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Forum : Le Nom de la rose

Sujet : Un palimpseste superbe


De PM Jarriq, le 19 juin 2004 à 09:07
Note du film : 4/6

Belle rééditiion, qui permet d'apprécier le film dans les meilleures conditions possibles. Il a plutôt bien vieilli, tout ce qui est déco et costumes est impressionnant, le travail sur les visages (qui semblent sortis de toiles d'époque) est magistral et l'adaptation du roman assez réussie. C'est curieusement la mise en scène qui pèche un peu, avec des séquences figées, un abus du zoom vraiment dommageable et un montage parfois trop elliptique ou haché. Tout du long, on sent que Connery est "tenu", il retient ses sourires ironiques, son oeil qui frise, tente d'être crédible en moine (quand il envie l'expérience sexuelle du jeune Slater, on a un peu de mal…), mais s'en sort bien. Le "must" c'est Ron Perlman, exceptionnel en Quasimodo difforme, parlant une sorte d'espéranto absurde : il est incroyable !

Bref, une oeuvre estimable, dont la grande qualité est que malgré les aléas de ses copros européennes, elle ne fait jamais "europudding".


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De Arca1943, le 19 juin 2004 à 18:46

Le film « ne fait jamais "europudding" », dites-vous. Amusante expression, que je ne connaissais pas. Quant à savoir pourquoi, je crois que si cette production ne fait pas europudding, cela tient entre autres à l'expertise et à la personnalité de son producteur : Franco Cristaldi, vraiment un grand monsieur doté d'un flair peu commun, qui tout au long de sa productive carrière – (du Pigeon à Cinéma Paradiso en passant par les films de Francesco Rosi – a toujours su mettre une main de fer dans un gant de velours pour manoeuvrer au plus près entre les nécessités artistiques et les nécessités commerciales.

Pour l'anecdote, certains affirment que c'est lui qui est portraituré par Ugo Tognazzi dans La Terrasse de Scola.

Arca1943


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De PM Jarriq, le 20 juin 2004 à 09:47
Note du film : 4/6

Si je me souviens bien, le portrait qui était fait du producteur dans "La terrasse" n'avait rien de flatteur… On le voyait glandouiller dans sa piscine et miner le moral de son scénariste (Trintignant) en lui demandant, à chaque idée que celui-ci lui soumettait : "ça fait rire ?", jusqu'à le rendre complètement fou.

J'aimerais bien le revoir, ce film…


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De Arca1943, le 20 juin 2004 à 10:51

C'est qu'un portrait flatteur n'a pas sa place dans un film satirique ! Mais moi, je m'étais pris de sympathie pour ce personnage dont on finit par saisir qu'il fait exprès d'en remettre dans le genre ignare et butor juste pour énerver les damnés intellos de gauche que son travail l'oblige à fréquenter… Et puis, c'est vrai que Tognazzi rend fou le scénariste (Jean-Louis Trintignant) en lui demandant tout le temps «Ça fait rire?» et «Qu'est-ce qu'il fait Sordi?» à tout bout de champ; mais c'est le scénariste qui l'a d'abord rendu fou en lui promettant depuis huit mois un scénario dont il n'a pas été fichu de pondre une seule ligne… Par contre, quand le même scénariste en vient aux mains en plein restaurant avec le critique de cinéma qui méprise la comédie (Stefano Satta Flores), là je suis de son bord à 100% ! Allez Trintignant, colle-lui en une! Pète lui la gueule, à ce taré !

Arca


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De droudrou, le 15 juillet 2006 à 15:13
Note du film : 5/6

Faillot !

Mais elle n'a pas tort : c'est excellent ! Et si elle lit, tu lui offres le livre de Umberto Eco. Le film en est une super adaptation. Il est même difficile de concevoir l'un sans l'autre mais sur la même base ils sont très différents et se complètent parfaitement.


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De Impétueux, le 12 juin 2007 à 22:16
Note du film : 6/6

De temps en temps, comme les mythiques lemmings qui, dit-on, ressentent de façon désordonnée et hystérique une pulsion irrésistible à s'engloutir dans la mer malveillante, de temps en temps, des contemporains qui n'ont, de leur vie jamais éprouvé le besoin d'ouvrir un bouquin autrement que pour s'en faire un pare-soleil sur la plage, de temps en temps, donc, certains s'emparent de façon singulière d'un ouvrage dont on ne peut imaginer une seconde qu'ils le liront.

Les plus anciens d'entre nous se souviendront que, vers 1970, il y a eu une sorte de folie furieuse adulatrice du côté d'un ouvrage savant de Jacques Monod, Prix Nobel de physique en 1965, qui s'intitulait Le hasard et la nécessité et qui est, me souffle Wikipédia un traité des avancées de la génétique et de la biologie moléculaire et de leur conséquences philosophiques. Il était alors de bon ton d'arborer cet essai absolument illisible où les notions scientifiques du niveau d'une chaire du Collège de France cohabitaient avec une pensée philosophique puérile et hilarante (comme toujours lorsque les scientifiques prétendent se mêler de pensée – voir L'Homme, cet inconnu, d'Alexis Carrel, lui aussi Prix Nobel en son temps).

L'été dernier, il y a eu Les Bienveillantes que certains d'entre nous ont lu et apprécié – parce qu'ils connaissent et s'intéressent précisément à la période de la Guerre mais qui a été, à toutes les terrasses de cafés médiocrement littéraires de la capitale (il en est encore) arboré comme un signe de reconnaissance pour happy few (comme disait mon cher Stendhal).

Et bien, en 1980, le gros livre qui recueillit l'admiration des cuistres, admiration d'autant plus passionnée qu'ils ne l'avaient pas lu, c'est précisément Le nom de la rose du fascinant et très gros Umberto Eco. Autant dire tout de suite que pour qui ne marque pas un vif intérêt pour les hérésies chrétiennes des 13ème et 14ème siècles, il est absolument inutile de se plonger dans ce lourd roman passionnant qui ne peut précisément passionner que ceux qui trouvent un intérêt à ces questions-là et de la pertinence à ceux qui s'étripaient sur la question de savoir si le Christ possédait ou non la tunique qui fut jouée aux dés par les soldats romains au pied de la Croix.

Je suis de ceux-là, mais je n'en voudrais pour rien au monde faire un exemple et conseillerais plutôt de fuir ceux qui n'auraient pas la forme tordue de cerveau qui sied à de telles querelles.

En d'autres termes, Le nom de la rose m'a bien plu, parce que je me repais des querelles survenues entre Vaudois, Sociniens, Extatiques – tout ça, c'est de la chair hérétique – et de la subtilité des rôles nécessaires, mais différents assignés aux Bénédictins, Franciscains et Dominicains, de la lutte séculaire entre tenants du Pape et de l'Empereur (Guelfes et Gibelins de Florence, par exemple, un peu plus tard).

Mais à part quelques cinglés dans mon genre, qui pouvait s'intéresser au Nom de la Rose si ce n'est un fou comme Annaud qui a compris immédiatement qu'il devait élaguer, simplifier, effacer, sublimer (au sens chimique du terme) les péripéties scolastiques et ne retenir que l'excellente aventure policière placée en sous-main par ce redoutablement habile Eco  ?

Il ne faut donc chercher entre le gros bouquin dont plusieurs paragraphes sont écrits en latin (non traduit !) et le film auréolé d'une distribution internationale absolument aucun lien….

Ou plutôt, il faut, comme Annaud l'a dit quelque part, considérer le film comme un palimpseste où l'on retrouve, presque en transparence, et souvent en filigrane, quelques unes des lignes de force du livre. Qu'est-ce qu'un palimpseste ? Dans l'Antiquité, on appelait ainsi un manuscrit dont le scribe avait effacé le premier texte pour en écrire un autre, un parchemin que l'on avait gratté et tâché de rendre à nouveau vierge, mais sur quoi subsistaient des traces, quelquefois lisibles…

Et tel qu'il est, avec ce décor formidable de l'Abbaye, semblable à toutes celles où, pendant près de mille ans, toute la sagesse et le savoir du monde antique ont été patiemment recopiés par des êtres qui, sans toujours y comprendre quoi que ce soit accomplissaient, après les invasions barbares, l'humble tâche de passeurs et de transmetteurs, avec cette terrible et magnifique photographie d'un Moyen-Âge qui vivait à la fois dans le souvenir de la Grandeur presque mythique de l'Empire romain évanoui, et l'Espérance de la prochaine Fin des Temps, tel qu'il est, parcellaire, schématique, souvent complaisant, le film d'Annaud est un des plus poignants qui se puissent, même (et surtout peut-être) lorsqu'il s'éloigne du livre d'Eco et introduit, là où elle n'était pas dans le livre, dans le coeur d'Adso de Melck, le souvenir de la paysanne qui ne l'a pas détourné de son chemin, mais l'a marqué jusqu'à son dernier souffle…


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De DelaNuit, le 10 janvier 2016 à 15:21
Note du film : 6/6

L’intrigue du nom de la rose est on ne peut plus d’actualité alors que nous commémorons l’attentat perpétré contre les caricaturistes de Charlie Hebdo. On y voit en effet à l’œuvre une certaine idée de la religion selon laquelle le rire serait diabolique, surtout s’il vise Dieu ou ses représentants puisque le rire, court-circuitant la peur, ferait alors sombrer la foi… Au nom de telles idées, un certain nombre de moines trouvent la mort en cet hiver « de l’an de Grâce 1327 » pour avoir osé jeter les yeux sur un livre interdit dans cette abbaye perdue dans les montagnes du nord de l’Italie. Tel est le sujet de cette histoire d’Umberto Eco et adaptée pour le cinéma par Jean-Jacques Annaud.


Loin de James Bond, Sean Connery réussit à se montrer crédible dans le rôle du moine franciscain Guillaume de Baskerville chargé de l’enquête, accompagné de son novice Adso de Melk (tout jeune Christian Slater, innocent et impressionnable), opposant réflexion, logique et raison aux délires lucifériens du grand inquisiteur Bernardo Gui (F. Murray Abraham encore plus diabolique que dans Amadeus) avide de mettre la main sur des hérétique et prétendues sorcières pour alimenter les bûchers de la terreur qui maintiennent le peuple à sa place. Tout cela sur fonds de concile opposant les moines pauvres aux princes de l’Eglise dans une vision on ne peut plus différente de leur rôle et de leurs moyens. Dans la même logique, la réalisation montre bien l’opposition entre les moines vivant convenablement entre leurs murs et le peuple pauvre et crasseux survivant lamentablement en bas.

Il y a aussi l’excellent Ron Perlman en hérétique bossu bavant un espéranto rebutant, acteur caméléon dont le physique si singulier a ouvert les portes de tant de mondes étranges, des Cro-magnons au langage primaire de La guerre du feu au prince à tête de lion caché dans les souterrains de New-York de La belle et la bête citant Shakespeare ou Shelley, de l’Hercule de foire de La cité des enfants perdus aux délires de Hellboy en passant par Alien 4. Acteur protéiforme aux multiples talents trop méconnu et pourtant si brillant.

Mêler suspense policier, réflexion philosophique et reconstitution historique de grande qualité était la gageure de cette adaptation réalisée par un Jean-Jacques Annaud alors au meilleur de sa forme. L’authenticité des décors, des accessoires, des costumes et des maquillages est remarquable et confère à l’ensemble du film une grande crédibilité. La musique tout en atmosphère mystérieuse du regretté James Horner vient parachever l’œuvre. Pour plus de réalisme, les acteurs chantent eux même lors des scènes d’offices après avoir reçu des cours de chant grégorien !

Tous ces moyens ont été permis par un financement en grande partie américain, d’où le tournage en anglais. Certaines scènes d’intérieur (églises) ont été tournées au monastère cistercien d’Eberbach en Allemagne, d’autres dans des décors reconstitués à Cinecitta (le scriptorium, l’intérieur de la bibliothèque labyrinthe aux multiples niveaux et escaliers). Quant au site de l’abbaye sur la colline, il a été découvert au bord d’une route située au nord de Rome et agrémenté d’ajouts de décors en ciment et papier mâché par les décorateurs italiens. Le grand soin de la reconstitution fait du Moyen-Age un personnage central de l’intrigue, si ce n’est le personnage principal.

Il est cependant dommage qu’ait été coupé du film le court plan où Guillaume de Baskerville explicite le titre du film et du roman par la fameuse citation de Bernard de Morlais : « Tout ce qui reste d’une rose fanée est son nom. » Le fameux nom de la rose renvoie donc au secret de l’énigme, mais aussi dans un contrepoint plus humain, à la jeune paysanne au nom inconnu dont la présence va affoler le jeune novice et le marquer à jamais.

Ce cinéma à la fois distrayant et intelligent nous replonge dans un Moyen-Age ici décrit comme une époque de transition et d’insécurité qui pourrait bien sur certains points renvoyer à la nôtre…


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