Comédie noire d'excellente cuvée! Et qui montre fort bien ce que les historiens japonais appellent «le fascisme d'en bas». Même ceux qui ont des préjugés sur Alain Delon feraient bien d'y jeter un oeil. Bien que réalisé par un Français, et dans une clé un peu moins "populaire", plus "farce macabre", ce film se glisse sans démériter entre La Marche sur Rome, Anni Ruggenti, Le Fédéral et La Grande pagaille – autres féroces satires du fascisme réalisées en glorieux noir et blanc au début des années 60. Un scénario signé à la fois Pierre Bost et Benvenuti/De Bernardi : rencontre au sommet…
C'est un des films les moins connus et diffusés de la carrière de Clément et de Delon. Une sortie DVD serait bienvenue. Malgré les sorties annoncées de films de l'acteur, je ne vois toujours rien venir au sujet de "L'insoumis", "La tulipe noire", "Borsalino"…
Mais pour en revenir à Quelle joie de vivre, j'ai une hypothèse "culturelle" : c'est que ce genre d'humour est peu courant dans le cinéma français de l'époque; c'est un registre auquel les spectateurs français ne sont guère habitués. Excursion fracassante dans le registre satirique, La Traversée de Paris était plus l'exception que la règle.
Le cinéma comique français du début des années soixante est plus souriant, plus fantaisiste (L'Homme de Rio, Les Copains…). Il n'est pas volontiers satirique. Tandis que le public populaire italien, au même moment, apprécie par dessus tout (comme le montrent les résultats faramineux au box-office de films comme La Grande guerre ou La Grande pagaille) la farce historique volontiers grinçante, la satire de moeurs un tantinet féroce; ce que l'acteur Alberto Sordi – alors roi et maître dudit box-office – appelait « un réalisme comique ». C'est l'époque du Fanfaron, de Divorce à l'italienne, du Vigile (de Zampa)… en plus des titres que j'ai cités dans mon message précédent.
Aussi, je ne serais pas du tout surpris d'apprendre que Che gioia vivere ait fait plus de spectateurs de l'autre côté des Alpes : il est plus en phase avec la «comédie à l'italienne» qu'avec la comédie à la française.
C'est encore moi. Quand les éditeurs finiront-ils de niaiser avec la puck * et sortiront-ils enfin cette croustillante comédie noire de René Clément, avec un Alain Delon fort bienvenu dans un rôle inhabituel et une jolie brochette de comparses, dont Gino Cervi, Didi Perego, Carlo Pisacane (l'inimitable Capanelle du Pigeon) et – special guest star – Ugo Tognazzi ?
Dialogues de Benvenuti/De Bernardi et Pierre Bost, qui plus est.
(*) expression québécoise issue du coloré langage du hockey et qui signifie en gros "Faire perdre un temps précieux à tout le monde", "hésiter inutilement".
Une tranche historique de l'Italie des années vingt, méconnue pour beaucoup, qui permet effectivement de voir Alain Delon dans un rôle inhabituel, aux côtés de la jolie Barbara Lass, trop tôt disparue à 55 ans (en 1995). Le film décrit, avec légereté, les tiraillements entre un fascisme dominant et un communisme dominé. Après un démarrage intéressant, Quelle joie de vivre n'a pas véritablement réussi à me tenir en haleine, subissant à mes yeux trop de longueurs. J'avoue avoir été un peu étonné de voir que cette honorable comédie ait été nommée à Cannes en 1961. Peut-être vais-je en décevoir certains, mais pour moi René Clément nous a habitués à mieux…
Il est vrai que ce Clément ne figure pas parmi ses sommets mais ça reste une curiosité et il donne l'occasion de voir Delon dans un répertoire unique dans sa carrière (du moins à ma connaissance), tout aussi loin du tragique viscontien (ou du vague à l'âme antonionien) que des rôles "virils" auquels il nous a habitué par la suite…
Ces réserves posées, à quoi on pourrait ajouter une trop grande longueur, au regard de la minceur du sujet et des ruptures de rythme mal venues, le film est enjoué, drôle, souvent plein de charme et de fantaisie. Il aborde, en plus, des rivages d'une grande originalité et une période historique qui, en France au moins, n'est pas très bien connue.
Italie 1921. Le royaume n'est uni (pour son grand malheur, à mon sens) que depuis 50 ans ; il a d'abord fricoté avec l'Allemagne et l'Autriche puis a trahi ses alliances en 1915 pour se donner au Camp occidental, France et Grande-Bretagne en espérant récupérer l'Istrie, la Dalmatie, la Vénétie julienne. Il s'est fait rouler lors des traités qui ont suivi la Guerre et en garde une immense amertume, qui ne sera pas pour rien dans la montée réactive du fascisme. Voici le contexte de Quelle joie de vivre ! : un malaise et des animosités profondes entre des opinions de la population.Un mot de l'anarchisme, qui est celui de la famille Fossati, dont le paterfamilias est Olinto (Gino Cervi), bon et généreux comme le pain, imprimeur artisanal qui vit sous le regard sourcilleux de son beau-père Méo (Carlo Pisacane) avec ses fils à qui il a donné des prénoms sans aucun rapport avec la religion, comme Aéroplane (car il est pour le progrès technique), Univers (car il est pour l'abolition des frontières), Sang versé (car il révère les héros qui se sont sacrifiés pour les causes utopiques). Doux anarchisme admirant néanmoins le nihilisme des jeteurs de bombes qui, pour faire exploser le monde tel qu'il va, sont prêts à assassiner des braves gens qui ne se trouvaient là que par hasard.
Le meilleur du film est dans l'ambiguïté du regard. Certes, autour des protagonistes, veillent les fascistes, amis de l'Ordre, qui vont finir, d'ailleurs, à remporter la mise. Mais son essentiel se passe dans les rêveries anarchistes : des gens délicieux, humanistes, ouverts, accortes, dévoués à leurs idéaux – tant qu'ils ne sont pas mis en pratique – acceptent in abstracto que des bombes bouchères soient déposées au milieu de la foule et et y entrainent un massacre susceptible de créer une réaction révolutionnaire. Remarquons que les fascistes ont tout à fait la même réaction politique et guettent, eux aussi, l'explosion salutaire qui leur permettra d'imposer leur ordre. Remarquons que les fascistes ont tout à fait la même réaction politique et guettent, eux aussi, l'explosion salutaire inverse qui leur permettra d'imposer leur ordre.Au milieu de tout cela, un brave garçon, un orphelin sans aucune attache politique, Ulysse (Alain Delon) qui est, par la force des choses, jeté dans la mêlée. Il n'a vraiment envie que de séduire et aimer la délicieuse Franca (Barbara Lass) dont on regrette que la carrière ait été si brève). Mais comment faire pour séduire une jeune fille exaltée qui partage avec fièvre les idéaux de sa famille et qui est avant tout séduite par qui elle croit être un chef révolutionnaire, Camposanto (c'est-à-dire Cimetière) ?
Le meilleur du film, donc. Le clivage entre des braves gens qui ne frémissent pas, qui s'exaltent même, lorsqu'ils évoquent les attentats terroristes et les assassinats de la légende anarchiste et qui ne sont pourtant paradoxalement que bienveillance et gentillesse. Quoique… il y a une certaine logique des systèmes, mais René Clément ne l'a pas suivie jusqu'au bout. Dans une comédie italienne de la meilleure espèce, le réalisateur n'aurait pas reculé devant les contradictions. Tiens : si pour faire advenir la société nouvelle il faut martyriser l'Humanité, autant le faire ! Du sang, des pleurs, des bombes qui tuent, des enfants éparpillés, des amours éclatées. Allons jusqu'au bout !En 1962, René Clément recule. Le film n'est pas mauvais, loin de là. Mais en tant que tel, il n'est pas.
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