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Forum : La Carrière de Suzanne

Sujet : Un film sur la construction d'un regard


De Antoine Constantin C, le 3 mars 2009 à 00:38
Note du film : 6/6

Comme dans de nombreux films de Rohmer (en particulier ses "Contes moraux"), il y a ici deux personnages féminins importants dans la psychologie en construction du héros. Suzanne semble d'abord jouer le rôle de la "bonne poire" destinée à se faire abuser par une piètre figure de Dom Juan sans vergogne et sans cœur. Sophie, plus sage, plus mature peut-être, en tout cas moins naïve et plus réservée, garde au contraire le dessus sur notre héros, s'imposant dès le début comme un personnage féminin respectable, voire admirable, et non pas méprisable comme peut l'être Suzanne aux yeux du héros.

Mais Suzanne semble néanmoins susciter une certaine curiosité ; elle fait même à proprement parler l'objet d'un mystère. Comment peut-elle sembler avoir par certains côtés autant la tête sur les épaules et pour ce qui concerne ses relations avec Guillaume se laisser abuser aussi grossièrement ? Notre héros s'intéresse à elle malgré un certain mépris affiché.

Ce qu'il découvre finalement, c'est qu'une personne peut révéler après un temps une épaisseur jusque-là méconnue. Et que lui-même, aussi raisonné et bien pesé fût-il dans ses approches, en a peut-être précisément manqué. D'où une modification soudaine de son regard sur la jeune femme méprisée et sur lui-même.

Ah ! Si les leçons de l'amour n'étaient pas si intéressantes, que nous en supporterions mal la difficulté ! Ainsi sans doute nait l'épaisseur…


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De Impétueux, le 19 août 2012 à 18:20
Note du film : 4/6

Autant le premier des Contes moraux, le court métrage La boulangère de Monceau me paraît d'emblée saisir le ton juste et préfigurer ce que seront les grands films qui vont suivre, autant le moyen métrage (52 minutes) La carrière de Suzanne réunit quelques uns des défauts qu'on pourra, souvent légitiment, prêter à Éric Rohmer, lorsque le scalpel de l'auteur fouille à l'excès certaines vacuités et aboutit à un propos un peu filandreux.

Sans doute tout Rohmer est-il déjà là, mais comme une esquisse, comme une ébauche de ce qui sera cette superbe suite des Contes moraux qui fait de leur auteur un OVNI dans le cinéma français : subtilité des dialogues, réalité des situations, véracité des personnages.

Bien sûr les étudiants de 1962 n'ont pas grand chose de commun avec ceux d'aujourd'hui ; et pourtant ils sont déjà très différents de ceux des Rendez-vous de juillet, de Jacques Becker qui ont dix ans de plus : ils ne sont pas beaucoup plus nombreux, pourtant, au Quartier Latin, mais quelque chose a changé qui ne reviendra plus… sans doute l'insouciance, et la désinvolture, les belles espérances des lendemains de guerre… Mais enfin, le Quartier est toujours le Quartier, les facultés sont réunies dans le très petit espace des 5ème et 6ème arrondissements ; on se croise facilement dans les mêmes bistrots et sur le boulevard saint-Michel qui n'était pas alors la triste autoroute dévolue aux boutiques de vêtements bon marché et à la restauration fast food.

On est encore loin de Mai 68, mais on flirte, on boit, on danse. La prospérité arrive à toute allure et la guerre d'Algérie est en train de se terminer. Si les jeunes gens se saluent en se serrant sagement la main, et non pas comme aujourd'hui en se léchant tout de suite le museau, ça ne les empêche pas de connaître des bouillonnements et de se conduire sans trop de grâce ni de générosité.

Soit un garçon un peu timide, Bertrand (Philippe Beuzen), dans la dépendance amicale et admirative d'un autre, Guillaume (Christian Charrière), sorte de satrape brillant, veule, séducteur, cynique, profiteur (à peine moins affreux que le Alain (Laurent Terzieff des Tricheurs) ; une dépendance sans trace apparente d'attirance homosexuelle, une dépendance lucide (L'ambiance concertée de crapulerie dont aime s'entourer Guillaume, dit Bertrand) mais une dépendance jalouse (Je la détestais au même titre que toutes les filles que pouvait courtiser Guillaume). Et comme dans toute la série des Comédies et proverbes, le personnage (on ne peut décemment pas dire le héros) balance entre deux femmes, ne trouvant pas son chemin et se jouant souvent à lui-même la comédie, sans en être tout à fait dupe.

Ce n'est pas que les filles valent beaucoup mieux, mais elles regardent la vie de façon un peu plus pratique, un peu plus réelle, en tout cas. Et ces histoires sans drames ni chagrins s'achèvent comme toutes les histoires de jeunesse, dans la fumée des souvenirs et l'entrée dans l'âge adulte, le mariage et la vie de famille. Ce qui est très bien ainsi.

Disons que La carrière de Suzanne manque un peu de substance, de chair et de rythme, malgré sa courte durée. Dès l'opus suivant, La collectionneuse, Rohmer va passer à une autre dimension.


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