Thuriféraire du cinéma italien, j'ai souvent tenté d'aimer les films de Marco Bellocchio. En pure perte. Même Les poings dans les poches et Au nom du père, dont la critique de l'époque disait le plus grand bien, ne m'ont guère impressionné. Pas même La Marche triomphale, malgré Patrick Dewaere. Sans parler de l'adaptation carrément pourrie du Henri IV de Pirandello, malgré Marcello Mastroianni. Marco Bellocchio souligne tout à gros traits, ses tentatives satiriques sont grossières et démonstratives; ses tics idéologiques irréfléchis me tapent terriblement sur les nerfs. Deux exceptions : Viol en première page, avec Gian Maria Volontè (1972, bien sûr), car ce thriller politique était un travail de commande, "le moins personnel de mes films", a dit Bellocchio – justement, c'est pour ça que je le trouve bien !

Et l'autre exception, mais alors de tout coeur, c'est celle-ci : Le Saut dans le vide, un grand film. Les miracles arrivent, surtout au cinéma; et ici, Bellocchio est beaucoup plus contrôlé qu'à l'ordinaire. Le trait est fin, le portrait subtil, la construction à la fois rigoureuse et feutrée : le contraire de ce que ce réalisateur fait d'habitude, quoi ! Ce n'est pas un film facile; il subsiste des zones d'ombre, des ellipses, quelques préciosités de style, aussi; pourtant ce drame reste intriguant et même prenant de bout en bout, d'abord et avant tout grâce à ses deux interprètes touchés par la grâce : Anouk Aimée et Michel Piccoli sont vraiment extraordinaires.