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Sujet : Bon film sur une histoire épeurante


De Arca1943, le 29 janvier 2012 à 00:37
Note du film : 5/6

Je me rappelle avoir suivi (un peu) l'affaire d'Outreau via les médias québécois et parfois dans les pages du Canard enchaîné. Vu de l'étranger, ça apparut d'abord comme un sordide réseau international de pervers, puis l'affaire changea de cap et on finit par comprendre à quel point la justice française s'était plantée.

Ce film est une fiction, et je ne connais pas du tout suffisamment les faits pour savoir quelles libertés ont été prises entre fiction et réalité. Mais une chose est sûre : le personnage du jeune magistrat instructeur est bien de notre époque.

Ce que je soupçonnais vaguement sur ce petit juge, me semble sinon confirmé en tout cas pas contredit par le film que je viens de voir. C'est que l'effondrement de la culture générale entraîne l'apparition de gens qui sont de plus en plus spécialisés dans un domaine et de plus en plus ignorants de toute autre matière. Des juristes qui ne connaissent que le droit, des économistes qui ne connaissent que l'économie, voire des biologistes qui ne connaissent que la biologie… D'où la multiplication de gens qui expliquent tout du monde par leur seul domaine (qui ne jurent que par lui, pourrait-on dire), ne connaissant rien d'autre ou si peu. Cela favorise une sorte de panthéisme dans la vie de l'esprit, et l'émergence du redoutable dieu Toutêh.

Des écononomistes pour qui tout est économique, des sociologues pour qui tout est sociologique, des biologistes pour qui tout est biologique, des juristes pour qui tout est juridique. Pour tous ces cas de figure, existe (fort heureusement d'ailleurs !) un isme correspondant. Ainsi on appelle économisme la tendance à tout subordonner à l'économie, juridisme la tendance à tout subordonner au droit, sociologisme la croyance que tout est sociologie, etc. Plus récemment, j'ai même découvert qu'on appelait philosophisme ou panlogisme la tendance à tout subsumer à la philosophie.

Je ne dis pas que tout le monde est comme ça ; juste qu'une telle attitude d'esprit existe en ce monde ; et d'après moi, existe un peu plus aujourd'hui qu'hier. Et ces différents ismes portent leur isation : ainsi politisation, judiciarisation, biologisation…

Vu le portrait au vitriol qu'il trace de la justice, je soupçonne ce beau film vigoureux et prenant d'être manichéen dans sa présentation, mais je peux tellement me planter, n'ayant suivi cette lamentable histoire que depuis l'autre côté de l'Atlantique, il y a bien des années, avec l'oeil bovin du téléspectateur étranger qui ne connaît rien au système judiciaire français. Mais quand bien même cela serait, et que son portait dans le film soit poussé au noir, pour qu'une telle erreur judiciaire se produise et se prolonge, il est hélas bien vraisemblable que ce juge ait été un cas de déficit d'humanité, aussi ma proposition pour essayer de comprendre le tout tourne autour de l'idée de "juridisme". Est-ce qu'en poussant cette idéologie (car c'en est une, au fond), on ne débouche pas sur : "J'ai raison parce que je suis juge", entraînant ainsi la déroute du jugement ?

J'ai trouvé Philippe Torreton vraiment formidable, et je crois bien tous les autres acteurs aussi. Le choix du personnage central en tout cas fut le bon : car il est huissier ! Il appartient à la loi ! Détail trop dingue et pourtant vrai qui ajoute à la dimension kafkaïenne de cette épouvantable maldonne.


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De Impétueux, le 30 janvier 2012 à 22:48
Note du film : 4/6

La justesse de ce que vous écrivez, Arca, et qui est habituelle, me paraît encore plus aiguë que d'habitude.

L'encloisonnement des spécialistes est un des drames du monde moderne. Mon cher Giono a écrit quelque part La technique consiste à savoir le plus de choses possible sur des sujets de plus en plus restreints, ce qui aboutit, en fin de compte, à tout savoir sur rien.

Lorsque cette technique porte sur des thèmes aussi graves que la Justice, ou la médecine, cela montre le degré de déliquescence de nos civilisations.

Il se trouve qu'actuellement, je travaille au quotidien avec trois jeunes femmes issues des meilleures écoles de notre pays. Bosseuses, intelligentes, éveillées, ouvertes, incontestablement. Avec elles, je circule dans Paris ou en France plusieurs fois par semaine : je suis frappé de constater combien ces jeunes femmes, qui n'ont pas 30 ans, sont à peu près totalement incultes : les personnages célèbres qui ont donné leur nom aux rues de Paris, l'évocation des épisodes historiques qui, ici et là, ont touché nos provinces, les musiques, les films, les tableaux, tout leur est inconnu, ou presque. Elles ne savent rien, elles sont formatées pour, dans de très grandes sociétés internationales de service, de conseil, de consulting, donner avec rapidité et efficacité, des solutions bien présentées, dans des Powerpoint en format paysage.

Elles sont loin d'être fermées, passant à Chartres ou à la Rotonde de La Villette, à ce que je peux, dans le courant de la conversation, dire de Charles Péguy ou de Claude-Nicolas Ledoux. Elles paraissent même s'y intéresser et elles pourraient le faire si elles en avaient le temps. J'ai l'impression quelquefois que j'ouvre des portes sur des mondes inconnus. Mais comment s'appuyer sur des noms, sur des récits, si l'on n'a pas en face quelqu'un qui a assimilé leur substrat ? Comment parler d'Histoire à quelqu'un qui n'a aucune conscience de la pesanteur des siècles ? Il faudrait recommencer au début, comprimer en quelques conversations ce qui a été patiemment enseigné, ou lu pendant des années.

Donc le Juge, raisonnant en Droit, sûr de ce que lui ont enseigné ses manuels, ses professeurs d'indignation, et les émissions télévisées, se trouve aussi désemparé devant une affaire qui ne rentre pas dans ses cadres.

Où serait le Porphyre de ce Raskolnikov ?

Je ne connais pas le film que vous évoquez, vous en parlez d'ailleurs fort peu. Torreton doit, comme d'habitude, y être excellent. Il a cet œil de type lancé sans bouclier dans une mêlée furieuse…


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De Impétueux, le 29 septembre 2013 à 16:50
Note du film : 4/6

Davantage un téléfilm qu'un film, dans son côté sujet de société, mais plutôt habilement présenté, Présumé coupable s'appuie sur le récit d'un seul des protagonistes de l'affreuse affaire d'Outreau. L'huissier de justice Alain Marécaux, emporté dans la tourmente des accusations folles de Myriam Badoui a vu sa famille dispersée, sa vie professionnelle détruite, son existence démolie. Il raconte ce cauchemar et Vincent Garenq le met en images avec une certaine sobriété, dont on lui saura gré.

Il aurait en effet été roublard, complaisant (et dégueulasse) de narrer cette sordide affaire de prostitution enfantine et de pédophilie en mettant en scène tout l'assemblage des personnes inculpées, en montrant les enfants esquintés, en introduisant le doute à partir d'images glauques ou ambiguës, en tonnant contre les salopards. Rien de cela dans Présumé coupable qui fait seulement allusion presque a minima aux événements. C'est bien plutôt le broyage effrayant d'un individu sans particularité notable par une machine infernale dont il est question.

Sans particularité notable, certes. Père de famille tranquille, mari sans singularité, matériellement à l'aise, Marécaux, superbement interprété par Philippe Torreton, est dévoré par le maelström. Mais sa situation m'a fait songer à une autre épouvante, vécue par un homme d'une dimension bien différente, mais pareillement démoli dans toutes les composantes de sa vie après un séisme personnel : le baron Empain, magnat de la finance et de l'industrie, enlevé en 1978 par des bandits, qui ne fut libéré qu'au bout de trois mois d'avanies affreuses et qui ne trouva à son retour dans le monde civilisé que le désastre et les ruines. Lucas Belvaux a tiré de cette histoire, en 2009, un film superbe et glaçant, Rapt, avec Yvan Attal.

Ce qui est également effrayant, dans la vie de Marécaux, au delà même de l'erreur judiciaire, de la dénonciation de l'aveuglement avec quoi le juge Burgaud (Raphaël Ferret), étranglé dans ces certitudes lui met la tête sous l'eau, de la méchanceté agressive de l'appareil policier, c'est la facilité avec laquelle la vie d'un homme peut basculer et, finalement, se décomposer, se désagréger sans possibilité de rémission. Abandonné par sa femme (Noémie Lvovsky), rejeté par ses enfants, éloigné par ses confrères, mis à l'écart par la plupart de ses amis, Marécaux, au sortir du cauchemar, n'est plus rien. Les aveux tardifs, lors du procès, de Myriam Badaoui (Farida Ouchani), qui innocentent presque tous les inculpés, n'y peuvent rien changer : après la catastrophe, c'est encore la catastrophe…


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