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Sujet : La peine des hommes


De Impétueux, le 20 août 2011 à 15:01
Note du film : 4/6

Si ce moyen métrage de 70 minutes était plus court d'un quart d'heure, ce serait un vrai bijou d'observation et d'empathie ; mais la fin du film, qui se veut symétrique de son début se traîne un peu, répète un peu ses images.

De quoi s'agit-il ? De filmer, au début des prospères années 70, les ouvriers de l'usine Citroën construite en Bretagne une dizaine d'années auparavant. Pourquoi à Rennes, alors que le cœur battant de la marque est à l'époque quai de Javel, dans le 15ème arrondissement (et migrera en 1973 à Aulnay-sous-Bois à côté de Paris) ? Pourquoi ? Pour deux raisons : la première, la plus publique, mais non la moindre, c'est que l'État mène alors une politique volontariste d'aménagement du territoire et que, considérant la Bretagne comme à la traîne des régions françaises, il y multiplie les investissements (la station satellitaire de Pleumeur-Bodou, l'usine marémotrice de la Rance, le plan routier breton) et les incitations industrielles ; la seconde raison, plus discrète est que les dirigeants de Citroën souhaitent trouver une main-d'œuvre moins syndicalisée, plus disciplinée que celle qu'ils subissent dans les régions plus anciennement équipées.

On construit donc des usines à la campagne. Et Louis Malle en filme les ouvriers, attentifs, silencieux, concentrés sur leurs tâches, sûrement durs au mal. Les gestes sont normés, précis, en parfaite adéquation avec la marche des machines-outils, qui donnent le rythme du labeur dans des hangars immenses comme des cathédrales. Et, de fait, ce sont des visages de paysannes et de paysans bretons qui sont encore tout proches de la terre qui apparaissent, aux bonnes joues vermeilles et à l'œil calme.

Celui qui, comme moi, ne sait rien fabriquer de ses dix doigts est toujours fasciné par la netteté et l'exactitude des gestes, la perfection des mouvements, si absolument répétés qu'ils en deviennent évidents. Mais, au contraire des métiers d'artisans que filment Georges Rouquier (Le tonnelier, Le Maréchal-ferrant), Jacques Demy (Le sabotier du Val de Loire) ou Alain Cavalier (24 portraits), les emplois de l'usine Citroën sont ceux de la chaîne, dont le rythme guide le passage du temps.

Pas de misérabilisme pour autant. Un jour, visitant une usine de pâtisserie industrielle, j'ai sottement demandé à une employée si elle ne s'ennuyait pas trop à transformer en croissants, par un coup de main répétitif, les pâtons qui passaient en un cheminement ininterrompu ; Oh non, monsieur, m'a-t-elle intelligemment répondu, c'est la main qui travaille, la tête est ailleurs !

Au milieu du film, on quitte Rennes pour le Salon de l'Auto de la Porte de Versailles. Gouailleur et passionné de bagnoles, le président Pompidou pose quelques questions ; le brouhaha des vendeurs et des clients, de la foule qui se presse. La déesse automobile est au sommet de sa puissance…

Et on retourne à Rennes pour revoir d'autres images, aux ateliers de câblage, de sellerie, de garnissage, de peinture. Mêmes captations précises, mêmes regards sceptiques qu'un cinéaste – et un cinéaste d'origine bourgeoise, s'il en fut ! – puisse regarder le travail avec cette curiosité sans doute un peu apitoyée.

Le travail, la peine des hommes. Vieux comme le monde, tout ça…


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