Forum - La Dame de Shanghai - Belle, blonde et dangereuse
Accueil
Forum : La Dame de Shanghai

Sujet : Belle, blonde et dangereuse


De jipi, le 3 novembre 2007 à 09:27
Note du film : 3/6

Orson Welles tout en tournant La dame de Shanghai pense à Macbeth, L'œuvre s'en ressent. L'histoire est banale, médiocre, ce récit de femme fatale manipulatrice semble dans l'air de tout ce qui se tourne à cette époque.

Pour sauver les meubles il fixe sur la pellicule une Rita Hayworth blonde, cheveux courts bouclés comblée par quelques gros plans flatteurs d'un réalisateur certainement encore sous l'emprise de cette créature proportionnée presque parfaitement par le divin mais parallèlement projeté dans la conception de ses œuvres futures.

Orson Welles a toujours trois films d'avance, la postérité de celui-ci sera valorisé en fixant la caméra en haut d'un mat suivi un peu plus tard d'une descente vertigineuse sur un toboggan. Quelques visages déformants, insaisissables répétés à l'infini dans un palais de glace offriront des points valeureux mais insuffisants.

La faute en incombe certainement à un détachement additionné d'un montage à la serpe envers un film ressemblant plus à une dette à rembourser. Le maître s'acquitte visiblement dans la précipitation d'une œuvre alimentaire suite à un engagement constamment remis.

"J'aurais dû écouter ma raison. Mais après l'avoir vue une fois, une seule fois, je n'ai longtemps plus été en mesure de penser rationnellement."

La force de ces phrases prononcées au début du film sont parachevées par une beauté métaphysique acceptant un rôle comme cadeau de divorce. Le début et la fin d'un cercle passionnel entre un couple volant en éclats.

La Dame de Shanghai c'est un peu nos anciens trente trois tours avec une préférence envers certains titres lancinants répétés en boucle.

« Je ne veux pas mourir », « Je ne veux pas mourir »


Répondre

De Marie Muscat, le 8 mai 2011 à 11:07
Note du film : 5/6

C'est quelque peu poussé par Harry Cohn, en adaptant un livre qu'il n'avait même pas lu, que Orson Welles, déjà fort de plusieurs chefs-d'oeuvres anticonformistes, se laisse tenter par un film noir apparemment de facture plus traditionnelle. La Dame de Shanghai relate l'histoire de Mike O'Hara, marin irlandais plein d'expérience mais qui se laisse néanmoins facilement berner par une femme belle, blonde et dangereuse. Il se retrouve embarqué pour un voyage en bateau autour du monde, pris en sandwich dans les relations conflictuelles de la femme fatale avec son mari, l'avocat véreux vieillissant Arthur Bannister et l'excentrique associé de celui-ci, Grisby. C'est à Chicago que l'histoire se noue et se tranche, par la mort quasi obligatoire de plusieurs protagonistes.

S'il peut, à première vue, apparaître guère moins original que Assurance sur la mort ou Gilda, deux films qui lui étaient antérieurs, il faut pour apprécier toute l'ampleur de la Dame de Shanghai être attentif aux apports stylistiques de Welles et ce malgré la censure morale ou artistique que lui imposait la Columbia. C'est ce qui donne au film une atmosphère envoûtante, onirique et dérangeante. La caméra se déplace sans cesse alliant plans classiques, travellings hypnotiques (celui de l'épilogue est un exemple suffisant) et très gros plans visant à mettre en valeur le visage angélique et vicieux de Rita Hayworth, la plus belle actrice rousse de tous les temps, devenue blonde pour l'occasion; ou celui tordu de rictus de Grisby.

En outre, tout le film est jonché de scènes qui surprennent et intriguent toujours même après plusieurs visions. Il faut voir le pique-nique macabre et luxueux des protagonistes sur une plage d'Acapulco où O'Hara, dégoûté par leurs relations sado-masochistes, les compare à des requins qui se dévorent entre eux. Ou Grisby, à l'hystérie hilare, proposer au marin de le tuer en échange d'une rémunération substantielle. Ou Bannister défendre le procès de Mike O'Hara dans un tribunal fantaisiste et bizarre, où l'avocat et le procureur se jettent des avanies au visage devant un public réjoui. Quant à Rita Hayworth, elle traverse le film comme un personnage insaisissable, tour à tour objet de désir et danger de mort, au passé insondable.

La fin de la Dame de Shanghai, devenue culte, (Woody Allen y a même rendu un hommage dans son thriller moderne Meurtre Mystérieux à Manhattan), apparaît comme l'expiation nécessaire d'un monde trop violent pour cohabiter. Mike O'Hara, incapable de prévenir cette autodestruction, revient à la vie normale en blâmant sa naïveté. La parenthèse noire et fascinante qu'il a vécu pouvant s'avérer un simple rêve dont il vient de se réveiller.

Dernier aspect attachant de ce film noir atypique : il s'agit d'une sorte de cadeau d'adieux d'Orson Welles à son épouse Rita Hayworth. Cadeau teinté d'amertume comme l'anti-héros joué par Welles est constamment abusé par le personnage d'Elsa. Mais c'est aussi un des films où resplendit le mieux la beauté fatale de l'actrice.


Répondre

De Impétueux, le 8 janvier 2022 à 13:21
Note du film : 2/6

Eh bien voilà qui ne me permettra pas d'accomplir une sorte de chemin de Damas, de me convertir au cinéma d'Orson Welles. Je n'ai certes pas épuisé toute sa filmographie de réalisateur ; je n'ai encore vu ni Le procès, ni Une histoire immortelle ; ni même Falstaff ; et comme je trouve ce que j'ai trouvé de mieux jusqu'alors ce sont les adaptations de Shakespeare, c'est-à-dire Othello et surtout Macbeth, c'est peut-être là que je trouverai mon bonheur.

Parce que si je suis tout à fait disposé à admettre que Citizen Kane a apporté un souffle neuf dans la beauté du cinéma, je n'en ai pas du tout été transporté, ni même ému. Et La splendeur des Amberson, Mr. Arkadin, La soif du mal m'ont tous semblé couler de la même eau : brillants, intelligents, virtuoses et finalement assez vains. Admirable acteur (y compris avec d'autres réalisateurs : Le troisième homme, Moby dick ou La décade prodigieuse), plus admirable encore metteur en images ; mais auteur de films ? Je m'interroge encore.

On me dira, à très juste raison, que La dame de Shanghai a été amputée d'une bonne heure et que les coupes que Welles aurait consenties ne sont pas celles qui ont été pratiquées par ces forbans de producteurs. Je le conçois et verse la pièce au dossier. N'empêche que la raison, pour être pertinente, n'est pas du tout suffisante. Que dans un film aussi noir, que dans un thriller plein de mystères et de faux coupables le réalisateur puisse autant négliger le script, le récit, au seul bénéfice de scènes spectaculaires devenues, dès lors, assez vaines, prenant le statut de moments de bravoure, paraît démontrer une certaine indifférence au plaisir – ce qui n'est pas grand chose, de fait – mais surtout à l'intérêt du spectateur.

Spectateur qui se perd très vite, trop vite dans une intrigue compliquée à l'extrême, hachée, coupée en morceaux et avec des personnages dont on ne perçoit guère la substance et dont on ne comprendra pas, jusqu'à la fin les mobiles.

On a certes bien saisi que le naïf Michael O'Hara (Welles lui-même), devenu l'amant de la magnifique Elsa Bannister (Rita Hayworth, sublime en blonde à cheveux courts) dont le mari Arthur (Everett Sloane), avocat infirme paraît bien indifférent à la tromperie de sa femme, qu'O'Hara, donc, est manipulé par une bande de requins et plongé volens, nolens dans des manigances dangereuses. Je ne voudrais pas commettre un sacrilège majeur, mais il me semble qu'un petit film français réalisé en 1957 par Denys de La Patellière et qui s'appelle Retour de manivelle avait des analogies avec La dame de Shanghai, en moins brillant mais en bien plus compréhensible.

Car le film est brillant, certes et certaines scènes marquent largement la mémoire : la conversation entre les deux amants dans un étrange aquarium aux poissons inquiétants (en fait, le premier hublot montre même un poulpe géant : rien de plus clair !) ; aussi le singulier Palais des mirages du quartier chinois et la dégringolade d'O'Hara dans un immense toboggan ; et évidemment le labyrinthe des miroirs qui démultiplie à l'infini Bannister et sa femme qui se tirent dessus. Mais parallèlement, tant de scènes niaises ou ridicules ! Ainsi au tout début la bagarre qui oppose O'Hara/Welles à trois voyous qui ont attaqué Elsa/Hayworth, ainsi les lentes et pénibles scènes de procès, couronnées par l'invraisemblable évasion du prévenu…

On aimerait aimer. Mais…


Répondre

De DelaNuit, le 15 janvier 2022 à 13:14
Note du film : 5/6

Surprenant film que cette Dame de Shanghai qui joue des codes du film noir pour mieux les détourner et nous emmener vers l’inattendu, désarçonnant plus d’un spectateur. La légende veut que Orson Welles, discutant au téléphone avec un financeur qui n’acceptait de lui prêter de l’argent qu’à condition de se voir proposer un projet précis, s’était emparé du titre d’un roman de gare qui lui avait tapé dans l’œil, cette fameuse Dame de Shanghai, et avait commencé à broder autour sans même l’avoir lu…

A partir de là, Welles reprend en effet plus d’une caractéristique des films noirs de son époque : le récit en flash-back par un héros narrateur, le scénario compliqué avec son lot de péripéties, un méchant détestable, une femme belle et mystérieuse, fatale, qui semble cacher quelque chose, des éléments urbains mais aussi de l’exotisme, dans un noir et blanc somptueux. Mais au lieu de faire suivre au spectateur un fil d’Ariane qui le conduise vers la conclusion d’une énigme, Welles le perd volontairement et se joue de lui comme l’héroïne du film se joue du héros. Ainsi, certaines scènes qui dans un autre film auraient été tournées avec réalisme pour emporter l’adhésion au récit, tel le sauvetage dans Central Parc au début ou le procès et la fuite du tribunal après la condamnation du héros, sont ici présentées comme des farces. Parce qu’elles le sont dans le scénario même : ce qui serait réalité dans un autre film est ici en toc, ce qui y serait illusion est ici la réalité dérangeante, qui provoque le malaise du spectateur. La référence à Shanghai même est une illusion. L’héroïne a travaillé autrefois dans ce lieu des plus corrompus et ne saurait en être sortie indemne (« Il faut un peu plus que de la chance à Shanghai… ») mais le scénario ne nous y conduit pas malgré quelques images exotiques. Sa complexité est en elle-même une « chinoiserie » symbolisée par l’entrée finale dans Chinatown.

On ne peut complètement comprendre et apprécier cette Dame de Shanghai qu’en ayant deux références en tête :

La première est celle du personnage cinématographique de Rita Hayworth tel que magnifié et définitivement assis dans le film Gilda de Charles Vidor. Celui d’une déesse de l’amour fatale, aussi belle et sexy que sensible, qui joue les garces mais se révèle en fait une gentille fille qui faisait semblant pour attirer l’attention de l’homme aimé. Ici, Welles entend dynamiter cette légende et la retourner dans son exact contraire : celui d’une femme fatale qui joue les victimes mais se révèle en fait authentiquement corrompue et destructrice. Il faut dire qu’à la même époque, Welles et Rita Hayworth sont en plein divorce, et il entend bien ne quitter le sex-symbol de son époque qu’en ayant définitivement laissé sa marque sur son image… Il organise pour cela une séance photo montrant la belle perdre ses célèbres longs cheveux auburn au profit d’une coupe courte et décolorée en blond platine. Puisque la belle Rita a été peinte sur la bombe A, ce qui lui a valu le surnom de « vedette atomique » et de « bombe sexuelle », Welles estime qu’il est temps d’imprimer sur la pellicule les ravages de cette beauté fatale. La dame de Shanghai devient ainsi l’antithèse de Gilda, allant jusqu’à citer la musique d’une de ses chansons fétiches : « Amado Mio ».

La seconde référence est issue de la mythologie non plus hollywoodienne mais classique : ce n’est pas pour rien que le yacht sur lequel se prélasse la belle porte le nom de Circé, la fameuse enchanteresse de L’Odyssée, dont le charme et la beauté subjuguaient les hommes, qu’elle transformait ensuite en animaux, révélant leur réalité intime. Rita incarne ici une telle, moderne et dangereuse, enchanteresse. Et si les scènes de poursuite, sauvetage, procès ou évasion habituellement réalistes dans ce genre de films sont ici une farce, c’est parce que les moments importants sont ailleurs : dans le récit des requins se dévorant entre eux comparés aux participants du pique-nique sur la plage, ou dans le rendez-vous des deux amants sous la lumière glauque de l’aquarium parmi les monstres aquatiques qui renvoient l'image effrayante des non-dits.

Farce, symboles, illusions, exotisme, faux semblants… se rassemblent dans la scène finale du palais des mirages du quartier chinois où les héros se retrouvent face à leur destin, où après le tobogan et autres péripéties également en toc, se révèlent les multiples facettes de l'âme et de la Femme devant un jeu de miroirs multiples… Car ce n'est pas non plus pour rien que le nom de Psyché, l'héroïne mythologique symbole de l'âme, a donné son nom aux miroirs.

Ainsi Orson peut enfin quitter Rita après avoir révélé sa complexité. Long cauchemar éveillé, La dame de Shanghai n’emprunte l’apparence d’un film policier que pour nous entrainer en clair-obscur dans le labyrinthe intérieur des méandres de l’âme humaine…


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0046 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter