Quand on évoque Henri Verneuil, quelles sont les images qui nous viennent de suite en tête ? Pour moi c'est Belmondo traversant la place de Tigreville, à la recherche d'un Taxi sous une pluie battante, en pleine nuit. Un singe en hiver…
C'est une grande bétaillère, perdue dans le brouillard, avec un Gabin qui rassure Françoise Arnoul, agonisante. Des gens sans importance…
Fernandel, au fond d'un trou, trempé jusqu'aux os, mourant de faim et écoutant les soldats allemands vanter les grands restaurants Parisiens. La vache et le prisonnier…
C'est encore les larmes de Iohann Moritz, Anthony Quinn, le Roumain épuisé, balloté par toutes les affres de la guerre et à qui un photographe indifférent demande : "- Souriez ! Souriez ! Mieux que ça ! Souriez !!!-". La Vingt-cinquième heure….
Une terrible diatribe d'un président du conseil, à l'encontre de tous les députés véreux siégeant à l'Assemblée Nationale, dénonçant les rois nègres, les trafiquants d'armes, et la haute banque. Le Président….
Delon devant une piscine, regardant remonter à la surface de l'eau le butin d'un hold-up pourtant minutieusement préparé. Une musique inoubliable sur des sacs qui s'ouvrent et libèrent des centaines de billets de banque. Mélodie en sous-sol…
Fernandel, capitaine jouant le bateau et sa cargaison au jeu de la mouche et du sucre sous les yeux de son parrain Édouard Delmont essayant de réunir les quintuplés pour la fête de Trézignan . Le mouton à cinq pattes…
Bernard Blier expliquant à ses amis comment il avait réussi à entrainer une petite Suédoise en carafe dans le désert, pour lui montrer la rose des sables :"- Et ben elle a voulu y aller voir..Elle avait un regard d'enfant, des yeux rêveurs…Une salope, quoi ! Moi c'est à ça que je les reconnais !-" Cent mille dollars au soleil….
Montand trop curieux s'écroulant, frappé d'une balle en pleine tête, dans son bureau. Une balle tirée d'on ne sait où, dans la nuit, au milieu d'immenses buildings. I… comme Icare….Et tant d'autres, tant d'autres !
Et puis, après les épais et lourds Morfalous, Verneuil mit sa carrière en sommeil. Belmondo courant sur le toit du métro Parisien Peur sur la ville, ou Gabin en parrain maffieux jouant du flingue dans Le Clan des Siciliens, il pensait qu'il était peut-être trop vieux pour ces farces et attrapes. Il était temps pour lui de revenir aux sources et, avant que d'en finir, rendre l'hommage qui convient à ses parents pour qui il avait une réelle dévotion.
Mayrig est ce film révérence envers ceux qui l'ont élevé et lui ont permit d'être ce qu'il fut. Sur fond de génocide arménien (le récit de Jacky Nercessian est absolument terrifiant) ce film raconte l'arrivée à Marseille de la famille Zakarian, le véritable nom de Verneuil étant Achod Malakian.
Puis leur survie dans cette ville très étrangère pour tous ceux qui venaient d'ailleurs. Une intégration difficile au milieu d'une population qui ne l'était pas moins. Mayrig, qui veut dire "Maman" en Arménien, c'est un film de reconnaissance éternelle envers des parents et des tantes qu'il adorait plus que tout au monde. Verneuil insiste sur les plus petits détails de la vie. Pour mieux nous dire la chaleur, la confiance dans laquelle il grandit. La scène où toute la famille respire très fort en osmose avec le petit Azad pendant que le médecin l'ausculte résume tout l'esprit du film. De l'Amour, de la tendresse débordante. Claudia Cardinale est cette merveilleuse et attendrissante Maman. Sa voix, quelque peu rauque, lui confère encore plus de douceur. On dirait toujours qu'elle parle à son petit entre deux sanglots. Omar Sharif, lui, sera le guide, l'Étoile qui montre la route. Nathalie Roussel, qui sera plus tard la maman de Pagnol dans Le château de ma mère est, elle, une tante gâteau, délice, irremplaçable. Au même titre que Isabelle Sadoyan, tante Anna, peut-être l'ange gardien de tout ce petit monde exilé. Une Maman, deux tantes. Ma trinité de mères… nous dira Azad, le futur Verneuil. Il nous donnera plus que nous attendions. Si il fait ressortir au mieux la passion qu'il a pour ses parents, il n'oubliera pas de nous rappeler la grande plaie d'un pays exsangue et la cicatrice que portent encore aujourd'hui les damnés de l'Empire Ottoman.
L'exil en moins, chacun de nous, du moins je le souhaite vivement, se reconnaitra dans cette chronique de l'Amour parental. Au son de la merveilleuse musique de Jean-Claude Petit nous suivront le jeune Azad jusqu'à l'âge du presqu'adulte. La scène de la chevalière me fait couler une larme chaque fois que je la vois. Henri Verneuil a porté jusqu'à sa dernière heure une chevalière en or. Et à la fin de Mayrig, il nous explique que pour ses 21 ans, il reçu cette chevalière offerte par ses parents. Quand soudain il s'aperçut que son père et sa mère n'avait plus à leurs doigts leurs alliances respectives, il comprit qu'ils les avaient fait fondre pour pouvoir lui offrir ce bijou… Azad, alors se lève et entraine sa mère dans une valse folle qui se prolongera dans la rue, sous une lune complice, et des violons magiques…
C'est un film admirable. Une magnifique mémoire. Un hommage émouvant sans niaiserie. Je ne me suis pas demandé une seconde si techniquement il était parfait parce que je m'en fiche éperdument. Comme de ma première syntaxe. Je n'y ai vu que de l'Amour. De la tendresse aussi sucrée que les gâteaux et les douceurs arméniennes. Un vrai, un grand film d'Amour. De celui, éternel, que nous pleurons chaque jour que Dieu fait…
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