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Sujet : Une ado antimafia


De Arca1943, le 1er avril 2010 à 04:07
Note du film : 5/6

Les critiques préféreront toujours un film comme Gomorra pour son traitement distancé et sa construction savante, son côté leçon de cinéma – et d'ailleurs pour la première demi-heure que j'en ai vu, Gomorra c'est très bien – mais le grand public, lui, devrait selon moi préférer un traitement comme dans La Sicilienne, beau film de Marco Amenta, pas moins instructif, même si les amateurs d'audaces formelles risquent d'être déçus. C'est un film prenant, émouvant même, alors bien sûr, c'est mauvais, on sait bien. Et puis c'est linéaire, en plus, autre péché mortel.

J'ai trouvé la photo très réussie, même si Jarriq, s'il était avec nous, dirait probablement qu'elle fait un peu téléfilm (budget modeste oblige). Et malgré les efforts antitouristiques des auteurs, la Sicile est rudement belle, quoique fugace. Les scènes de piazza bien faites, le côté années 80 aussi. Le mégaprocès, avec tous ces accusés en cage, a de la gueule.

Il s'agit d'une production sans moyens extraordinaires, mais digne, avec un bon scénario (tiens : Sergio Donati, comme on se retrouve) qui nous raconte une histoire tirée de la chronique. Peut-être y a-t-il un ou deux mots de trop dans le dialogue, comme ça arrive parfois dans les films en colère. Mais en général, très bien, pas didactique tout en étant instructif. Les personnages sont vivants. À la fin, lors des funérailles de Rita, il y a petit côté militant (quelques plans de manifs antimafia, mais ça reste beaucoup plus bref et plus sobre que les interminables funérailles de Veronica Guerin à la fin du film éponyme.) On voit aussi très brièvement une vidéo maison de la vraie Rita Acria et les funérailles du vrai juge Borsellino.

Si on fait une moyenne, je dirais que la différence la plus évidente entre les bons films américains et italiens sur la mafia, c'est que ces derniers sont souvent animés d'une rage antimafia qui leur confère un caractère bien à eux.

Notons que ce film vient de sortir au Québec, alors que des films italiens qui sortent au Québec, c'est devenu extrêmement rare. Celui-ci sort en direct-to-video, d'une manière que je qualifierais d'invisible, alors que Gomorra, parce que les critiques et les festivals ont aimé ça, a eu ici une vraie sortie, dans plusieurs salles et tout. Le film de Marco Amenta n'est peut-être pas un grand film comme Gomorra, cependant il parle un langage bien plus accessible au grand public. Alors cette sortie invisible est une erreur.

Par ailleurs je note avec une satisfaction narquoise que le DVD n'est pas sorti en France. D'habitude c'est le contraire, les films italiens sortent en France et pas ici.

C'est un film de personnages, principalement deux : l'adolescente Rita, fille et soeur de deux mafiosi assassinés, et le juge Paolo Borsellino, un magistrat. Deux personnages qui ont consacré leur vie à détruire la mafia, et en sont morts, non sans avoir fait mettre un sacré paquet d'honorables-pères-de-famille-que-tout-le-monde-respectait à l'ombre et pour longtemps.

La demoiselle D'Agostino qui incarne Rita Atria – rebaptisée Mancuso pour la durée du film, et je me demande pourquoi, sinon à titre de précaution contre d'éventuelles poursuites, de la maman de Rita par exemple, ou alors carrément de… mais passons – la demoiselle D'Agostino est vraiment très bien. Elle a une belle tronche, mais en même temps si des Américains avaient fait le film ils n'aurait jamais pris cette jeune fille – trop potelée pour eux, pas assez glamour. Trop sicilienne, quoi. C'est provincial, une Sicilienne. Mais elle est sacrément intense, par contre ; oh, elle a du chien et fait très bien passer cette dimension du personnage : une jeune fille qui dénonce la mafia, mais qui, en même temps, a encore des bouffées de mentalité mafieuse, pour ainsi dire. Alors la première fois que le juge entreprend de l'interroger sur son père et son frère, oh là là ! Ils n'ont rien fait, eux, son père et son frère. « Mon père, tout le monde l'aimait dans le village car il venait en aide à tout le monde et s'il était encore vie, il vous apprendrait ce que c'est qu'un homme, un vrai, sale flic ! » Ah, c'est une très bonne scène.

Éventuellement Rita Atria-Mancuso finit par distinguer entre vengeance et justice ; mais au départ elle est allée aux carabiniers parce qu'elle voulait se venger des assassins de son papa, dont le tristement célèbre Toto Riina, qui au cours des années 80-90 avait pris le contrôle de Cosa Nostra. Mais le magistrat fait voir à Rita des photos qui en disent long et certains souvenirs enfouis de son père remontent à sa mémoire. Ah, c'était donc cela que j'avais vu dans le temps. Et peu à peu elle comprend, elle saisit que son papa était un assassin. Et son frère. Aïe.

Gérard Jugnot s'en sort très bien, selon moi, dans un rôle inhabituel. C'est le dernier d'une longue liste de comédiens non italiens qui ont eu la chance d'incarner des personnages d'Italiens grâce à la postsynchronisation. Martin Balsam a déjà été un policier italien, Philippe Noiret a déjà été un juge antiterroriste italien. Au tour de Jugnot, maintenant, en juge antimafia. J'ai vu le film en version française, bien sûr, où il se double lui-même ; la seconde fois, je le regarderai en italien. Au début je le trouvais trop placide, puis on le voit sortir de sa réserve ; et on comprend que le juge est ce genre de personnage, placide avec des montées de lait. Et puis un ou deux gestes de la main, sans plus, qu'un français n'aurait pas. En interrogeant Rita: « Je me suis posé une question… » et en disant cela il fait tourner sa main du côté droit de sa tête, d'un geste bref. C'est bien, pas insistant ni appuyé, juste un petit geste comme ça. C'est un beau rôle, et Jugnot qui peut être un acteur envahissant dans la comédie (et ce n'est pas forcément un reproche, si le personnage est envahissant ça va !) là au contraire il laisse généreusement le centre de l'écran à sa juvénile et fort expressive partenaire.

Sur l'absurdité d'une mentalité mafieuse, ce film contient des détails qui parlent beaucoup. Par exemple : la délation à la police est une honte, être un mouchard, un donneur, oh que c'est affreux, lâchons le mot : c'est immoral, n'est-ce pas ? Par contre, renseigner la mafia, être un mouchard et une donneuse pour Cosa Nostra, alors ça c'est bien. Ça, c'est de l'honneur. Alors quand Rita commet l'imprudence de se rendre sur la tombe de son père, en pleine nuit, avec des tas de lumignons rouges, au lieu de fuir le plus vite possible, comme le juge l'a enjointe de le faire, la mafia lui envoie des tueurs aux trousses. Mais comment la mafia sait-elle que Rita est là ? Parce que le gardien du cimetière lui a téléphoné, pardi ! C'est pas de la délation, cela ? La Mafia ne règne-t-elle pas sur un système de délateurs qui ferait l'envie de n'importe quel flic ?

Et aussi, qui a rencardé la mafia sur l'itinéraire du juge Borsellino, qui en changeait souvent ? Des mouchards, des donneuses, des balances.

Rita Atria, 18 ans, s'est suicidée une semaine après l'assassinat du juge Paolo Borsellino dans un attentat à la bombe.


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