Voilà un film d'une parfaite efficacité dramatique, qui relate, sans doute en l'enluminant un peu, le tour de force de l'exfiltration de six diplomates étasuniens d'un Téhéran en ébullition et en haine anti-occidentale en novembre 1979.

Pour invraisemblable qu'elle paraît être, l'anecdote est vraie : six diplomates, qui se sont enfuis de l'ambassade des États-Unis où allait être retenue en otage une cinquantaine de leurs collègues, ont trouvé refuge à la légation canadienne. Ils y resteront bloqués près de trois mois jusqu'à ce qu'un fabuleux subterfuge leur permette de quitter ce pays de fous furieux. L'idée a été de les faire passer pour une équipe de tournage d'un film de science-fiction, Argo, précisément, venue procéder à des repérages en Iran.

On est confondu – mais ravi, bien sûr – qu'une friponnerie pareille ait pu fonctionner, que la bureaucratie révolutionnaire ait pu se faire rouler ainsi. Peut-être, sans doute même l'alliance du fanatisme et de la naïveté prédisposait-elle les Gardiens de la Révolution à se faire ainsi ridiculiser : la méfiance institutionnalisée finit par laisser ouvertes des failles béantes…

Et donc c'est très bien fait, vécu en temps réel, avec des allers et retours très efficaces entre les États-Unis, où se monte l'arnaque, et l'Iran où se morfondent les six pauvres diables et d'où ils seront tirés à la suite d'un enchaînement de coups tordus, de hasards, d'heureux balbutiements de circonstances improbables. Le réalisateur, Ben Affleck, qui interprète en même temps l'agent de la CIA envoyé pour piloter l'évasion, filme ce récit prenant avec une certaine sécheresse bienvenue : ainsi, alors que toutes les lois du genre pouvaient l'y incliner, s'est-il refusé à faire couler des flots d'apitoiement gluant vers les séquestrés, les dépeint-il sans sympathie particulière, en dessinant à peine les différents caractères et en les présentant plutôt comme des individus faibles, lâches et inintéressants. L'orientation du film n'est pas de réunir une collection d'histoires humaines mais de présenter avec une belle froideur une machinerie subtile.

Reste à dire un mot sur le propos liminaire du film qui présente l'Iran – la Perse – comme un très vieux pays civilisé (ce qui est exact) qui s'est donné à la révolution islamiste à cause de la sauvagerie de son dernier Shah. Si, comme tous les chefs d'État orientaux, Mohammed Reza Pahlavi gouvernait le pays d'une main de fer, avec l'aide de sa police politique, la Savak, il n'en demeure pas moins qu'il modernisa considérablement son pays et tenta de le laïciser, fût-ce à marche forcée (il suffit de regarder les photos des rues de Téhéran en 1978 et les tristes clichés d'aujourd'hui). Mais sa volonté d'émancipation, de rapprochement avec l'Union soviétique l'ont pestiféré et l'ont fait, finalement lâcher par les États-Unis qui ne se rendaient pas compte qu'ils ouvraient la voie à l'islamisme.

Nous en rendons-nous compte aujourd'hui ?

4,5/6. Un très bon film, impeccablement réalisé. Ce qui est le plus intéressant, c'est la recréation soignée des années 1970 (costumes, décors, coiffures, objets -souvent grotesques-) comme le confirme d'ailleurs l'excellent générique final, le descriptif du Hollywood un peu bohème de l'époque (ses vedettes d'alors : Lee Majors, par exemple) et celui des rouages bureaucratiques de l'administration américaine de Jimmy Carter.

Argo est assez prenant, surtout dans sa seconde partie (certes, avec de grosses ficelles). Les dernières minutes sont très réussies. La psychologie du personnage principal est très bien exprimée, tout en retenue, par Ben Affleck. Un bon divertissement qui se laisse voir (avec pas mal d'idées nouvelles amenées régulièrement, ce qui maintient l'attention) et une source de réflexion peut-être sur le temps qui passe et différents sujets politiques et humains.