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Forum : Padre padrone

Sujet : Critique


De dumbledore, le 17 février 2004 à 12:11
Note du film : 6/6

En 1977, Roberto Rossellini est président du Festival de Cannes. Il décerne la Palme d'Or à Padre Padrone. Attribution de complaisance pour un film réalisé par des compatriotes alors que le cinéma italien commence à aller mal ? Non. Car le cinéma des Taviani est presque à l'opposé du cinéma néo-réaliste incarné par Roberto Rossellini.

Roberto Rossellini mettait au centre de ses films la réalité avec une abstraction paradoxale, les Taviani jouent avec le théâtre, le surréalisme, le lyrisme, et le décalage très « nouvelle culture » (nouveau cinéma – Antonioni, Godard, Wenders, nouvelle littérature – Brecht, etc). Le début du film en témoigne d'ailleurs : un homme taille un bâton, on nous le présente comme l'auteur d'un livre à succès dont le film est tiré. Le jeune homme va donner le bâton au personnage qui joue son père pour qu'il interprète « correctement » une scène de son enfance. Ce début est au fond une jolie mise en abîme d'un film qui raconte l'histoire d'un romancier qui raconte sa vie.

L'abstraction va même plus loin dans ce film puisque le réalisateur se permettra des procédés audacieux qui ne sont justifiables non pas par l'expression « naturelle » de la réalité mais par des choix purement intrusifs de la mise en scène. Ainsi après la première scène, qui suit le personnage du père qui vient récupérer son enfant dans l'école, la caméra revient sur ces enfants pour nous montrer leurs visages parce qu'ils seront les prochains autrement dit cela peut arriver à tout le monde. L'action dans la classe est comme suspendue. Tout le monde figé, des élèves à la maîtresse. Ou bien encore des moments de pur lyrisme, limite crédible, qui parsèment le film : l'accordéon qui fait joue à lui seul tout un orchestre symphonique, ou bien encore une variation lyrique sur l'amour qui va de la zoophilie à l'amour conjugale dans un ryhme leger et libertin qui détonne avec les scènes qui le précèdent et celles qui le suivent.

A coté de ce ton, un fond plus classique. Pour les Taviani comme les cinéastes italiens en général, l'enfance est un thème important et surtout sérieux (on en est loin en France. A quand une cinématographie sur le thème de l'enfance pour un public adulte ?). Chez les Taviani en particulier (et à la différence de Luigi Comencini) le thème se retrouve confronté souvent à un autre thème complémentaire : la culture comme seule issue de l'enfance contre la pauvreté, le destin ou bien tout simplement la mort.

Dans ce sens, Padre Padrone est un film purement « complexe d'oedipe ». Celui-ci s'exprime d'une manière on ne peut plus pédagogique. Le film est en effet l'histoire d'un jeune homme qui doit réussir à accepter d'affronter son père, à le « tuer » enfin ou du moins le détruire pour se déterminer comme entité propre. La première scène est évidemment symbolique à cet égard : le père fait irruption dans une salle de classe pour y retirer l'enfant. Evidemment le professeur est une femme perverse (perverse au sens étymologique du terme : «qui dévie), et l'enfant fait sur lui (utilisation la moins glorieuse qui soit qu'on puisse faire du pénis). A l 'opposé, La dernière scène entre les deux est d'une beauté inouïe, digne d'un tableau. Le père est effondré après s'être battu avec le fils. Le tête basse, pantin désarticulé, assis sur son lit, il voit son fils s'agenouiller en soumission devant lui. Le père a le réflexe de le caresser, se retient, monte le poing pour le frapper. La scène s'arrête presque aussitôt. Presque seulement, parce qu'on se doute qu'il va renoncer au coup. Entre les deux, le parcours d'un enfant qui devient un homme. Magistral.

La culture chez les Taviani est le résultat d'une confrontation (la scène du qui saluera-t-on de Good Morning Babilonia) et passe par le média de la musique. La musique occupe une place de choix dans l'œuvre des Taviani et dans ce film en particulier. Elle est si importante qu'elle semble être chez les réalisateurs leur métaphore de prédilection du cinéma. Elle est présente à un tel point qu'on l'a voit souvent à l'image (sous la forme d'un orchestre, d'un instrument ou du chant ou bien même du vent dans un chène).
La musique du générique début est déjà tout un programme de ce qui va suivre : chorale naïve d'enfants qui laisse place à une musique à la fois simple et massive, grave, qui joue une rythmique inquiétante, forte, presque virile. Celle-ci disparaît finalement pour laisser revenir la chorale. L'enfance originelle et pure doit se confronter à l'adulte avant de (pouvoir) retrouver sa pureté. La musique est même dans ce film la clé du personnage. Ce sont deux tziganes qui passent devant lui qui suscitent sa première réaction et opposition avec son père. L'accordéon lui permettra de rencontrer également un flutiste. La musique – l'art – devient communication. Ouverture sur le monde.

Cette musique on la retrouve régulièrement dans le film. Notamment dans l'affrontement ultime au père qui prend pour prétexte une valse de Strauss que veut écouter le jeune homme.

La construction du film est classique et semble suivre la progression du livre dont il est inspiré. Mais ce qui est moins classique c'est le basculement de ton. La trame est violente, dure (la confrontation avec le père, l'autisme du personnage) mais de temps en temps, le film vire à la pure poésie. Du réalisme quasi documentaire, on s'envole dans le lyrisme. Il serait facile, téméraire et surtout faux de déduire de cette dublicité le fait que le film est tourné par deux réalisateurs. A l'inverse des Wacholski, Cohen and co, les Taviani sont des frères siamois. Ils tournent un plan sur deux et disent ne pas savoir (et il faut les croire) à la fin du film qui a tourné quoi.


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De Moonfleet, le 17 février 2004 à 16:56
Note du film : 5/6

Belle critique

DVD très décevant


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De vincentp, le 28 juillet 2010 à 00:19
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Un des derniers chefs-d'œuvre chronologiquement parlant, me semble-t-il du cinéma italien. Tout est réussi dans ce film -en particulier la mise en scène, totalement admirable-. Un film relativement logiquement couronné d'une palme d'or à Cannes en 1977, lors d'un festival présidé par Roberto Rossellini. Padre Padrone constitue le portrait très réussi d'une micro-société –la Sardaigne profonde- et de plusieurs de ses individus, des bergers aux mœurs rustres, mais sans doute adaptées à un environnement naturel austère et contraignant. Padre padrone, planté en Sardaigne, aborde toutefois de nombreux thèmes dépassant le simple cadre sarde : l'éducation, les rapports entre un père et son fils, entre la nature et la culture, l'émigration, la construction d'une nation au travers de ses institutions. Il pourrait donc être dupliqué à d'autres contrées régionales, y compris en France, comme l'Ardèche, la Haute-Loire, les cévennes, et bien sûr la Corse…

Ces thèmes sont finement abordés et croisés en mettant en perspective des points de vue contradictoires, via par exemple les pensées des personnages (y compris celles d'une vieille chèvre) exprimées en voix-off… Le style des auteurs (les frères Taviani) est très réaliste, mais intègre une part onirique marquée, et un lyrisme sous contrôle –ce qui ne sera pas toujours le cas par la suite, à mon avis-. Le mélange réussi de ces modes de narration donne à ce récit une forte ampleur émotionnelle -sans emphase- impliquant complètement le spectateur.

Padre padrone témoigne d'une influence et d'un savoir-faire émanant de nombreux cinéastes italiens. Une influence néo-réaliste évidente (on pense à certains films de Roberto Rossellini ou de Visconti –La terre tremble, Rocco et ses frères -par le descriptif minutieux de la gouaille populaire et du mode de vie ancestral, et les rapports au sein d'une fratrie-. Sont palpables également des aspects provenant de certains films engagés de Pasolini des années soixante. Les attitudes (regards, postures) du personnage principal m'ont rappelé par exemple celles de son homologue de Accatone ; l'emploi de la musique classique à contre-emploi (Strauss pour Padre padrone, le concerto en ré mineur de Vivaldi pour Pasolini dans Mamma roma) est une autre ressemblance. Le style relativement clinique et sobre de Padre padrone évoque aussi par moments Salvatore Giuliano ; la "boucle narrative" qui voit la fin comme écho du début du récit -avec un éclairage des idées complémentaire- rappelle ce film de Francesco Rosi. Et sans doute également des ressemblances thématiques et formelles avec le futur Le temps des gitans de Kusturica, par la place accordée à la musique, à la culture autochtone, et par un traitement du sujet n'occultant pas certains aspects sordides du mode de vie de cette population…


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De vincentp, le 21 mai 2020 à 17:36
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Revu en dvd dix ans après. C'est un film rude, tant sur le fond que la forme. Les frères Taviani n'ont pas choisi la voie de la facilité, le spectateur est mis à rude épreuve. Il est question d'un combat, humain et social. Mais on final, on a le sentiment d'une oeuvre très réussie, originale et marquante pour le cinéma. Pour les frères Taviani, probablement leur meilleur film. Et chronologiquement parlant, c'est bien à mon sens l'un des derniers chefs d'oeuvre du cinéma italien. On est là dans le registre du pur subjectif, mais à part Aprile, je ne vois pas d'autre film de ce calibre depuis près de quarante ans, dans le cinéma italien.


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