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Sujet : De l'autre côté du rideau


De Gaulhenrix, le 26 octobre 2007 à 12:50

Blue Velvet, sans doute l'un des films les moins énigmatiques de David lynch, peut être perçu comme une sorte de conte traditionnel pour enfant – en fait, ici, adolescent – explorant cette frontière mystérieuse qui sépare l'univers de l'enfance de celui des adultes. Les mêmes personnages s'y retrouvent : les parents (la tante et la mère de Jeffrey, le père de Sandy) qui mettent en garde les innocents des dangers de la vie  ; les adolescents, (Jeffrey le garçon et Sandy la fille), encore marqués par la naïveté de l'enfance, qui sont fascinés par la tentation du mystère et désobéissent  ; le cadre (l'unité de lieu que représente Lumberton, mais dédoublé en un décor lumineux et rassurant le jour, et en une jungle obscure et malfaisante la nuit) ; l'ogre (Franck le pervers) ; la bonne fée (Sandy) ; la sorcière initiatrice, fascinante et dangereuse (Dorothy la chanteuse) ; la quête difficile et éprouvante (la découverte de la vérité pour les deux jeunes gens) qui s'apparente à un apprentissage de la vie conduisant à une forme de sérénité née du combat contre le Mal et du refus de son pouvoir de fascination.

La structure même du film en forme de boucle fermée corrobore cette vision : le film s'achève en quelque sorte comme il a commencé. Le générique sur fond de lourd rideau de velours bleu, qui remue doucement comme s'il invitait à venir voir ce qui est caché de l'autre côté, se retrouve sur le générique de fin du film. De même, les images paisibles du bleu immaculé du ciel, de la clôture en bois blanc et de la rose rouge vif, du rouge écarlate du camion des pompiers, du jaune d'or des tulipes, de la traversée de la rue par les enfants et des pavillons sagement ordonnés sont celles qui ouvrent et ferment le film. Mais – comme ce lourd rideau de velours bleu vaguement inquiétant – ces images sont un rien si conventionnelles et les attitudes des personnages filmés dans la rue si théâtrales qu'elles évoquent un cadre quasi irréel et figé de carte postale. Enfin, un détail signifie que ce mouvement circulaire n'est pas pour autant un retour au statu quo ante : l'innocent rouge-gorge qu'aime tant Sandy, filmé en gros plan, tient, cette fois, dans son bec, un cafard !

Entre-temps, Lynch a déroulé le fil d'Ariane qui nous permet d'explorer, de l'autre côté du rideau de velours bleu (blue velvet), les coulisses de ce « monde étrange dans lequel nous vivons » (Sandy).


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De Impétueux, le 7 septembre 2014 à 14:16
Note du film : 6/6

En préalable, le regret sincère que Gaulhenrix ait disparu de ce site, où l'intelligence de ses analyses m'a toujours émerveillé. Je me bats les flancs pour ajouter quelque chose à ce qu'il a écrit sur Blue velvet… Il faudrait sans doute que je revoie l'admirable Twin peaks pour trouver, dans la comparaison entre cette bourgade et le Lumberton de Blue velvet des analogies éclairantes, ne serait-ce que l'ambiance rouge et bleue ternes des cabarets (le Jack n'a qu'un oeil ici, le Slow club, là).

David Lynch est le cinéaste des profondeurs ; de l'autre côté de ce qu'on voit ; de la face cachée de nos mondes ; de ce qui se dissimule sous l'herbe verte des pelouses, derrière les façades bien léchées, dans les têtes des adolescents sages. Pourquoi Lumberton, petite ville de Caroline du Nord, ne pourrait-elle pas continuer à vivre paisiblement si Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), parce que son père vient de faire un infarctus, ne trouvait pas, par pur hasard, une oreille coupée dans un terrain vague et, surtout s'il n'était pas animé par une drôle de soif de savoir, c'est-à-dire de chercher ce qui se cache sous l'apparence ? En soulevant le couvercle des marmites (ou le toit des maisons, plutôt), en allant faire un tour voyeur de l'autre côté des apparences, Jeffrey se donne le plaisir d'éclairer certaines des chambres obscures de sa propre personnalité.

Tout cela parce que la contagion est facile. Il a mis sa maladie en moi ! s'écrie Dorothy Valens (Isabella Rossellini) lorsqu'elle fait l'amour avec Jeffrey et lui demande de lui faire mal. Il, c'est ce Frank Booth maléfique (Dennis Hopper) qui la tient, la possède, l'idolâtre et l'abîme ; et qu'elle aime peut-être aussi, parce que les choses ne sont pas si simples que le sens commun et les bonnes mœurs le voudraient.

Tous les amateurs de Lynch vous le diront : il leur suffit de regarder deux minutes prises au hasard d'un de ses films pour en retrouver la puissance et l'atmosphère ; il leur suffit aussi de savoir que le réalisateur ne conçoit pas ses films en forme de récits logiques, cohérents, structurés, mais comme l'expression de flashes, d’idées fortes qui le saisissent et qu'il ne relie qu'ensuite en écrivant l'histoire. D'où la difficulté – et surtout l'inutilité – d'essayer de saisir et d’expliquer chaque séquence, d'où la présence, ici et là, de scènes absolument frappantes, mais qui ne sont pas indispensables à l'intrigue, de personnages sans nécessité d’existence, mais qui sculptent l'imaginaire.

Je pense là, par exemple au long épisode qui commence par la capture de Jeffrey par Frank et ses acolytes à la porte de Dorothy ; terrorisé, il est conduit dans la maison de Ben (Dean Stockwell), pourvoyeur de drogues (et peut-être de pire encore) de Frank puis entraîné en voiture vers un terrain vague où il est assommé.

Eh bien je n'imagine pas que, si on a vu Blue velvet, on puisse avoir oublié la grande chambre rouge et verte où Ben, homosexuel précieux attend on ne sait quoi, entouré de compagnes abondantes et bien coiffées dont on ne saura rien et qui n'apparaissent que là, presque en arrière-plan ; qu’on puisse avoir oublié ce moment saisissant où Ben, le visage maquillé, éclairé par une lampe dont il se sert comme d’un micro, fait mine de chanter In dreams de Roy Orbison en une sorte de playback. Je n'imagine pas davantage qu'on puisse avoir oublié la séquence glaçante baroque où Frank frappe au visage Jeffrey, sur la même mélodie de In dreams (« Un clown couleur caramel, qu’on appelle le marchand de sable… »), alors qu’une fille, raflée chez Ben, danse sur le toit de la voiture, au rythme des coups assenés…

Et la séquence où Jeffrey, se glissant une dernière fois chez Dorothy, y découvre Ben trucidé, ligoté, essorillé et Williams, l’inspecteur de police pourri à la veste jaune canari (George Dickerson), le crâne éclaté mais encore un peu vivant, oscillant au moindre souffle…

Si tous les interprètes masculins sont absolument parfaits, Hopper inouï de violence, MacLachlan, fouineur décontenancé et Stockwell, d’une perversité fascinante, j’ai moins de goût pour les actrices, Laura Dern qui, il est vrai, doit jouer les gourdes et Isabella Rossellini de qui on peut juger qu’il manque la petite étincelle qu’il faudrait donner à Dorothy pour qu’elle emplisse complètement le rôle.

Critique mineure ; comme d’habitude, Lynch nous englue dans sa toile…


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