Forum - Un Condamné à mort s'est échappé - Le rapport entre le temps et l'espace
Accueil
Forum : Un Condamné à mort s'est échappé

Sujet : Le rapport entre le temps et l'espace


De ethien, le 17 juin 2004 à 10:42

Ce film est au triptyque des procédés qui s’opposent et se complètent dans ce rapport entre le temps et l’espace (agoraphobie et claustrophobie), entre le plan et sa signification. Il me vient immédiatement à l’esprit l’exemple d’Un Condamné à Mort s’est Echappé, de Bresson. Un film où les temps d’arrêt, d’attente d’observation, de réflexion, sont essentiellement traduits par des gros plans sur le dos, les mains et le visage de François Leterrier (le comédien qui incarne le personnage de Fontaine) ainsi que sur les accessoires qu’il fabrique pour son évasion. Plutôt que de créer une notion de temps inutile et ennuyeuse, Bresson fabrique en réalité un suspens haletant. En ce qui concerne l’espace de la prison, Bresson ne nous donne que de rares indications sur le dispositif carcéral qui environne la cellule du condamné, à l’aide de quelques plans répétitifs : le couloir entr’aperçu depuis la porte ouverte, les lavabos où quelques mots peuvent être risqués malgré l’interdiction répétée « Pas parler ! ». Les vingt ou trente pas que font trois prisonniers dans un sens, puis dans l’autre et qui se rapprochent de la fenêtre de Fontaine. Peu de détails, et que des détails. Le reste des bâtiments existe, la prison est réelle mais n’en découvre aucune vue d’ensemble. Et nous n’en saurons pas davantage lors de l’évasion parce que le prisonnier ignore les obstacles et les difficultés qu’il va rencontrer et qu’il est nécessaire pour la mise en suspens, que le spectateur reste dans la même ignorance. Ici, ce sont des images agoraphobes, qui nous donnent claustrophobes

Le son joue aussi un rôle prépondérant dans l’utilisation de l’espace et du temps. Le son est un élément volatil dans film. Par définition invisible, le son permet de planter un décor hors champ. C’est en jouant avec le son et le temps que Bresson réussit à nous communiquer l’impression d’une dimension spatiale.

L’espace qu’il décrit sans trop fouiller, est dilaté par la durée des gros plans et plans rapprochés sur Fontaine qui observe avec avidité tout ce qui lui est permis d’observer ou ce qu’il est en mesure d’observer. Non seulement ses yeux fouillent, mais il est tout ouï. Ce qui est essentiel pour lui, le devient pour le spectateur. La bande son est une source riche en indications explicites ou implicites qui structure dans l’esprit du spectateur l’univers de la prison et son environnement extérieur.

Les clés tournant dans les serrures, le crépitement des mitraillettes signalant une exécution, les coups frappés au mur signalant un danger, émis par le codétenu avec un raclement de gorge. Les bruits de la circulation des voitures, le tintement du tramway, l’horloge de l’église qui donne l’heure nous rappellent que la prison est au cœur de la ville. La prison y est un piège en toute légalité, d’une légalité illégitime. Quant au sifflets de train, qui permettront de couvrir les bruits de la préparation de sa fuite, ils évoquent la fuite, le chemin parcouru, toujours plus loin, de la prison.

Arrive le moment où le lieutenant Fontaine a fini ses préparatifs. Pourtant, il hésite à s’évader seul. Il craint de rencontrer des obstacles sur le chemin qui doit le mener vers la liberté. On lui annonce sa condamnation, il sera fusillé, mais il hésite encore. Ses codétenus lui reprochent de perdre du temps, ce temps perdu qui le conduit vers la mort et eux vers le désespoir. Si le lieutenant Fontaine ne tente rien, plus personne ne songera à s’évader et à continuer la lutte. Ce « temps perdu » est, là aussi un moment de la dramaturgie. C’est du temps perdu pour l’évasion, non pour l’histoire, d’où le décalage entre le temps réel et temps cinématographique, entre le temps action et le temps fiction. C’est alors que les gardiens amènent un jeune prisonnier, François Jost (joué par Poujouly) qui partagera la cellule du condamné à mort. Immédiatement, Fontaine pense que c’est un «mouton» chargé de le perdre. Mais perdu pour perdu, il risque le tout pour le tout et confie son projet au nouvel arrivant. Ce renfort inattendu va rendre possible l’évasion.

Le bruit du train que nous ne voyons pas, va couvrir les pas des fugitifs. Alors qu’il reste un seul obstacle à franchir, le chemin de ronde, Fontaine comprend la nature du bruit métallique qui l’intrigue et l’inquiète. Il regarde en bas (ses cheveux balayés par le souffle de la liberté !) et découvre une sentinelle qui mène sa ronde sur un vélo mal graissé qui permet malgré ses passages très fréquents, de laisser le temps aux fuyards de franchir la distance qui sépare les deux enceintes, agrippés à une corde tendue au-dessus du vide. Arrive le moment où ayant vaincu l’espace, Fontaine va se faire rattraper par le temps, car la ronde circulaire qui l’oblige à attendre, est bien celle du temps qui le rapprochent du lever du jour, et donc, de l’échec. On assiste ici à une opposition d’espace et de temps pour créer un nouvel effet menant à l’apogée de la tension dramatique. Le dernier plan du film nous montre les évadés s’éloignant vers la liberté, mais la fumée d’une locomotive qui passe hors-champ envahit le cadre et les dissimule. L’espace est bouché, mais le son du train qui s’éloigne et dévore les distances ramène à notre imagination, par l’ouïe, l’idée d’espace et de liberté intemporelle.


Répondre

De vincentp, le 8 mai 2010 à 19:08
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Admirable et indémodable film de Robert Bresson (ma mère me dit l'avoir vu, jeune fille, dans le cadre d'un ciné-club organisé par son école), aujourd'hui réédité en haute définition (blu-ray) par Gaumont. Une rencontre bienvenue entre le progrès technologique et l'art dans toute sa splendeur ! Bravo !

Ce que j'apprécie le plus dans ce film de Bresson : la façon dont les personnages sont caractérisés en quelques instants, par exemple le prêtre et le pasteur, par quelques gestes pris sur le vif. Les pensées du personnage principal sont également admirablement explorées (par une voix-off, ou par le suivi de son regard) : on sent que ce personnage doute de lui, devine qu'il va devoir tuer pour s'échapper. L'instinct de survie, quasi-animal, le pousse à franchir plusieurs obstacles, qu'il refuse d'affronter dans un premier temps.

Les qualités de ce long-métrage sont bien évidemment innombrables (la photographie, le travail sur le son, et un scénario prodigieux explorant à merveille le thème de la résistance à toute forme d'oppression…). Bresson plante un décor et décrit un ennemi invisible, par le simple génie -évident- de sa mise en scène, percutante et moderne. Voilà l'archétype du récit que l'on suit de bout en bout sans pouvoir décrocher ! Un simple grincement mécanique pour faire surgir des interrogations et une menace, et autant de problèmes résolus par le personnage bien après leur apparition. Beaucoup d'émotions également, tout particulièrement pour le crescendo final, anthologique. Mais de l'émotion sans emphase ("sans ornements" selon le mot introductif de Bresson) : un style ridiculisant au passage quelque peu les films d'aujourd'hui qui en font des tonnes. Mais il me semble aussi que le personnage du lieutenant Fontaine (fantastique François Leterrier), en lequel le spectateur peut s'identifier, acquiert en simplement quatre-vingt dix minutes de pellicule la dimension d'un personnage mythique, légendaire, comme par exemple dans un autre genre, le comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas.

Puissance, sobriété, efficacité, de fond et de forme : un chef d'œuvre absolu, et pour longtemps.


Répondre

De zavatata, le 7 octobre 2011 à 00:38

François Jost n'est pas interprété par Georges Poujouly mais par Charles Le Clainche.


Répondre

De Tamatoa, le 17 février 2013 à 01:05
Note du film : 6/6

J’ai tout à fait conscience qu'il serait déraisonnable, voire même impossible, d'ajouter quelque chose aux deux excellentes critiques précédentes signées de Vincentp et Ethien. J'ai beaucoup aimé le rapprochement avec Le comte de Monte Cristo ! Même si, pour ma part, j'ai souvent pensé et fait des recoupements avec Le trou de Becker. Seule l'ambition et la détermination affreusement solitaire évite de nous y faire penser plus .

Oui, on frôle le chef-d’œuvre. Même si je pense que le titre Le vent souffle où il veut aurait été mieux adapté et tellement plus beau, en première intention..

Le vent, tu en entends le bruit, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va…


Répondre

De vincentp, le 19 juillet 2018 à 22:04
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Revu sur grand écran. A mon avis, il s'agit du meilleur film français avec La règle du jeu. Descriptif précis de psychologies et de faits liés à une évasion, et au-delà une vision de l'univers avec toutes les rationalités que l'on peut croiser dans une vie. On connait peu du passé du personnage principal, on participe simplement à un épisode de sa vie, partageant ses émotions et doutes. Grande force du récit : l'association un peu contre-nature de deux évadés très différents, qui accomplissent un exploit impossible à réaliser seul. L'interprétation de François Leterrier est grandiose, le casting est un point fort de ce film, plus que parfait.


Répondre

De Impétueux, le 9 octobre 2019 à 21:27
Note du film : 4/6

Je ne suis pas tout à fait certain (et même pas certain du tout) qu'Un condamné à mort s'est échappé va me réconcilier avec le cinéma de Robert Bresson, réalisateur révéré et respecté à peu près au rang de l'ennui rigoureux qu'on ressent en voyant ses œuvres. C'est à peu près comme les pièces de théâtre qui sont interprétées sur les scènes nationales, c'est-à-dire les salles subventionnées par l'État : généralement on s'y enquiquine tellement qu'on n'ose qu'à peine le dire, de façon à demeurer dans le trip du groupe d'amis (du groupe de relations, plutôt, l'amitié, c'est autre chose) qui vous a trimballé aux Amandiers, à Nanterre ou à la Colline, du côté du cimetière du Père La Chaise.

Cela dit, qui confine à la polémique, reconnaissons à ce récit d'évasion quelques mérites et notamment à son dernier quart d'heure de placer le palpitant à la bonne température : l'évasion du lieutenant résistant Fontaine (François Leterrier) et de sa pauvre loque de codétenu François Jost (Charles Le Clainche) de la prison militaire de Monluc à Lyon, en 1943 est décrite avec une fidélité et une honnêteté exemplaires : on ne perd rien des moindres efforts consentis par le lieutenant pour élaborer les recettes de l'évasion, les réaliser et in fine les exécuter de façon à la fois héroïque et miraculeuse. On suit avec constance et passion les mille difficultés du projet, ses incertitudes et les angoisses qu'il suscite, les difficultés invraisemblables de sa réalisation, les incertitudes de sa concrétisation.

Mais si je dis que, dans ce domaine assez exploré du cinéma, je préfère bien évidemment Le trou de Jacques Becker, film à peine postérieur de quatre ans, qui me contredira ? On pourra me dire, le nez en l'air, que les situations ne sont pas du tout comparables, que les prisonniers de la Santé ne risquent pas leur peau comme ceux du Fort Monluc, qu'ils sont multiples alors que le lieutenant Fontaine, presque jusqu'au bout, est dans une grande solitude. Certes ! Je ne dis pas le contraire et je reconnais au film de Robert Bresson une grande sécheresse et une grande hauteur de vue ; c'est sa peau que le lieutenant joue et même un peu davantage : celles des camarades de son réseau que les Boches aimeraient bien découvrir.

N'empêche que sur la seule graduation dramatique et thématique, on accroche moins. À force d'austérité, de retenue hiératique, de maintien guindé, Robert Bresson ne se place-t-il pas à côté, à part, au loin de son sujet ? Un carton, d'entrée, donne le ton du film : Cette histoire est véritable. Je la donne comme elle est, sans ornements, écrit le metteur en scène. Certes et on est tout prêt à suivre et à admirer l'aventure glacée de ce Résistant de la bonne époque qui – histoire vraie – parvint à s'évader d'une forteresse jugée inexpugnable. On aimerait y retrouver les exaltations de la geste héroïque de la Résistance, de La bataille du rail à L'armée des ombres. On veut bien, d'ailleurs, qu'il n'y ait pas même trace de romanesque, de sentimentalisme, d'exaltation patriotique : après tout, ce qui se joue là, au niveau considéré, c'est la vie d'un homme. Et il n'est pas mauvais que l'écrasante monotonie de l'existence carcérale soit illustrée par la récurrence presque obsédante des rituels obligés de la, prison : le réveil, la clef du geôlier qui tourne dans la serrure, la sortie des cellules, la mise au garde-à-vous, le vidage humiliant et indispensable des tinettes (les seaux hygiéniques) dans le cloaque de la cour. Oui, tout cela donne cette impression glaçante qui nous enserre encore davantage dans la prison.

Mais enfin à force de détachement, de prise de distance, de glaciation, Robert Bresson ne nous éloigne-t-il pas des battements de cœur de la vie ? Cinéaste catholique, dit-on de lui ; sans doute et marqué par la présence obsédante du péché et de la difficulté d'accueillir la grâce. Mais cinéaste d'une singularité catholique, le jansénisme, corseté, fermé au monde, à la bienveillance et à l'indulgence, religion de froidure et de rigueur dont on peut admirer certaines hautes aspirations, mais frémir devant son éloignement du monde.

Du simple point de vue cinématographique, le film, dont le titre, assez médiocre, aurait bien dû être, comme envisagé, Le vent souffle où il veut, est aussi d'une grande perfection retenue. La moindre orientation, la moindre lumière, le moindre souffle sont contrôlés, réglés, organisés. Peu de place pour l'émotion, moins encore pour l'exaltation. C'est Port-Royal regardant Louis XIV avec hauteur.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0065 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter