Carné, 23 ans, tourne ici son premier film avec quatre francs et six sous. Il conçoit un court-métrage poétique sur les pérégrinations des Parisiens sur les bords de Marne où l'on chaloupe et se délasse dans les célèbres guinguettes chères à Jean Dréjac. Les images d'Epinal de ces estaminets foisonnent sous le regard bienveillant du jeune et passionné Marcel Carné
: les reflets dorés sur la Marne, les peupliers majestueux, les gais jeunes gens, des petits moments de vie propre à l'entre deux-guerre…
Cet essai que l'on crût perdu et retrouver dans les années 1960 montre les premiers pas du réalisme poétique.
Nogent, Eldorado du dimanche est un de ces films muets, moins documentaires qu'inspirés par un lieu qui se peuvent encore regarder aujourd'hui avec beaucoup d'intérêt, un peu comme A propos de Nice
de Jean Vigo
; le montage, l'éclat des reflets d'eau, la capacité de la captation des physionomies et des bonheurs…. Un reportage subtil et délicieux sur un monde révolu et, en même temps si proche…
La référence à Jean Dréjac de Lapis-lazuli est un peu abusive : Dréjac, né en 1921, avait donc huit ans au moment où Carné
filmait les guinguettes…
La référence de Dréjac n'est pas temporelle mais géographique, car les lieux dépeints par Carné et décrits par Dréjac fleurent les mêmes fragrances de joie et de liberté même si l'époque n'est plus vraiment la même…
Mais il coule les mêmes eaux de la Marne et les mêmes vins blancs…
Vous avez raison, Lapis-lazuli, tout est dans l'esprit… On trouve, dans La belle équipe, filmé quelques années plus tard (1936) les mêmes reflets d'eau que dans Nogent, Eldorado du dimanche
… mais on trouvera aussi les mêmes chatoiements dans Casque d'or
de 1952, qui se passe aux premières années du siècle…
Cette atmosphère des bords de Marne, des verts treillages, des valses toupillées, des heurs agrestes et des amours adolescentes donnaient une certaine grâce, une légèreté poétique à certains films tournés dans les studios de Joinville.
Et corrigez-moi si je ne m'abuse, du même Duvivier, les bords de Marne accueillaient aussi une scène de Pot-Bouille.
Je ne vois pas trop ce que les bourgeois parisiens de Pot-Bouille viendraient faire en bord de Marne : ce n'est pas le genre d'Octave Mouret, de madame Hédouin, de Trublot, des Vabre, des Josserand… En revanche, un film de Duvivier
qui visite aussi les bords de Marne, lors de sa dernière partie, c'est l'admirable Voici le temps des assassins
…
Mais si on parle Marne et canotiers, comment pourrions-nous oublier la Partie de campagne de Jean Renoir
?
Une partie de campagne a été tourné vers Marlotte et la rivière est le Loing (en bordure de la forêt de Fontainebleau) selon les admirables suppléments de l'édition dvd. Une anedocte extraite de ces bonus : il pleuvait tout le temps, d'ou des retards de tournage…
Casque d'or
en revanche visite les bords de la Marne (et utilise sauf erreur de ma part les studios de Joinville).
http://www.montigny-asme.com/bulle-2000/bul-08c.htm
Certes, certes, Renoir a tourné ailleurs que sur la Marne… mais qu'est-ce qui ressemble plus à l'eau que l'eau ? La nouvelle de Maupassant
met en scène une famille de calicots parisiens qui, tout naturellement, ne s'éloigne pas trop des berges proches…
Nogent et les bords de Marne, c'était un peu le symbole du bonheur de l'entre deux guerres…Peut-être un petit clin d'œil au "diable au corps" (1920) de Radiguet , qui voyait dans la Marne "l'héroïsme de tout un peuple" en raison des batailles de la Marne…Après la seconde guerre mondiale , à la libération , la chanson "ah le petit vin blanc…du côté de Nogent", c'était un peu le bonheur retrouvé…Un bonheur certes, mais les cicatrices de la seconde guerre mondiale ne se refermeront sans doute jamais pour beaucoup…
Aux quatre coins d' la banlieue de Paris
L' dimanche, on entend d' la musique
C'est à celui qui fera le plus d' bruit
Phono ou piano mécanique
On danse et on boit
On n'a que ce jour-là
Et quand on s'amuse, une journée
C'est si vite passé !
Aux quatre coins d' la banlieue de Paris
L' dimanche, on oublie ses ennuis
Est-ce qu'on est si loin, en 1929, des beaux dimanches contés par Guy de Maupassant ? Pas vraiment : des barques, des canots, des yoles qui sillonnent la rivière ; des bastringues où l'on danse et où cherche l'aventure. Polka et valse naguère, valse toujours et java désormais et l'œil des filles et des garçons qui s'allume dès qu'il s'agit d'aller un peu sous les ombrages voir la feuille à l'envers.
Et c'est la fin d'un beau dimanche et il faut revenir à Paris. Quinze minutes qui filment un dimanche de rêve.. Il y a dans ce premier essai de Marcel Carné, une sensibilité, une intelligence, un charme, une capacité à saisir l'instant. On voit déjà que la suite sera belle.
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