Si Incubus n'était pas le premier long métrage (et sans doute même le seul film de l'histoire du cinéma) tourné en espéranto, il n'aurait sûrement pas été proposé dans l'intéressante (et disparue) collection Cinéma de quartier présentée par Jean-Pierre Dionnet ; ça n'aurait pas été une grande perte.

Car l'argument d'étrangeté est bien vite épuisé et, une fois les trois premières minutes passées, où l'on s'est amusé à identifier les sonorités de cette langue bizarre, naïve utopie babelienne de la fin du 19ème siècle, on s'ennuie ferme, et on trouve que c'est filmé sans esprit, ni grandeur. La démesure aurait pourtant été de mise pour une histoire de démones vouées à pervertir et à pourrir les âmes pures et jetant leur dévolu sur tous les preux chevaliers qui peuvent leur tomber sous la main ; mais il faut croire que ces choses-là, qui peuvent être jugées graves, requièrent, pour intéresser, un minimum de conviction. Incubus, c'est un peu fait comme Les visiteurs du soir, une envoyée du diable ici, une séide du démon, là, qui se prend au jeu de l'amour terrestre et trahit le Prince des Ténèbres. Écrivant ceci, je vois bien la différence abyssale qui existe entre le film de Leslie Stevens et celui de Marcel Carné, qui n'est pourtant pas un chef-d'œuvre ; il y manque, (d'évidence !), et Prévert, et Jules Berry, et Arletty ; mais il y manque aussi la maîtrise du récit et un tout petit peu de moyens.

Un film du second rayon ne peut être un film qui marque qu'à condition de s'appuyer sur une histoire forte (The wicker man), des images fortes (Jonathan, Vampire sterben nicht) ou sur des acteurs marquants (Les lèvres rouges) ; sinon, il tombe dans l'anecdotique, le pittoresque ou le faux poétique ; Incubus m'a fait penser à un téléfilm assez singulier, Le jeu d'Elsemberg, d'Edmond Tybo (qui n'est référencé nulle part, pas même sur Imdb, mais dont je possède une copie) : mêmes brumes photogéniques, mêmes courses dans des landes désolées, mêmes gros plans sur des visages torturés ; tant à faire, autant regarder du graveleux Jean Rollin qui, au moins, dévoilait d'horrifiques, mais bien fichues créatures !

Bref, si vous trouvez Incubus dans une brocante, ne vous laissez pas aller : ça ne vaut pas tripette, on s'y ennuie férocement, et il n'y a guère à sauver qu'un ou deux plans réussis, l'un des adorateurs du Diable se jetant sur une victime (qui fait songer à un autre, sublime, d'Entretien avec un vampire où, tel des rats, les monstres recouvrent le corps dénudé de Laure Marsac), l'autre de l'apparition du Démon, en bouc photogénique… C'est vraiment très peu. Fuyez.