (Jean Gabin), avec une couverture de bibliothécaire lettré soit, en fait, un gangster redoutable, ait pu s'imposer dans le Milieu et y avoir une stature presque comparable (j'exagère) à celle que le même Gabin (Max le menteur) détiendra, un an plus tard dans Touchez pas au grisbi, voilà qui ne va plus guère et dont l'invraisemblance gêne.Malgré tout cela, je n'ai pas du tout décroché d'une intrigue bien rythmée et d'un film dont plusieurs séquences sont très prenantes.
Ainsi la visite domiciliaire au coiffeur recéleur (Jean-Jacques Delbo) qui tente de fuir la juste colère et la vengeance de Ruffin en escaladant le toit en zinc d'un cinéma de quartier où l'on passe un western : et donc la musique allègre des chevauchées étasuniennes en contrepoint de la glissade fatale du complice déloyal… J'ai songé à la ritournelle qui accompagne le meurtre de Régis (Fernand Charpin) l'indic de Pépé le Moko… aussi à la chute de Michel Simon dans Panique. Ainsi la traque de Ruffin par la police dans l'étrange atmosphère nocturne du port de La Bourdonnais. Et l'extrême fin du film qui est une réussite avec le désarroi et le désespoir de Madeleine Marsan/Madeleine Robinson, bien belle et extrêmement mal fagotée.
Page générée en 0.0069 s. - 5 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter