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Sujet : Je profite d'un moment d'enthousiasme...


De Arca1943, le 15 mars 2009 à 15:10

…pour appuyer la réédition d'un autre film de Mauro Bolognini, le peu connu Vertiges. C'est que je viens de voir de lui un film superbe, Le Bel Antonio et je suis encore sur mon nuage. Même si les films de cet auteur qui me plaisent le plus sont généralement ceux considérés comme "atypiques" par ses thuriféraires – comme Arrangiatevi ! avec Totò ou encore la tragicomédie historique Liberté, mon amour – je suis assez tenté par celui-ci, réputé pour faire partie de sa veine calligraphiste. C'est que le sujet est fort intéressant : il s'agit des tribulations du médecin chef d'un asile psychiatrique (Marcello Mastroianni) à l'époque fasciste. Asiles et fascistes, voilà qui promet, surtout que d'après mes sources, on s'y ingénie à proposer un parallèle entre les méthodes inhumaines des uns et des autres… Ce qui ne gâche rien, c'est que Marcello est entouré d'une attrayante distribution féminine : Françoise Fabian, Marthe Keller, Barbara Bouchet, Adriana Asti et la participation exceptionnelle de Lucia Bosè.


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De Arca1943, le 21 mai 2009 à 01:59

Je ne peux m'empêcher de citer cet extrait d'une entrevue de Mauro Bolognini avec Jean Gili, non parce qu'il éclaire sur le cinéaste mais plutôt sur l'époque. Je parle de 1975, l'année où fut tourné le film.

« Certes, dans la majorité des cas, la folie a clairement des origines sociales, cependant le problème de la folie serait résolu si son origine était seulement de cette nature. Or, cela on ne peut pas le dire. Cette expérience a été très triste pour moi. J'ai participé à un débat tragique, tragique à s'enfuir, dans lequel on ne parlait qu'en termes politiques : "La folie est quelque chose de simple, on abat les murs, on résout les problèmes de la famille et le problème de la folie est résolu." Ce n'est pas vrai : une femme qui vit dans la misère et qui est frappée par son mari ne devient pas folle et puis, au contraire, un autre femme dans les mêmes conditions – le mari, les enfants, la misère – devient folle. En somme, je veux dire qu'il n'y a pas un lieu aussi simple entre la folie et les facteurs sociaux. Il y a des cas dans lesquels existe un véritable mystère, et c'est cela qui m'a intéressé. »

Ah, je l'imagine sans peine, ce débat ! Il ne précise pas si c'était à la radio, à la télé dans une quelconque coopérative du 2 novembre, mais je ne peux m'empêcher d'y voir une affaire de générations : les simplets de 1968 contre le "vieux con" de 1943 qui refuse d'admettre que tout est simple comme bonjour et qu'il suffit de fermer les asiles pour que les fous soient enfin libres et heureux. Et cette remarque terrible : « Or, cela on ne peut pas le dire. » Eh oui, certaines hégémonies idéologiques fonctionnent mieux que la censure…

La théorie de la folie causée par les fameux "facteurs sociaux" (ah, cette terrible aliénation de la société bourgeoise ! ) a pris de sacrées volées de plomb dans l'aile depuis, au point que trente ans plus tard on est tombé dans l'extrême opposé (le tout-biochimique), mais je souligne que Bolognini, en bon "homme de gauche", n'était même pas contre cette idée : c'est juste que pour lui, tout ça ne pouvait s'articuler de façon aussi simple. Hérésie, à l'évidence…

Je n'ai toujours pas vu Vertiges, qui fut vertement critiqué à gauche – explique-t-on ailleurs dans l'entrevue – pour ne pas avoir "posé le problème des asiles" (un problème politique, comme chacun sait) alors qu'il traitait de la folie. Mais quelle que soit la valeur du film, après lecture de cette anecdote, monsieur Bolognini a toute ma sympathie, le malheureux !


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De Arca1943, le 14 juillet 2010 à 16:31

Je me demandais si j'allais m'emparer de ce Bolognini – réalisateur dont je ne raffole pas toujours – mais la description de AlHolg (cf analyse du film) est plutôt engageante.

L'occasion n'est pas plus mauvaise qu'une autre pour noter la présence (dans son avant-dernier rôle) de l'acteur de soutien Charles Fawcett. Américain originaire de Georgie et élevé en Virginie (par des tantes car il était orphelin), M. Fawcett a fait la Seconde Guerre mondiale d'abord dans l'armée polonaise, à laquelle il s'est joint au lendemain de la défaite contre les nazis, puis en France dans la Section des Volontaires américains (qui étaient des ambulanciers), puis dans la Royal Air Force, puis à nouveau comme ambulancier en Italie, puis dans la Légion Étrangère française. En 1948 il a fait la guerre civile en Grèce contre les communistes. Il s'installe en France en 1949 et décroche – je ne sais pas comment – des petits rôles comme acteur, métier qu'il ne semble pas avoir pratiqué avant la guerre. Le voici par exemple qui vient faire son tour dans Casimir (avec Fernandel) ou Ils étaient cinq avec Jean Carmet. Et au-delà de la France, vu que c'était un anglophone, on aurait pu le voir tenter sa chance en Angleterre ? Apparemment, ce serait mal connaître notre héros, qui préféra plutôt essayer… l'Italie. Le voici donc dans son premier rôle d'Italien, le marquis de Roniero, aux côtés d'Antonella Lualdi et Marilyn Buferd dans un film intitulé "La cieca di Sorrento" (ça m'a tout l'air d'un mélodrame). Rebaptisé pour un temps Carlo Fazetti, Fawcett décroche des tas de rôles, toujours secondaires, dans par exemple Tre storie proibite, Gli infedeli, Un Americano a Roma, Les Vampires, puis le voici en Espagne pour La Violetera et au Mexique (dans un rôle plus important !) pour El ultimo rebelde.

Après un petit rôle dans Vertiges, il tourne encore un film en Italie, son dernier, et puis quoi ? Pourquoi ce silence ? Eh bien mais parce qu'il était parti en Afghanistan entraîner les Mouhjhadins contre les troupes soviétiques, pardi ! Le petit film dont Julia Roberts montre des extraits à Tom Hanks dans Charlie Wilson's War a été tourné sur place par Charles Fawcett, dans les conditions périlleuses qu'on imagine.

Charlie Fawcett est mort en Angleterre en 2008, à l'âge prématuré de 92 ans. Il s'était remarié en 1991 avec une Britannique. Il s'était également marié six fois en trois mois en 1945… afin de procurer aux femmes juives rescapées des camps qu'il "épousait" un sauf-conduit automatique pour les États-Unis.


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De Arca1943, le 14 juillet 2010 à 16:41

Oups, j'ai oublié l'épisode où il s'en va secourir des gens au Congo en 1959 aux commandes de son avion, et aussi le fait bien connu que dans les années 50, en Italie, Charlie Fawcett était l'amant de Hedy Lamarr

Et puis encore que lorsqu'il était ambulancier en France, il partageait un appartement avec un autre Américain, Bill Holland, dont la mère était une aristocrate allemande. Or celle-ci avait un lien de parenté avec le général Otto von Stülpnagel, qui était alors en charge de la France occupée. Via son colocataire, Fawcett fut donc en contact avec des officiers du haut commandement allemand et il s'empressa de faire passer les infos ainsi obtenues à la Résistance. Il participa aussi à la libération de prisonniers de guerre britanniques placés sous garde française dans l'aile d'un hôpital parisien. Il dut pour cela se faire passer pour un officier allemand venu prendre les prisonniers en charge : déjà le comédien perçait sous l'aventurier…

Bon, quand est-ce qu'on tourne le film ?


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De Arca1943, le 14 juillet 2010 à 17:11

« (Tobino) participait alors du long et vaste débat sur la désinstitutionalisation des soins apportés aux malades mentaux. »

Il semble que ce débat se soit profilé avec une vigueur particulière dans l'Italie des années 60-70. Je sais qu'il existe un film (probablement militant) de Marco Bellocchio sur le sujet (Fous à délier, que je n'ai pas vu). Il y avait un écho de ce débat – présenté comme une "victoire politique" de la gauche seventies – dans le magnifique La meglio gioventù, mais aussi un contrepoint grinçant dans Valse d'amour de Risi (où les fous Vittorio Gassman et Elliott Gould sèment la pagaille dans une sage émission de télévision sur le sujet). Et de l'autre Risi, Le Journal d'une schizophrène


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De vincentp, le 12 décembre 2019 à 23:07
Note du film : 6/6

Arca1943 répond à la voix de Dieu, tel un personnage de Vertiges (1975). Lumières diaphanes, décors sophistiqués, bouquets et bibelots à foison accordés à la couleur de la pièce. Nudité représentée de façon sensuelle. Réflexion sur la normalité, dans le contexte du fascisme, régime politique présenté comme anormal par Bolognini. Personnages indéfinissables, complexes, fragiles, représentatifs de l'oeuvre du cinéaste. Ambiances oniriques, prenant le pas sur la composante dramatique. Film magnifique sur un plan formel, intéressant par ses développements. On pense à Le conformiste de Bertolucci ou à L'innocent de Visconti. Au générique, Pierre Blaise, avant sa disparition.


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De verdun, le 31 décembre 2019 à 19:02
Note du film : 4/6

Un film magnifique sur le plan formel en effet. C'est du Bolognini époque Guarnieri (à la photo): comme Metello, Bubu, La grande bourgeoise ou L'héritage il s'agit d'une oeuvre formellement raffinée aux magnifiques décors et costumes, à la reconstitution méticuleuse, témoignant d'un soin maniaque de l'image même si, pour les plus pointilleux, l'usage du zoom et d'une lumière filtrée ancre l'ensemble dans les années 70.

Comme les films susvisés, la force de Vertiges réside dans le contraste entre la douceur de la forme et la noirceur du fond: ici l'évocation d'un asile d'aliénés avec en sinistre toile de fond la montée du fascisme. La partition de Morricone tantôt lyrique, tantôt expérimentale exprime parfaitement cette ambivalence.

Bolognini filme la nudité et la sexualité et même la masturbation de manière frontale.


La direction d'acteurs est assez remarquable. Bolognini a réussi à rendre Marcello Mastroianni crédible en homme ordinaire, et réussit la où Visconti avait échoué pour L'étranger. Grâce à la barbe ?

Mais surtout on remarque une superbe direction d'actrices. Les trois maîtresses du docteur sont mémorables: Lucia Bosé en femme mûre fragile, Barbara Bouchet en dépravée et Marthe Keller, un des rares personnages attachants mais pas assez développé. Et cerise sur la gâteau, LA femme forte, qui s'oppose au docteur jusqu'à le faire vaciller, est incarnée par une Françoise Fabian impériale. Un personnage comme Bolognini les affectionne.

Hélas j'aurais voulu aimer encore plus Vertiges mais je n'ai pas été convaincu par un scénario qui au début peine à trouver sa vitesse de croisière et qui, à la fin, vire dans le trop démonstratif.

Ceci limite mon appréciation.


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