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Forum : Le Déclin de l'empire américain

Sujet : Le jeu d'ensemble des comédiens


De Arca1943, le 21 décembre 2003 à 17:15
Note du film : 5/6

Les Invasions barbares se tient évidemment très bien tout seul. Mais ce film est encore meilleur, plus riche, plus drôle, plus évocateur, si l'on a Le Déclin de l'empire américain tout frais à la mémoire. Ça vaut vraiment la peine de se taper les deux volets à la suite.

Arca1943

P.S. Curieusement, c'est de passage à Paris que j'ai vu ce film pour la première fois. J'étais fort excité, car ce n'est pas tous les jours qu'un film de chez nous cartonne en terre française. Mais à la sortie du film, le copain français avec qui je l'ai vu m'a dit, le plus doctement du monde: «C'est bien. Mais tu sais, l'Amérique, c'est pas ça du tout!»

Ah bon, merci du renseignement.


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De Arca1943, le 25 novembre 2006 à 16:02
Note du film : 5/6

Très belle critique ! J'ignore pourquoi elle avait échappé jusqu'ici à mon attention. Encore aujourd'hui, le jeu d'ensemble des comédiens force l'admiration (avec un bémol pour Gabriel Arcand, d'ordinaire le meilleur d'eux tous, mais qui ici me semble un peu convenu). J'ai beau me dire que c'est du cinéma, Rémy Girard devrait avoir honte de faire pleurer Dorothée Berryman comme ça !


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De Impétueux, le 18 mai 2013 à 15:06
Note du film : 5/6

Voilà un film qui a eu, en France et partout ailleurs je crois, un grand retentissement et dont on ne parle plus du tout. Et pourtant, avec sa suite et son binôme, Les invasions barbares, il forme une des critiques les plus cohérentes, les plus intelligentes et les plus vraies de l'épuisement vital du monde occidental et du processus général d'effritement des existences, livrées à elles-mêmes par la disparition des systèmes de valeur antagoniques et par l'institution de l'individu comme sa propre et unique mesure. (On le voit partout dans le monde avec la généralisation du mariage pour tous).

Je n'avais encore jamais fait le lien, qui m'est apparu pourtant hier de façon aveuglante, entre Le déclin de l'Empire américain, qui date de 1986, et l’œuvre romanesque du plus original des romanciers actuels, Michel Houellebecq, dont Extension du domaine de la lutte est sorti en 1994, et Les particules élémentaires en 1998.

Peu de ressemblances apparentes entre les flamboyants universitaires québécois du film, qui manient la langue avec une virtuosité et une gourmandise également exemplaires et les personnages décrits par le romancier, souvent falots, parcimonieux, étriqués, coincés au delà du possible. Mais, dans l'un et l'autre cas, pesanteur, lourdeur de la sexualité ou, plutôt, à l'omniprésence de la sexualité obligatoire.

Au début du film, Dominique (Dominique Michel), interviewée par Diane (Louise Portal) dans le cadre gigantesque et glaçant d'une de ces galeries couvertes qui permettent, pendant l'hiver, d'affronter les éléments québecois donne la clef du titre du film : Le bonheur personnel s'amplifie, dans le champ littéraire, au fur et à mesure que diminue le rayonnement d'une nation. Le bonheur personnel ou plutôt, me semble-t-il, son exigence revendiquée, exclusive aspiration. C'est à peu près, considéré sous un autre angle d'attaque ce qu'écrit Houellebecq : l'extension à toutes les sphères de la vie de la logique économique libérale.

C'était sûrement un sacré pari pour Denys Arcand de tourner un film presque entièrement animé par les dialogues, eux-mêmes intervenant principalement dans des lieux clos. Un minimum d'incursions, sous forme de brefs flashbacks dans les récits des participants : le récit de la soirée échangiste de Louise (Dorothée Berryman) et Rémy (Rémy Girard), la rencontre dans un salon de massage de Pierre (Pierre Curzi) et de Danielle (Geneviève Rioux). Et malgré un discours qui tourne continuellement sur les pratiques sexuelles, aucune image trouble si ce n'est, sans doute, lors de l'évocation de sa rage de drague homosexuelle par Claude (Yves Jacques) ; séquence et rage qui font d'ailleurs singulièrement songer aux bien oubliées Nuits fauves de Cyril Collard.

Malgré de superbes cabrioles verbales et le brio formidable de tous les acteurs, Le déclin de l'Empire américain est tout, sauf un film drôle ; c'est même le constat d'un désastre, qui apparaît, très furtivement, très fugitivement, au coin d'une réplique qui mentionne l'éloignement de tous les couples avec leurs enfants, ou l'absence d'enfants…

Parce que vieillir est intolérable si l’on a perdu le désir de transmettre. Mais si l’on a pu donner un peu de souffle à la matière, le souffle qu’on a reçu et à qui, si possible on a pu ajouter quelque chose, où est le drame ?

On n’est que fils et que père : le reste n’a pas beaucoup d’importance.


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De Arca1943, le 18 mai 2013 à 16:33
Note du film : 5/6

« C'est à peu près, considéré sous un autre angle d'attaque ce qu'écrit Houellebecq : l'extension à toutes les sphères de la vie de la logique économique libérale. »

C'est cela en effet. Pourtant je proposerais la formulation contraire: la réduction ou encore la subordination de toutes les sphères de la vie humaine à la sphère économique. C'est en cela que le marxisme et le libérisme (ou néolibéralisme) sont des idéologies curieusement jumelles. Pour Marx – il est selon moi crucial de le rappeler – le travail est «le métabolisme de l'Homme avec la Nature». De même, le libérisme, en face, considère les fameuses lois du marché comme des lois de la Nature. C'est pour cela, en passant sur ce "pont" naturaliste, que le concept totalitaire par excellence de «Fin de l'histoire» (issu de Hegel et joyeusement passé à la moulinette dès 1920 par Eugène Zamiatine dans son chef d’œuvre de la SF Nous autres) a pu glisser en 1989-90 de l'économisme de gauche (marxisme) à l'économisme de droite (libérisme ou néolibéralisme) via un fieffé imbécile du nom de Francis Fukuyama. À la fin de l'histoire, l'humanité s'abîme dans la nature.

Je dis bien libériste et pas libéral. C'est terrifiant comme le concept de libéralisme peut subir de distorsions de nos jours, particulièrement en France, où il y a eu au moins deux très grands penseurs du libéralisme – Alexis de Tocqueville et Raymond Aron – mais jamais, à ma ma connaissance, de Parti libéral, ce qui explique peut-être pourquoi un Guy Sorman, par exemple, passe faussement pour "libéral" tant à ses propres yeux qu'à ceux de ses détracteurs de gauche ; alors qu'il s'agit de libérisme ou néolibéralisme (en anglais neoconservative), qui est au libéralisme ce que le néosocialisme des années 30 était au socialisme : un piège à cons. Pour remettre les pendules à l'heure, citons plutôt un libéral véritable, le penseur Benedetto Croce, président du Parti libéral italien (PLI) à compter de 1944 :

« Affirmer, comme on l'a fait, l'union indispensable entre les forces morales et économiques, équivaut à proclamer non pas la soumission des premières aux secondes, mais au contraire l'hégémonie des forces morales sur les forces économiques. Il ne faut pas que les forces économiques déterminent les forces morales, ainsi qu'il arrive, par exemple, lorsqu'on établit des relations de dépendance entre la liberté – qui est vie morale – et certains systèmes économiques, entre le Libéralisme et la libre concurrence manchestérienne. » (Cité dans SFORZA, Carlo. L'Italie contemporaine : ses origines intellectuelles et morales. Paris, Correa, 1948).

La liberté est vie morale. Le libéralisme est une philosophie de la liberté. Pour exister, la démocratie libérale – ou pluralisme constitutionnel, comme l'appelait Aron – a besoin d'un marché raisonnablement libre, mais attention l'inverse n'est pas vrai : il peut tout à fait, hélas, y avoir économie de marché sans démocratie libérale, comme on l'a vu par exemple avec le régime de Pinochet – meurtrière dictature d'extrême-droite – ou comme on le voit depuis plusieurs années en Chine – meurtrière dictature issue de l'extrême-gauche ; de même qu'on l'avait vu, aussi, dans les toutes premières années ou "phase d'installation" du fascisme italien (1922-1926): avant que l'économie fasciste prenne son prévisible tournant étatique, les deux premiers argentiers du régime furent, justement, des économistes de l'école "manchestérienne" ou libériste : Volpi et De Stefani, traîtres au libéralisme qui entreprirent de réaliser la "promesse" (c'est-à-dire la menace) lancée par Mussolini lors du congrès du Parti fasciste de mars 1921: «Libéraux en matière d'économie, nous ne le serons pas en matière de politique.» À quoi réplique le comte Sforza, antifasciste et phare de la pensée véritablement libérale: « L'absence de toute valeur de la prétendue "liberté économique" vis-à-vis de la liberté tout court. »

Grande fut la sagesse du comte Sforza.

Carlo Sforza et Benedetto Croce à Salerne en 1944.


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